L’art de la marionnette existe sous diverses formes en Afrique du Sud. On y trouve un théâtre pour enfants et adultes, des émissions de télévision, ainsi qu’une importante activité d’ordre éducatif ou thérapeutique. Par ailleurs, un théâtre amateur assez important y côtoie quelques compagnies professionnelles moins nombreuses (voir Afrique).

Les marionnettes traditionnelles

Chez les Bochimans (Bushmen) elles sont liées à l’art du conte pour lequel le narrateur utilise ses mains (et sa voix) pour imiter les animaux d’une manière très convaincante. Cet emploi des mains nues pour représenter des personnages relève à certains égards de la technique des « marionnettes digitales ». Dans les musées sud-africains sont conservées quelques rares pièces, collectées au XIXe et au XXe siècle, témoignant d’une tradition de la marionnette antérieure à la période coloniale. Il s’agit de figurines pourvues d’une tête mobile et de membres articulés, finement sculptées et manipulées avec une tige fixée dans le creux du dos. Il existe aussi des poupées « danseuses », liées par un fil, qu’un montreur assis manœuvre à l’aide de ses gros orteils. Ce type de marionnette, dite « aux pieds », est très populaire en Afrique, mais ses fonctions ne sont pas les mêmes partout (voir Marionnettes aux pieds, Marionnette à la planchette). On trouve également des marionnettes « faiseuses de pluie » avec leurs bras attachés à une planche étroite qu’elles « escaladent » pendant le spectacle. Ceci nous indique bien que les marionnettes étaient utilisées à diverses occasions, au cours de rituels comme pour de purs divertissements. Aujourd’hui encore, on peut rencontrer des artistes ambulants qui puisent dans ces traditions africaines. Mais les informations sur ces pratiques originales et sur les cultures auxquelles elles sont rattachées demeurent toutefois très incomplètes.

Le théâtre de marionnettes

Les troupes en provenance d’Europe jouèrent un rôle déterminant dans le développement du théâtre de marionnettes sud-africain dans sa configuration actuelle. Au cours du XIXe siècle, elles se produisirent périodiquement dans la colonie du Cap, à commencer par une compagnie de montreurs d’ombres française en 1805. Toutefois, il faut attendre les années trente et quarante pour voir naître des formes locales issues des traditions européennes. Estelle van der Merve fut une pionnière en la matière : à Parys (État d’Orange) où elle vivait, elle créa pour ses marionnettes de bois une série de pièces tirées des récits de l’écrivain afrikaans, Thomas Ochse Honiball. Dans les années quarante, des sculpteurs comme Frieda Ollemans et des scénographes comme John Dronafield s’associèrent avec des marionnettistes basés au Cap, par l’entremise de John Wright. Ce scénographe de talent commença en 1941 à monter des spectacles de marionnettes, dont certains adaptés de contes africains, qui furent représentés au Cap et par la suite partirent en tournée à travers l’Afrique du Sud et jusqu’en Rhodésie (actuellement Zimbabwe et Zambie). En 1946, il s’installa à Londres où il créa la compagnie Little Angel Theatre. Nombre de jeunes marionnettistes lui rendirent visite ou furent ses élèves. À Johannesburg, la marionnettiste canadienne Marion Beaches fonda en 1941 les Marionnettes Canames avec lesquelles elle présenta, de 1944 à 1952, des spectacles pour enfants issus du répertoire européen.

De 1950 à 1970

La carrière de Gawie de Wet, premier marionnettiste professionnel d’origine africaine, commença dans les années cinquante. Dans son enfance, passée dans une ferme à Karro, il apprit de ses parents à manipuler les marionnettes « aux pieds » traditionnelles et devint l’un des premiers enseignants à utiliser les marionnettes comme outil d’éducation. Il perfectionna sa technique et ses compétences au cours d’études en Allemagne, il gagna la confiance des autorités. Obligé de prendre sa retraite pour raisons de santé en 1982, il se consacra entièrement à son travail de marionnettiste qu’il montra dans toute la région du Cap. C’est également dans cette ville que Keith Anderson commença en 1951 sa longue carrière de marionnettiste avec les Pelham Puppets. Entre le milieu des années cinquante  et le milieu des années soixante-dix une série de tournées de compagnies étrangères laissa des traces durables sur le théâtre de marionnettes sud-africain. Parmi ces troupes figuraient les Hogarth Puppetts (en 1954), le Little Angel de John Wright (en 1955 et 1957), Joseph et Louis Contrijn (en 1960), les Marionnettes de Salzbourg (Salzburger Marionettentheater, en 1968, 1970 et 1973) et Philippe Genty (en 1975). Dans un pays très éloigné des grands centres de création artistique, ces tournées montrèrent aux marionnettistes amateurs que ce théâtre, à condition qu’il soit bien dirigé et mis en scène avec une manipulation de haut niveau, pouvait être une véritable profession et non un simple hobby. C’est ainsi que, dans les années soixante, émergèrent nombre de troupes amateurs et semi-professionnelles parmi lesquelles celles de Francesca Bantock, à Kroonstadt, et de Graham Firth à Durban.

En 1968 la première compagnie de marionnettes entièrement professionnelle d’Afrique du Sud fut fondée au Civic Theatre de Johannesburg par Michal Grobbelaar. Elle permit l’affirmation d’artistes comme Alida von Maltitz (Alida van Deventer), qui étudia auprès de John Wright et Ann Bailes, une costumière qui collabora avec des théâtres comme celui de Glyndebourne, suivis de marionnettistes comme Jean Watson et Irene Martin. Pendant presque vingt ans, jusqu’à sa fermeture en 1986, cette compagnie présenta un vaste répertoire pour enfants et créa un ensemble de très belles marionnettes. Employant des metteurs en scène expérimentés et travaillant notamment avec des enregistrements des voix d’acteurs renommés, elle présenta des spectacles de haut niveau et permit à de nombreux manipulateurs de se former.

