Colonisé par les Britanniques à la fin du XIXe siècle, la République fédérale du Nigeria (en haoussa : Jamhuriyar Taraiyar Nijeriya ; en igbo : Ọ̀hàńjíkọ̀ Ọ̀hànézè Naìjíríyà ; en yorouba : Orílẹ̀-èdè Olómìnira Àpapọ̀ Nàìjíríà) est située à l’ouest de l’Afrique. Elle a conquis son indépendance en 1960. Sa population est principalement musulmane, au nord et chrétienne, au sud ; elle est panachée d’animistes, essentiellement parmi les groupes Ibo et Yorouba. La population de ce pays se classe, en nombre, au septième rang mondial. Elle se répartit entre 500 groupes ethniques présentant ainsi une grande diversité.

Le théâtre de marionnettes existe sous diverses formes au Nigeria. Les marionnettes sont les oeuvres de sculpteurs ou d’artistes expérimentés et sont utilisées dans des représentations théâtrales rarement portées au-delà des frontières de leurs appartenances ethniques.

Le dabo-dabo des Kanouri

Le théâtre des Kanouri, dans l’État de Bornou, au Nord-Est du Nigeria, a su résister aux influences politiques et religieuses, contrairement à celui des Haoussa du nord du Nigeria qui n’existe pratiquement plus depuis l’islamisation. Là, les marionnettistes ont été persécutés par les mallams, prêtres musulmans qui interdisent de fabriquer des objets à l’image de l’homme.

Le théâtre de marionnettes est en revanche resté très vivant chez les Kanouri où les dabo-dabowa (marionnettistes de dabo-dabo) continuent à le pratiquer. Ces dabo-dabowa s’entourent d’un assistant et d’une poignée de musiciens et vont de village en village. Ils utilisent des marionnettes à gaine, faites essentiellement de chiffons. Leurs spectacles se déroulent au milieu d’un cercle tracé sur le sable où le montreur est assis sous une petite tente plantée au milieu. Leur répertoire se compose de scènes, généralement huit par spectacle, dont chacune dure de trois à quatre minutes. Les histoires sont comiques et s’inspirent d’événements de la vie quotidienne. Ainsi, une scène peut relater les déconvenues d’un voleur qui a reçu une bonne correction.

Le Kwagh-hir

Ce théâtre de marionnettes se pratique chez les Tiv qui habitent dans la confluence des fleuves Niger et Bénoué, au centre du Nigeria. Il se distingue par son importance et la complexité de son organisation. En 1990, quatre-vingt-dix-neuf compagnies ont participé à des concours organisés soit par l’État de Bénoué, soit par l’administration locale. Actuellement, on dénombre environ deux cents troupes actives, chacune comptant de soixante à cent artistes, à l’instar de Ijirgba Adasu, originaire du village de Tse-Mker Ute.

Ces théâtres fonctionnent toute l’année, mais le nombre de spectacles donnés est plus important pendant la saison sèche, période d’abondance et de festivités chez les Tiv.

Le Kwagh-hir occupant une place très importante dans l’organisation sociale tiv, lorsqu’un village décide de créer sa propre troupe, il loue les services d’un sculpteur qui peut être amené à résider sur place pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Ses honoraires comportent, outre de l’argent, une maison neuve, un champ et des ouvriers agricoles.

On peut déterminer trois courants dans la tradition tiv. Le premier porte essentiellement sur une utilisation magico-religieuse des marionnettes. C’est celle des figurines d’akombo, mot qui désigne à la fois les ancêtres et les rituels qui leur sont destinés. L’association Kwagh-hir du village d’Ibiamegh emploie pour l’initiation de ses membres des akombo grandeur nature, représentant des hommes, des femmes et des léopards.

Les deux autres courants, plus modernes, datent du début des années cinquante. Le kwagh-hir se présente comme une synthèse de la forme ancienne et de la nouveauté. Il est devenu à la fois un moyen de résistance et un modèle de comportement social pour les gens. À partir de l’indépendance en 1960 et des troubles politiques qui suivirent, les représentations ont été principalement axées sur la satire sociale et l’éveil d’une conscience « nationale ».

