La République de Côte d’Ivoire est un pays d’Afrique occidentale. Avant la colonisation, la région était constituée de différents États dont le Royaume de Gyaman, l’Empire Kong et le  pays Baoulé. Le pays devint un protectorat de la France en 1843-1844 puis une colonie française en 1893. En 1960, ce pays acquit son indépendance.

Plusieurs sortes de marionnettes bien distinctes sont signalées en Côte-d’Ivoire. Chez les Sénoufo, on en dénombre au moins cinq catégories, destinées à des groupes sociaux particuliers et montrées à des occasions diverses. Ces effigies sont l’oeuvre des kpémbélé (ou kulébélé), sculpteurs forgerons spécialisés dans la taille sur bois. Les Baoulés et les Dans sont également réputés pour leurs sculptures et masques traditionnels qui ont utilisés comme marionnettes.

Statues initiatiques animées

Mesurant en moyenne 1,50 mètre, les statues déblé (« esprits ») figurent des femmes et des hommes. Pour certains, il s’agit des bustes des morts, anciens membres de l’organisation initiatique poro (ou gbo-oro) ; d’autres évoquent des représentations mythiques, notamment le couple originel appelé pombibele (« enfant de poro »).  L’aspect de ces sculptures est très caractéristique : cou allongé habillé parfois d’une gorgerette en fibres végétales, bras formant des anses (facilitant le déplacement), socle volumineux (servant pour frapper rythmiquement le sol quand la statue est en « marche »), traces de kaolin et d’ocre visibles quelquefois sur le bois finement sculpté.

Utilisés dans le cadre de l’éducation tribale, les déblé sont considérés comme une protection efficace contre les mauvais esprits. Gardés dans un enclos réservé à la statuaire rituelle, ils quittent leur cachette pour accompagner les jeunes initiés sortant du bois sacré. Ils se montrent également lors des funérailles d’une personne socialement importante, mais à cette occasion en compagnie des duéguélé. Bien que le visage de ces derniers soit anthropomorphe, leur corps est annelé symbolisant peut-être le python, signe de vie et de fertilité, autrefois gardé, nourri et vénéré dans le bois sacré. Les statuettes duéguélé ont comme support, un casque de bois, en forme de cloche munie d’une ouverture qui laisse à découvert le visage du porteur. Leur animation est nocturne et réservée aux initiés âgés, dignitaires de la société initiatique.

Pendant le spectacle funèbre, les déblé sont portés, martelant le sol de leur socle lourd : leurs mouvements sont lents et rythmés. Cet appel lancé à la terre est renforcé par les tambours, les hochets, les trompettes de bois et les chants. Sur le plan symbolique, on considère que ces « marionnettes-pilons » nettoient et dament la dernière route terrestre du mort le conduisant vers l’au-delà.

Chevaux de bois

Les Sénoufo connaissent aussi les chevaux de bois utilisés au cours de diverses cérémonies : le départ à la guerre, à la chasse, ou encore la clôture des funérailles. Contrairement au cheval-jupon (connu également en Afrique), l’animal sénoufo est tout entier de bois. Son cavalier est un chorégraphe-marionnettiste qui enfourche cette monture harnachée pour caracoler.

Pantins

On trouve les pantins parmi les jeux d’enfants sous une forme rudimentaire, mais également dans les rites où ils ont un aspect très élaboré. De sexe féminin, Atiqui-din est un pantin de bois, finement découpé, qu’on portait au bout d’une perche dans la région de Bondoukou. À l’occasion des rites agraires, on l’exhibait, habillé d’une robe de fibres végétales. Pendant les cérémonies funéraires, on le coiffait d’un turban en tissu noir ou bleu indigo.

Marionnettes divinatoires

L’une des méthodes divinatoires sénoufos utilise des statuettes en bois figurant des ancêtres anthropomorphes ou zoomorphes, certains avec les pieds retournés vers l’arrière, signe qui permet aux Sénoufo de distinguer un esprit de la brousse d’un être humain. On attribue à ces figurines le don de communication avec l’au-delà par l’intermédiaire d’un devin ou, plus souvent, d’une devineresse. Animées avec maestria, utilisant la ventriloquie, elles font l’objet d’un spectacle parfois grandiose.

Il faut aussi signaler le glé (connu également au Liberia ge et en Sierra Leone), tête anthropomorphe avec une couronne de plumes. Modelé en argile avec l’adjonction de plusieurs substances magiques, il protège les honnêtes gens contre les sorciers. Pour être efficace, il doit être animé par un clairvoyant qui, avant d’entrer en transe, l’installe sur son crâne. De cette manière, on repère les sorciers, car le glé réagit à leur présence, puis on les châtie.

