Les croisements entre la commedia dell’arte et les spectacles de marionnettes existent depuis les origines du théâtre professionnel au milieu du XVIe siècle. Les deux genres présentent en effet des analogies non seulement d’ordre structurel et thématique mais aussi quant à leur organisation. En premier lieu, leur dramaturgie ne se fonde pas sur un texte écrit, clairement structuré, mais sur un canevas où une large place est faite à l’improvisation, fondée sur un habile montage d’éléments prédéfinis ou de stéréotypes, un procédé qui exploite largement le langage du mime, accompagné d’actions élémentaires comme les bastonnades, typiques du théâtre de marionnettes. Ces deux genres peuvent donc être définis comme des formes théâtrales « non littéraires », non liées au texte. En outre, tous deux se sont, dans une certaine mesure, tournés vers la comédie savante ou même la tragédie auxquelles ils ont fait des emprunts, au moins sous forme parodique. Le répertoire de la commedia dell’arte fut repris par les marionnettistes, on le constate au XVIIIe siècle, mais il est probable que cette tradition durait depuis longtemps. Leur caractéristique commune la plus visible est la présence de types fixes ou « masques ». Dans les deux cas, ceux-ci ont des connotations régionales et possèdent une « frappe » particulière qui les élève au rang de types. La question de l’origine des masques est complexe : si la part d’invention, chez les acteurs les plus talentueux, est indéniable, le rôle du folklore et des mythes ne l’est pas moins. On a supposé une origine infernale à Arlecchino (Arlequin), ce qui semble confirmé par certaines marionnettes de zanni et d’Arlequins présentant des traits diaboliques ou portant le masque noir originel, créant une double dépersonnalisation de l’ « acteur ». 

Les personnages

Les masques de la commedia dell’arte que l’on retrouvait dans les baraques et sur les scènes des marionnettistes étaient nombreux et il est possible qu’il y ait eu aussi des emprunts dans le sens inverse. Les cas les plus célèbres sont ceux d’Arlecchino (de Mantoue) et surtout du Napolitain Pulcinella dont la renommée et la diffusion, si l’on en croit Anton Giulio Bragaglia (Pulcinella, 1953), seraient dues à la popularité de la marionnette correspondante, beaucoup plus agile, mobile et débrouillarde et capable de parler toutes les langues. Le monde des comici comprenait aussi les Vénitiens Brighella et Pantalone, le capitán (prétendu espagnol), Pedrolino, Graziano, le Docteur (bolonais), les Napolitains Don Pancrazio (Cocoziello), Tartaglia et Scaramuccia. À ces masques vraisemblablement issus du théâtre d’acteurs s’ajoutent d’autres figures probablement nées dans les baraques de foire : Fagiolino, Giangurgolo, Facanappa (ex- Bernardone), Cassandrino (Rome), Gerolamo (Milan), Gianduja (Turin). Les marionnettes comptèrent dans leurs rangs les personnages de Sandrone, Fagiolino, Sganapino, Gioppino à Bergame, Stenterello à Florence, mais souvent elles conservèrent des traits propres à la commedia dell’arte comme en témoignent le personnage de Rugantino (de ruganza, arroganza, arrogance) à Rome qui avait des points communs avec le Capitaine de la commedia ou le Bolonais Tonin Bonagrazia, proche de Pantalon. Le cas le plus évident de glissement du théâtre d’acteurs vers le spectacle de fantoches est bien sûr celui de Burattino, un comico dell’arte : le terme de burattino trouve sans doute son origine au XVIIe siècle dans le buratto (blutoir), tamis que l’on secouait de manière saccadée pour bluter la farine. C’est ce mouvement saccadé, lié de plus à une activité typiquement paysanne, qui donna son nom à l’un des nombreux zanni (ou valets) de la commedia. À la fin du XVIe siècle, ce zanni obtint tant de succès que de nombreuses marionnettes s’approprièrent son masque et le mot burattino finit par désigner la catégorie tout entière, devenant l’un des noms communs pour signifier la marionnette. Hors d’Italie également, on observe ce passage du théâtre d’acteurs vers celui des marionnettes : ainsi de Hanswurst, dans les pays germanophones, et des différents dérivés de Pulcinella que l’on retrouve dans les castelets de divers pays, tels le Polichinelle français, l’Anglais Punch, le Russe Petrouchka ou l’Espagnol Don Cristóbal. Qu’ils aient été incarnés par des acteurs ou par des marionnettes, les personnages masqués utilisaient souvent des dialectes ou une langue « élastique » ouverte aux influences extérieures, qui d’un côté portait la marque de leur origine régionale, de l’autre s’adaptait au public. Le code utilisé était en effet flexible, et l’improvisation permettait dans les deux cas de réagir au comportement du public. C’est ainsi que les thèmes « folkloriques » et « cultivés » se mélangeaient, comme il arrive souvent dans les genres liés à l’oralité, les plus éloignés du théâtre littéraire. Ce qui donnait aussi à ces genres une force subversive incontrôlable, liée à l’improvisation.