Le théâtre tiv met en scène des marionnettes telles que Igedde, qui incarne un homme frappé de la maladie d’éléphantiasis du scrotum et dont les bonds et les danses provoquent les rires du public (le groupe ethnique des Igedde vit dans une région au sud-ouest de celle des Tiv, la question de la terre a provoqué des tensions entre les deux ethnies et donne donc lieu à des moqueries de part et d’autre). Kunya est le lutteur et Abogon Kya, le babouin-devin. On peut citer des éléments récurrents : Ioravaa (une femme à genoux en train de moudre du grain que son mari contemple avec beaucoup de fierté), Swem Karagbe (paradis terrestre où règne l’abondance, et où différents animaux sont mis à la disposition des hommes). Plus satirique aussi, Alosho (jeunes gens travaillant pour le compte des partis politiques, représentés comme des paresseux et des séducteurs de femmes mariées), Ta Itiuogh Kwar Tar (jeunes gens violents et irresponsables, provoquant des bagarres et dérangeant la paix publique les jours de marché), Anum Ior (deux soldats qui décapitent un voleur). L’actuel répertoire tiv totalise plus de quatre cents pièces.

Ekong et Ofiong

Chez les Ibibio du Sud-Est du Nigeria, deux associations théâtrales, utilisant les marionnettes, appartiennent à une tradition ancienne. Ekong est d’ordre sacré. Elle est d’un rang supérieur à Ofiong. Les troupes de marionnettistes Ofiong sont plus petites, répètent moins longtemps, possèdent un répertoire satirique mais à caractère divertissant et surtout plus général. Ces marionnettistes se font inviter à toutes sortes de fêtes : fiançailles, mariage, rites de passage, réunion des membres d’une classe d’âge, etc.

Les Ekong ressemblent fort aux Kwagh-hir des Tiv, notamment en raison de leur importance dans la vie du village et de leur mode d’organisation. Il n’existe qu’une association ekong par village et l’on y adhère exclusivement pour le théâtre de marionnettes. La vie de l’association ne dure que sept ans ; après cette période, une nouvelle congrégation doit voir le jour, dont les membres sont formés par les anciens de la société dissoute. La société Ekong ne présente ses spectacles qu’une fois tous les sept ans, les répétitions durant six ans, au rythme d’un après-midi par semaine. Tous les membres versent une cotisation destinée à acheter des équipements et à louer les services aussi bien d’un bon sculpteur que d’un médecin traditionnel qui saura soigner et protéger les artistes des méfaits de la sorcellerie et, à l’occasion, empêcher la pluie de tomber.

Le répertoire de l’Ekong est fondé sur la satire sociale. On se moque des missionnaires catholiques, des marchands haoussa, des administrateurs coloniaux, des malfaiteurs, des groupes ethniques voisins. On utilise surtout les marottes et les marionnettes habitables. Les représentations sont précédées de longues minutes de danses exécutées par les hommes masqués accompagnés de chants à caractère satirique.

Aminikpo

Chez les Ogoni, parents proches des Ibibio, le théâtre de marionnettes est confié aux hommes adultes et aux vieillards, tous membres de la société secrète Aminikpo. Jouant un rôle de régulateur social et tournant en dérision ceux qui transgressent les lois morales, cette association très respectée est surtout chargée d’appliquer la justice. Même actuellement, certains chefs traditionnels préfèrent s’adresser à elle, et non aux institutions gouvernementales. Selon la tradition orale, un sacrifice humain était autrefois obligatoire avant chaque séance théâtrale de l’Aminikpo. Actuellement le coût des divers animaux et breuvages qu’exigent les membres de la troupe est si élevé que ces représentations se font de plus en plus rares, ayant essentiellement lieu à l’occasion des funérailles de personnes importantes et riches.