Marionnettes guérisseuses

Dans les années cinquante, les marionnettes guérisseuses étaient encore très nombreuses. Chez les Bété-Shien, on conservait, au village de Bappa (situé dans le triangle délimité par Oumé, Gognoa et Sinfra), une célèbre statuette magique portant le nom de Yougono. Haute de 40 centimètres environ, elle représentait une femme debout. À ses pieds, une sébile attendait les offrandes. Yougono était polyglotte. Pendant la consultation dans la case de son féticheur-montreur (vraisemblablement ventriloque), elle prononçait ses diagnostics en langues bété, baoulé, agni, dioula et français. Interrogée directement par le public, elle répondait de la même manière, se passant d’interprète. La célébrité de Yougono s’étendait jusqu’à Abidjan, où le féticheur l’amenait pour donner des consultations commandées à l’avance.

Marionnettes d’envoutement

Le kafiguélédio, appelé aussi « Celui qui dit la chose blanche », est une effigie de bois appartenant aux sorciers. Mesurant entre 40 et 90 centimètres, il se présente comme un personnage anthropomorphe sans visage, coiffé d’une large touffe de plumes et de piquants de porc-épic, hermétiquement vêtu d’une toile brute (souvent tachetée) et recouvert d’une épaisse croute de matière argileuse mélangée au sang sacrificiel desséché. Ses bras, démesurément longs, articulés aux épaules, sont prolongés par des bâtons (sorte de « crosses maléfiques » en forme de massue) ou quelques branches. Le sorcier les pointe (en les manipulant par derrière) vers la personne visée, jetant, de cette façon, son maléfice.

Marionnette et masque

Le kagba est une construction composite mobile à tête d’animal, intermédiaire entre la marionnette habitable, le castelet et le masque. On le confectionne avec un masque zoomorphe cornu du genre poniugo fixé à l’avant d’une charpente recouverte d’une étoffe à décor géométrique (souvent en damier). Attaché au symbolisme des initiations poro, ce « castelet-masque-marionnette » se montre à l’occasion de certaines funérailles. Il s’approche du cadavre, évolue autour, le regarde avec intensité. L’esthétique de cette scène est remarquable : d’une part, par l’inertie et la blancheur du linceul enveloppant le cadavre à terre, d’autre part, par la présence dansante du kagba haut en couleur et plein de vie.

Il arrive qu’une marionnette soit « improvisée » avec un masque facial que l’on montre séparé du visage. Chez les Abron, cette pratique sert à amuser les enfants avant une séance de danse. Tout d’abord, l’objet est animé par un homme âgé qui l’agite devant son visage, danse et « fait le clown » à la grande joie des plus jeunes. Au bout d’un moment, le danseur confie le masque aux garçons qui s’efforcent d’imiter son jeu. Puis celui-ci est rangé et la danse proprement dite commence.

Objets dansants

L’importance de l’objet dansant est soulignée par le chorégraphe ivoirien Alphonse Tiérou qui mentionne, dans ses écrits, des objets rituels, des foulards, des pagnes, des branches feuillues, des accessoires les plus divers contribuant à la réussite des ballets, depuis le simple morceau de tissu agité pendant une danse jusqu’aux évolutions avec des statues sacrées.

Marionnettes de parade

Lors de festivités diverses, on exhibe des marionnettes installées, à l’aide de clous, sur des scènes portables et actionnées au moyen d’une ou plusieurs ficelles passées à l’intérieur de la figurine et ressortant sous le plateau scénique. Parmi les personnages montrés à ces occasions figurent aussi bien les cultivateurs que les champions de boxe. Toutes ces marionnettes sont en bois polychrome et possèdent des parties articulées (bras, genoux, mâchoire, etc.).

Jouets-marionnettes

Confectionnées et animées par les garçons, ces marionnettes ludiques, en général éphémères, donnent lieu à de petits spectacles. Elles représentent des êtres humains, des animaux et des monstres. Chez les Baoulé, les marionnettistes en herbe font évoluer un couple de pantins en palmier-raphia, actionnés à l’aide d’orteils, figurant les danseurs de twist (voir Marionettes aux pieds). Ces petits fantoches qui ont les mains fixées à la taille, peuvent gambiller grâce à leurs jambes mobiles.

