Le Gabon ou la République gabonaise se situe sur l’équateur, sur la côte occidentale de l’Afrique centrale ; il jouxte la Guinée Équatoriale, le Cameroun et la République du Congo. Sa capitale est Libreville. La Gabon accéda à l’indépendance en 1960 après avoir été dirigé par la France à partir de 1895. Sa population se compose de quarante groupes ethniques dont la plupart descendent de peuples parlant le bantou. La population relativement faible et les riches ressources ont permis des revenus par habitant relativement élevés pour l’Afrique subsaharienne.

On trouve, au Gabon, à la fois l’usage traditionnel et l’usage moderne des marionnettes.  

Le Gabon possède un important théâtre de marionnettes indissociable de la magie et du rite. Fondé sur les croyances ancestrales, le plus souvent secrètes et confié aux grands initiés, il reste étroitement lié à une religion vouée au culte des ancêtres et aux mystères du cosmos.

Les marionnettes traditionnelles

Avec une quarantaine d’ethnies au Gabon, la marionnette dans ce pays ne porte pas de nom unique et commun à ses divers peuples : au pays orungu, on l’appelle ogana (notamment chez les Nkomi d’Etimboué), et chez les Mitsogho, ghetsuda ou mighondji-mya-ghongo (les « Esprits d’en haut », en raison de ses apparitions au-dessus d’un pagne tendu verticalement à une certaine hauteur).

Les statuettes animées lors du culte bwiti (pratiqué à l’origine par les Mitsogho et aujourd’hui aussi par les Fang) portent, quant à elles, des dénominations différentes selon leurs attributs.

Au XIXe siècle, l’explorateur Paul du Chaillu remarqua, dans la maison la plus riche d’un village de la région du Cap-Lopez, la présence d’une statue de bois représentant une femme en costume shekiani, la puissante « Dama Gondai ». Ses yeux étaient de cuivre et sa langue, faite d’une lame de fer effilée aussi tranchante qu’une épée, pouvait réduire ses adversaires en morceaux. Cette étrange créature parlait, marchait et possédait des dons de prédiction, rendant visite aux villageois la nuit pour leur annoncer les événements fastes et les drames. Dama Gondai faisait l’objet d’un culte ponctué de danses et d’offrandes.

Une autre effigie anthropomorphe, appelée Mbuiti ou Bwiti, protégeait contre le vol. Haute de 60 à 70 centimètres, faite d’un morceau d’ébène, elle avait les yeux hâlés (dorés).

Toujours au XIXe siècle, Pierre Savorgnan de Brazza assista à des funérailles à Ondumbo, à proximité de Franceville dans la région du Haut-Ogooué. Il note que le cercueil a la forme d’une tour, haute de 2 mètres, reposant sur trois longs morceaux de bois, portée par trois ou quatre hommes qui tournent et dansent au rythme endiablé des tambours, des détonations de fusils et des cris. Cette danse du « sarcophage animé » se présente comme un véritable spectacle à l’issue duquel on fait absorber du vin de palme au défunt grâce à un ingénieux système actionnant des cordes et un cylindre.

Par ailleurs, chez quelques peuples du Gabon, lors des funérailles d’un personnage prestigieux, on actionne d’authentiques marionnettes à l’extérieur ou à l’intérieur de sa maison.

D’après un mythe mitsogho, recueilli par Thérèse Modanga, dans le district de Mimongo en 1968, la marionnette originelle fut taillée dans un arbre par le dieu Nzambé qui-ne-connaît-personne. Son grand rival, le dieu Nzambé qui-n’ignore-personne, savait nommer tous les êtres humains. Ces deux dieux habitaient le même village, leurs maisons se faisant face. Nzambé qui-ne-connaît-personne, jaloux, mit son voisin à l’épreuve en sculptant une femme très belle. Il l’anima par une force magique et la présenta comme sa nièce. Nzambé qui-n’ignore-personne en tomba amoureux, mais ne réussit pas à nommer cette mystérieuse beauté. Ainsi, lorsque sa véritable identité fut révélée, la statue regagna son arbre, redevenant du bois inerte.

Il n’était pas rare, toujours dans la région mitsogho, que l’on fasse marcher et parler le mort. Ainsi, en pays bavongo et mitsogho, la dépouille mortuaire d’un non-initié était-elle portée au cimetière, suspendu à une perche. En revanche, le cadavre d’un myste (initié aux mystères) du bwiti, accompagné de tam-tams, de chants scandés en chœoeur et aidé d’une magie puissante, « pouvait rejoindre seul » sa tombe. Ces exceptionnels « tours de magie » sont encore signalés au XXe siècle.

Les Mitsogho font également apparaître les poupées théâtrales dans un espace scénique « éclaté », notamment quand elles figurent les éléments cosmiques : Soleil, Lune, étoiles. Montrées vers l’aube, à la lueur de flambeaux et de torches, elles se manifestent en plusieurs endroits du village.