Acteurs et marionnettistes

On connaît les noms de certains acteurs qui devinrent marionnettistes : le comédien Bartolomeo Savi devint montreur et artificier à Turin où il fonda un petit théâtre de marionnettes ; Johann Baptist Hilverding (Salzbourg vers 1670 ou 1677 – Vienne 1721), « joueur de Pulcinella », parcourut l’Allemagne avec ses grandes marionnettes à fils et mécaniques, se produisant aussi à Gdansk et à Prague. Les directeurs de troupe Joseph Anton Stranitzky (1676-1726) et Gottfried Prehauser (1699-1769) étaient tous deux acteurs et ils manipulèrent la marionnette Hanswurst. C’est ainsi également que Laroche créa pour le théâtre d’acteurs le bouffon Kasperl qui devint par la suite la plus célèbre des marionnettes allemandes au point que Kasperltheater devint synonyme de théâtre de marionnettes.

Les lieux de représentation

Les lieux de représentation, déterminants pour l’évolution des deux genres, étaient les villes, les places publiques, les lieux d’échange et de commerce et ces artistes typiquement itinérants parcouraient parfois les mêmes étapes ou se talonnaient à travers toute l’Europe. Au cours des deux « siècles d’or » de la commedia improvvisa (nom d’origine de la commedia dell’arte), les castelets des marionnettistes pouvaient faire concurrence aux tréteaux des comici, leur disputant les places publiques ou même se les réservant comme c’était le cas à Rome (place Navone), à Naples (largo du Maschio Agioino), à Venise (Riva degli Schiavoni), à Florence (Loggia dei Lanzi) ou à Turin (Piazza del Castello). On peut même supposer que, pouvant se déplacer et s’installer plus rapidement, les marionnettistes devancèrent les tournées de la commedia dell’arte. Mais ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle que les documents attestent la parenté entre les deux genres sans que l’on puisse vraiment trancher quant à l’antériorité de l’un ou de l’autre. C’est avec la commedia dell’arte que naquit le théâtre professionnel – avec une organisation, des entrepreneurs, on serait tenté de dire une « industrie du spectacle » avec des modalités de production jamais expérimentées auparavant prévoyant des représentations payantes devant un public hétérogène – et, surtout, que se consolida un système de spectacles itinérants, un trait caractéristique propre aux marionnettistes depuis toujours. Il faut toutefois distinguer les deux modes de gestion de ces « entreprises ». Fondée sur la division des tâches dans le cas de la commedia dell’arte, elle était au contraire centrée sur un noyau de quelques personnes, voire un seul interprète aux multiples tâches, dans celui des marionnettistes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les lieux du spectacle variaient des tréteaux assemblés sur les places, jusqu’aux salles plus ou moins réservées aux artistes. Les marionnettes à gaine jouaient dans des castelets montés dans les espaces urbains tandis que les marionnettes à fils gagnaient (en Allemagne ou en Italie surtout) l’espace plus prestigieux des palais. À Venise, au XVIIIe siècle, les Borgogna mettaient en scène des spectacles de marionnettes à gaine sur la place Saint-Marc mais aussi au palais des Doges ou dans d’autres palais.