Toujours chez les Baoulé, on retrouve des oiseaux en bois peint qui picorent et parfois même caquètent, actionnés par une ficelle. Ils ont également inventé le monstre Akoto (« acolyte du féticheur »), tête dansante au bout d’un bâton destinée à effrayer les enfants. Ce croque-mitaine, à face blafarde, composé d’un crâne de singe, de plumes et de coton noir et blanc, est montré aux tout-petits afin qu’ils se tiennent sages. Il est accompagné d’un refrain répété plusieurs fois : « Akoto danse, montre-moi ! »

Poupée de fécondité

En Côte-d’Ivoire, les soins que reçoit la poupée de fécondité et les pouvoirs magiques qu’on lui attribue la rendent très proche de la marionnette. Chez les Dan, on l’appelle GboN ne (enfant de raphia). Faite de palmier-raphia pyrogravé frotté avec de l’huile de palme, elle est parée de six boucles d’oreilles en cuivre (trois de chaque côté). Cette poupée est destinée à des jeunes filles excisées, afin de les préparer à la maternité.

Jumeaux

Comme dans beaucoup d’autres pays, les jumeaux ont un statut particulier. Considérés comme un présent que les dieux envoient aux ménages vertueux pour les récompenser, les jumeaux sont craints pour leurs pouvoirs magiques et on ne leur refuse rien. Mais leur position reste ambivalente, car ils ne sont pas toujours estimés, exposant leur mère aux dépenses doubles et à une série d’offrandes particulières. À la mort d’un jumeau, une statuette est sculptée pour le remplacer. On va alors traiter la figurine comme un être à part entière et on peut, à ce titre, parler d’un culte des jumeaux où l’animation du double en bois occupe une place prépondérante.

Interrogation du cadavre

L’interrogation du cadavre, pour démasquer les sorciers responsables de sa mort, est aujourd’hui mentionnée comme un fait divers dans la presse quotidienne. Autrefois très répandu, ce procédé consistait à porter le corps inerte du défunt pour qu’il désigne personnellement le responsable de son décès. Selon les acteurs (porteurs-animateurs) de cette cérémonie, leurs mouvements obéissaient aux impulsions irrésistibles venant directement de la dépouille mortuaire. (Voir aussi Burkina Faso.)

Marionnettes de l’au-delà

Chez les Baoulé, d’amusant personnages de bois, hauts de 40 à 50 centimètres incarnent les êtres vivant dans l’au-delà (blolo). On les appelle blolo bla quand ils représentent les femmes et blolo bian pour les hommes. Qu’elles soient anciennes, en vêtements traditionnels avec une belle patine brillante, ou modernes, toutes peinturlurées, ces figurines représentent des personnages puissants qui peuvent être de race blanche ou noire (un colon, un militaire haut gradé, un homme d’affaires, une beauté féminine … ). À Abidjan, on les désigne sous le nom de « les en-haut d’en-haut ». Chaque Baoulé possède ainsi son blolo mythique, époux ou épouse rêvés, sculpté par un artiste-magicien et dont il apprend l’existence dans sa jeunesse, souvent révélé par un devin. Ces répliques terrestres de conjoints célestes sont gardées en permanence dans la maison de leur possesseur. Pour certains, ces statuettes rivalisent avec les vivants : si le mari réel est âgé, le blolo de son épouse sera jeune et beau, si la femme est stérile le blolo de son mari sera une femme fertile, etc. Ces figurines sont même mises en situation, glissées, par exemple, dans le lit de leur propriétaire.

Les marionnettes modernes

Aujourd’hui, le théâtre de marionnettes ivoirien participe souvent à la dénonciation de la corruption et œuvre à une sensibilisation aux problèmes sociaux. En 1985, le Ki-Yi Mbock Théâtre, coopérative d’artistes professionnels, est créé à Abidjan sous la direction de Werewere-Liking (née en 1950).

En 1996, la jeune compagnie N’solêh (« agir ensemble dans la même direction »), animée par Atou Écaré, artiste féminine venant du Ki-Yi Mbock, choisit le langage des marionnettes géantes et marionnettes à fils, pour toucher les enfants et tourner dans les écoles. Elle participe à de nombreux évènements, invitée, entre autres, au Festival international des Francophonies en Limousin. Choquée par le nombre croissant d’enfants des rues livrés à eux-mêmes, Atou Écaré définit son orientation artistique en rendant hommage aux gosses africains qui hantent les trottoirs. Cette sensibilité sociale est largement partagée par d’autres marionnettistes ivoiriens.

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