On doit aussi mentionner les figures apparentées aux marionnettes qui se mêlent parfois à la danse des masques. Ainsi la société initiatique bwiti, dans le Sud du Gabon, organise-t-elle des sorties nocturnes à la fois de masques et de statues, assurant de cette façon un dialogue permanent avec les esprits. Ces apparitions sont secrètes, réservées aux seuls initiés.

A Oyem, chez les Fang, lors du rituel du melan, culte rendu aux ancêtres, on fait danser au son d’un petit orchestre les statues et les têtes des aïeux. Les manipulateurs, hommes initiés, sont cachés derrière un rideau de pagnes ou de raphia, tendu entre deux arbres.

Les Fang connaissent aussi une marionnette appelée Ngunemelan, personnage mystique qui n’est présenté qu’aux initiés et à la tombée de la nuit.

De même, il faut signaler des marionnettes présentées à la fin de l’initiation aux seuls circoncis, pratique enracinée chez les Nkomi mais aussi présente chez les Kota, et que l’on donne en spectacle avec un étonnant véhicule figurant une énorme tortue censée être conduite par un esprit. La grande vitesse avec laquelle elle se déplace a conduit le public à l’appeler « taxi ».

Dans la région de Woleu-Ntem, lors de l’initiation fang, la marionnette accompagnait autrefois le néophyte. Ainsi, à chaque fin de l’initiation des garçons, la contrée se remplissait de marionnettes qu’on faisait jouer en public. Mais cette coutume a disparu.

Dans la boucle de l’Ogooué, chez les Masango, les initiés activent des marionnettes mais ils s’y appliquent nuitamment et dans un espace sacré et secret. À Lebamba (pays masango), on signale une marionnette maintenue par une liane et manipulée lors des cérémonies bwiti.

D’une manière générale, dans le bwiti, l’initiation des jeunes hommes comporte des apparitions d’ancêtres. Ceux-ci sont représentés par des marionnettes montrées au-dessus d’un rideau. Avant ce spectacle, on fait absorber aux néophytes pendant plusieurs jours de l’iboga, plante hallucinogène. Sous l’effet de cette drogue, ils aperçoivent les ancêtres-marionnettes entourées d’un halo de lumière.

Chez les Punu, la confrérie masculine Tat’Ekumbu organise tous les deux ou trois ans une étonnante cérémonie publique. Lors de ce spectacle où surgissent un important masque-marionnette et deux petites marionnettes, un vrai bébé est remis par les spectateurs aux marionnettistes qui le font habilement passer, « de main en main », d’une poupée à l’autre.

Ceux-ci pratiquent, en outre, un autre type de marionnette (théâtre de main). Le montreur, dissimulé partiellement sous un pagne, présente en solo, un spectacle où ses mains imitent la tête et le cou d’un oiseau appelé totmwiri (le pic) et ses pieds, la queue Le public danse et chante en chœoeur un refrain en l’honneur de l’oiseau.

Dans le théâtre de marionnettes traditionnel, la voix est fréquemment modifiée à l’aide d’une pratique introduite dans la narine du marionnettiste. Elle paraît lointaine et sonne avec un timbre nasillard. Cet effet ajoute un élément mystérieux au spectacle.

En outre, certains instruments de musique possèdent la qualité de marionnette, comme ces harpes avec tête et apparence de femme, quelquefois même habillées.

Les marionnettes plus actuelles

Dans les années soixante, on pouvait admirer encore chez les Nkomi et les Orungu, dans la région de Port-Gentil, de petites marionnettes muettes, célèbres pour leur danse.

À Libreville, la société de danse fang Ngan Ngom fait souvent intervenir, dans ses chorégraphies, un masque et trois marionnettes. Celles-ci ont un aspect européen, portent des noms espagnols. Elles jouent un drame incestueux, une histoire d’adultère avec une fin poignante. L’apport de ce sujet dans le répertoire du théâtre de marionnettes confirme l’importance de ce problème familial au Gabon.

Depuis quelques années, certains artistes du spectacle et de la télévision ont introduit une nouvelle vision et donné une impulsion à l’art de la marionnette.

Le comédien Daniel Odimbossoukou, directeur du Théâtre national à la fin des années soixante-dix, a introduit à Libreville la pratique du happening où s’est épanouit « le marionnettisme corporel ».

La télévision gabonaise présentait, dans les années soixante-dix, un spectacle de divertissement, Sakadi Sakada, construit autour d’une histoire de l’Afrique en général et du pays en particulier, mettant en scène des poupées.

Toutes ces informations montrent que pour bien comprendre le monde complexe de la marionnette au Gabon, il importe de s’écarter de l’image étriquée (voire colonialiste) et des clichés que l’Occident continue de véhiculer sur les cultures africaines. La transmission des connaissances artistiques étant dispensée surtout par de nombreuses sociétés initiatiques, on se trouve confronté à un mode d’expression pluriel, religieux, social et politique, un art « total » qui assure un certain équilibre social, la conjuration du malheur et même de la mort.

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