Le répertoire

Lorsque, dans le climat de réforme des arts scéniques au XVIIIe siècle, le masque (typé) tendit à disparaître au profit du personnage (individualisé), des figures consacrées par deux siècles de commedia dell’arte, chassées des scènes, subsistèrent dans les baraques et sur les tréteaux des marionnettistes, échappant au théâtre « officiel ». Le préjugé selon lequel seules valent les sources écrites empêcha pendant des décennies les historiens de se pencher sur le théâtre de marionnettes pour mieux connaître celui de la commedia dell’arte. Cette époque montre pourtant que cette dernière a transmis aux marionnettistes non seulement ses masques mais aussi une partie de son répertoire.

Grâce à la censure, qui rendit la vie si difficile aux comédiens de toutes les époques, survivent aujourd’hui des spectacles satiriques qui ne furent jamais mis en scène. Ces œuvres auraient été perdues, avec leurs modifications et omissions imposées, si les autorités n’avaient pas obligé les artistes – qui la plupart du temps improvisaient en s’inspirant de la commedia dell’arte – à leur soumettre par écrit les dialogues avant la représentation. C’est ainsi que, grâce à Napoléon III, la dramaturgie de Guignol a pu être conservée et que le théâtre de marionnettes connut en France sa période la plus faste comme théâtre satirique. Le théâtre de Louis Edmond Duranty reprit les personnages de la commedia dell’arte à des fins satiriques, l’Erotikon Theatron, rendez-vous d’artistes et d’hommes de lettres, perfectionna l’art de la parodie des théâtres officiels et de leur répertoire, le théâtre des Pupazzi de Louis Lemercier de Neuville (qui avait animé de l’Erotikon) proposait des caricatures du monde politique et artistique en présentant des marionnettes créées à partir de silhouettes découpées dans la presse. La commedia dell’arte partagea aussi avec le théâtre de marionnettes, cette présence centrale d’un personnage comique focalisant plus que d’autres l’action dramatique : sur sa seule personne, comme c’est souvent le cas des marionnettes, ou sur le couple de zanni dans celui de la commedia. Parents ou descendants du stultus de l’Antiquité, des bouffons et des clowns, ces figures comiques telles que Punch, Pickelhering, Hanswurst, Kasperl ou Kasparek sont devenus les porte-parole d’une certaine subversion populaire. C’est ainsi qu’à la fin du XVIIIe siècle, à la faveur, selon certains chercheurs, du climat révolutionnaire, se multiplièrent sur les tréteaux d’Europe de nouveaux héros comiques. Tout comme les zanni les plus célébrés de la commedia dell’arte, à partir du XVIIIe siècle, ces figures comiques entrèrent dans la dramaturgie, glissèrent du canevas au texte écrit souvent comme précieux seconds des principaux protagonistes, tels Hanswurst ou Kasperl accompagnant Faust ou d’autres faisant les serviteurs-bouffons au côté de Don Juan.

Bibliographie

  • Duchartre, Pierre Louis. The Italian Comedy. New York: Dover Publications, 1966.
  • Leydi, Roberto, ed. Burattini, Marionette, Pupi. Milano: Silvana Editoriale, 1980.
  • McCormick, John, with Alfonso Cipolla and Alessandro Napoli. The Italian Puppet Theater – A History. Jefferson (NC): McFarland & Co., 2010.
  • Nosari, Pier Giorgio. “Le Avventure di Testa di Legno e Faccia di Cuoio. Interazioni e scambi fra teatro in persona e figure animate alle origini della commedia dell’arte ”. Zani Mercenario della Piazza Europea. Ed. Anna Maria Testaverde. Brescia: Moretti & Vitali, 2003.
  • Rudlin, John. Commedia Dell’Arte: An Actor’s Handbook. London: Routledge, 1994.
  • Rudlin, John. Commedia Dell’Arte: A Handbook for Troupes. London: Routledge, 2001.