Les spectacles sont donnés la nuit, en plein air. Ils comprennent de douze à seize marionnettes jouant au-dessus d’un haut rideau (mesurant 3,50 mètres ou plus) fait de plusieurs pagnes suspendus sur un bâton installé entre deux arbres ou devant une maison. Pour se préserver d’une éventuelle vengeance, les montreurs restent cachés et gardent l’anonymat. Afin d’augmenter le succès, la danse, la musique, le chant et la lutte accompagnent la représentation. Le public se tient assis et admire les marionnettes en sirotant du vin de palme. Celles-ci sont en bois et possèdent les bras et la mâchoire inférieure articulés au moyen d’une tige traversant le tronc de la figurine. Elles dansent, s’accouplent, décapitent, tirent avec une arme. Ouvrant et fermant la bouche, ces poupées miment le chant et jouent la comédie. Avant chaque spectacle leurs têtes sont emplumées, certaines à l’aide d’une touffe de plumes noires et blanches d’un effet scénique éblouissant.

L’entrée des personnages sur scène se fait selon un ordre préétabli. Tout d’abord entre Kasi, doté d’une voix de soprano. Il est suivi de Taugere, un ténor haute-contre. Le troisième, dont le nom est Akee, est un ténor. Le quatrième se nomme Kadume et s’exprime avec un beau registre de basse. On montre ensuite des rôles typiques, tels que la belle Ebobo (jeune fille en cours d’engraissement), un vieux ou une vieille, le tireur de vin de palme, le python, etc. Il y a aussi Awolo, roi de la mascarade, accompagné de sa femme. Lui est figuré par un crâne surmonté de plumes, aux grandes dents blanches, à la bouche et aux oreilles noires, tandis que son épouse est une marionnette à l’aspect plus classique, quoique tenant dans une main un couteau et dans l’autre un miroir.

Pour faire ressortir l’importance d’un personnage, les Ogoni le représentent avec un casque colonial, un képi militaire, un bracelet d’ivoire,  un harmonica ou encore assis dans un fauteuil, signe que cet homme appartient aux élites.

Gèlèdè

Le gèlèdè est un culte masqué diurne et nocturne, destiné à apaiser les esprits négatifs des « mères » dont on redoute les pouvoirs de sorcellerie. Connu chez les Yorouba du Sud-Ouest nigérian, le gèlèdè se rattache à des pratiques théâtrales très anciennes. À l’origine, selon la légende, il aurait été manié par et pour les enfants mais avec sa prise en mains par les adultes, il serait devenu ce qu’il représente actuellement, à savoir une tradition très vivace des masques en bois, des marionnettes et des accoutrements superbes, qui tente de rétablir l’équilibre social.

Chaque sortie de gèlèdè surtout nocturne, est précédée d’une consultation auprès de l’Ifa, oracle divinatoire, et s’accompagne d’offrandes ritualisées. Elle débute par l’apparition de l’emblème de gèlèdè qui est un masque porté par une danseuse. Tous les autres masques et marionnettes sont animés par des hommes travestis en femmes. Les marionnettes sont montrées soit installées sur les masques et faisant corps avec ceux-ci, soit placées directement sur la tête de l’animateur. Dans le premier cas, un petit plateau surmonte le masque et les figurines sont posées dessus. Leurs ficelles, invisibles, sont tirées par le porteur masqué. Les sujets représentés sont très variés, puisant à toutes les sources : le sacré, la vie quotidienne traditionnelle et moderne, les colons ridicules (accompagnés parfois de leur chien), les personnalités historiques et politiques, les personnages comiques, sans oublier certains animaux, notamment les oiseaux qui sont très présents au sein de ce théâtre africain.

À caractère social ou magico-religieux, ces sorties des masques et des marionnettes gèlèdè ont lieu dans toutes les occasions : de la simple pendaison de crémaillère aux cérémonies funéraires, en passant par les fêtes de naissance jusqu’à l’intronisation ou le couronnement d’un roi. En même temps, elles se déroulent dans des situations de pratiques rituelles comme dans celles destinées à la guérison d’une maladie chronique prévues pour éloigner les malheurs d’une épidémie.

Au-delà de la richesse de ses traditions, le théâtre de marionnettes du Nigeria possède une capacité à innover et à s’adapter, ce qui lui donne une vitalité certaine pour en faire une forme artistique moderne en perpétuel mouvement.

(Voir aussi Duga, Iyorwuese Hagher.)

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