Awaji, petite île de la mer Intérieure, au large des villes de Kôbe et Ôsaka, est, historiquement parlant, un des hauts-lieux du théâtre de poupées japonais. Les spécialistes divergent quelque peu quant aux origines, mais d’une manière générale, on estime que ce sont des musiciens attachés à de grands centres religieux comme celui de Shitennô à Ôsaka, spécialistes des danses rituelles du bugaku, qui seraient venus s’établir à Awaji au cours de l’époque Kamakura (1185-1333) et auraient adapté à leurs services les poupées traditionnelles du lieu. Par ailleurs, des liens étroits rattachaient les marionnettistes de l’île au sanctuaire de Settsu Nishinomiya, entre Ôsaka et Kôbe, centre du culte d’Ebisu (initialement, Ebisu était le protecteur des pêcheurs ; ultérieurement, il a été associé à la prospérité commerciale).
Les poupées d’Awaji étaient utilisées dans le cadre de cérémonies appelant les dieux à protéger les marins-pêcheurs et à leur assurer d’abondantes pêches. On sait qu’en 1570 un responsable des danses et musiques rituelles du Palais impérial reçut l’ordre de faire venir les poupées d’Awaji pour les célébrations des fêtes de la Nouvelle Année. Dès lors, et ce jusqu’à l’ouverture du Japon sur le monde moderne en 1868, douze artistes d’Awaji se déplacèrent chaque année pour se produire à la cour.
La popularité de ces spectacles se répandit et, à son apogée, au début du XVIIIe siècle, une quarantaine de troupes, regroupant quelque mille personnes, tournait avec leurs poupées, faisant ainsi connaître leur art dans toutes les provinces. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ces pratiques faisaient encore partie de la vie quotidienne des habitants de l’île, et les marionnettistes passaient de village en village, de maison en maison, pour faire danser les poupées des divinités porte-bonheur. Ils se produisaient également dans les festivals locaux, dans les sanctuaires, sur les plages ou ailleurs.
À la différence du bunraku classique (ningyô-jôruri), joué en salle, les spectacles d’Awaji se déroulaient normalement en plein air, dans des conditions de jeu favorisant une gestuelle exagérée ainsi que l’utilisation de poupées de grande taille. Ce style flamboyant convient particulièrement bien aux pièces historiques jidaimono qui constituent l’essentiel du répertoire, surtout celles offrant des scènes de transformation rapide, de métamorphose et de changement à vue. Ce théâtre garde néanmoins des traces de ses origines rituelles Shinto en faveur de la paix et de la prospérité au pays et pour une longue vie pour ses habitants, en particulier avec les danses sacrées d’Ebisu et des Trois Vieillards – Okina (vieil homme masqué de blanc), Senzai (homme de 1 000 ans représenté comme un jeune homme) et Sanbasô (vieil homme masqué de noir).
Techniquement, le style d’Awaji est très proche du bunraku avec ses poupées à trois manipulateurs et son récitatif accompagné par le shamisen (luth à trois cordes), encore que le koto (cithare à treize cordes) et le tambour taiko soient plus souvent mis à contribution. Il faut pourtant souligner la part importante prise par des artistes-femmes, entre autres par des récitantes et des musiciennes remarquables, qui donnent un attrait supplémentaire à ces spectacles.
En 1964, la fondation du Théâtre des poupées d’Awaji permet de former un groupe stable, disposant d’une base fixe, et d’assurer ainsi l’avenir de ce théâtre. Cette troupe conserve les poupées et accessoires de celle de Yoshida Denjirô, un célèbre manipulateur du milieu du XVIIIe siècle. Elle compte actuellement dix hommes et huit femmes, parmi lesquelles Tsurusawa Tomoji, une musicienne de shamisen qui a reçu les plus grands honneurs officiels. En plus des spectacles quotidiens donnés dans sa salle d’Awaji, la troupe contribue à faire connaître son art par des tournées au Japon et à l’étranger, ainsi que par des démonstrations dans les écoles et d’autres activités pédagogiques.
(Voir Japon.)