En 1969, Lily Herzberg établit les premiers contacts avec l’UNIMA. Cette marionnettiste, qui s’était déjà imposée dans la manipulation des ombres et des marionnettes à gaine, s’initia au cours de ses voyages aux marionnettes à tiges qu’elle introduisit en Afrique du Sud. En 1972, elle créa l’Espace des marionnettes au sein du Space Theatre du Cap, un théâtre qui se distingua en rompant la règle de l’apartheid. Elle y poursuivit son travail sur des thèmes sud-africains avant de s’installer à Londres comme scénariste.

Au début des années soixante-dix, Jill et Tony Fletcher montèrent périodiquement des spectacles de marionnettes au théâtre Nico Malan du Cap, centrés sur leur personnage de Mrs Em tandis qu’en 1975, Keith Anderson s’associa avec Toby van Eck dans une tournée à travers le pays avec un nouvelle production pour marionnettes de Little Mermaid d’après Andersen. Enfin, l’année suivante, toujours au Cap, Gary Friedman fonda la Compagnie royale de marionnettes.

Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix

Dans ces années, naquirent de nombreuses troupes individuelles ou collectives. Le boycottage culturel imposé à l’Afrique du Sud en raison de sa politique d’apartheid, entraîna un isolement croissant du pays. Les marionnettistes sud-africains purent maintenir des liens entre eux et avec l’extérieur par l’intermédiaire des deux branches sud-africaines de l’UNIMA, créées en 1979, l’une à Johannesburg, l’autre au Cap, et par des contacts personnels, mais cette situation les incita aussi à se recentrer sur leur propre travail avec ses spécificités locales.

En 1981, un groupe d’anciens étudiants en art formèrent la Handspring Puppet Company au Cap, une compagnie encore active aujourd’hui. Après une tournée à travers le pays, elle s’installa à Johannesburg en 1986 et, avec des metteurs en scène venant du théâtre d’acteurs, se produisit à la télévision. La troupe travailla avec divers artistes et avec le cinéaste William Kentridge et les spectacles Woyzeck au Highveld, Faust en Afrique et Ubu et la Commission Vérité furent présentés au cours de tournées internationales à partir de 1991.

En 1983, la Compagnie royale de marionnettes de Gary Friedman présenta Puns et Doedie, la Marionnette contre l’apartheid – tandis que se développait un théâtre de rue dans plusieurs villes d’Afrique du Sud – avant de déménager à Johannesburg en 1986 et de lancer un projet de marionnettes dans l’éducation. Initialement consacré à la lutte contre le sida (African Research and Education Puppetry Programme, AREPP), ce programme se concrétisa avec ateliers et des spectacles à travers toute l’Afrique du Sud, dans les townships et sur les lieux de travail, puis dans plusieurs pays d’Afrique centrale (mais aussi au Canada, en Allemagne et en France) et fut étendu à des sujets comme la violence familiale, l’éducation civique ou la situation carcérale.

Margaret Auerbach, qui avait commencé comme marionnettiste dans les années soixante-dix avec les Spellbound Puppets, poursuivit son travail dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix avec des projets allant de thèmes féministes pour adultes à des spectacles éducatifs pour enfants.

Enfin, la troupe des Puppet People, fondée par Jacqueline Domisse et Cathy Dodders en 1991 au Cap, se rendit célèbre avec ses récits africains montrés avec des marionnettes à tiges et à fils ainsi qu’avec des masques et par ses adaptations théâtrales de contes amérindiens ou aborigènes.

Les marionnettes à la télévision

L’introduction de la télévision en 1976 donna un élan immédiat à l’art de la marionnette qui pouvait désormais compter sur des millions de spectateurs. Cela permit de développer des techniques plus élaborées et conférer un statut professionnel à de nombreux marionnettistes de talent.

Un des premiers producteurs fut Les Subcleve avec des programmes en afrikaans, comme Adoons-Hulle, ou en zoulou, avec Radio Buza et Marimba. Une pionnière en la matière fut surtout Louise Smit qui commença à produire des programmes de marionnettes au sein de la télévision nationale avant de poursuivre en tant que productrice indépendante. Sa compagnie, la Louise Smit Production Trust, lança ainsi plus de trois mille émissions pour la jeunesse, en afrikaans, en anglais et en langues africaines, dont les plus célèbres sont Hass Das se Nuuskas, Mina Moo et Professeur Fossie. La maison de production embaucha régulièrement des marionnettistes et des sculpteurs de marionnettes du Civic Theatre, parmi lesquels Alida von Maltitz, Dawn Leggat, Hansie et Thea Visagie, Adrian Kohler et Basil Jones et fut pendant longtemps l’un des producteurs majeurs de programmes pour enfants.

La télévision sud-africaine et d’autres producteurs indépendants ont lancé plusieurs autres projets parmi lesquels une campagne de sensibilisation imaginée avec des marionnettes par l’AREPP de Gary Friedman à l’occasion des premières élections multiraciales de 1994. La même année, Spider’s Place, un projet éducatif multimédia impliquant la télévision, la radio et l’édition, avec la participation de marionnettistes et produit par le Handspring Trust for Puppetry in Education (Fondation Handspring pour les marionnettes dans l’éducation) marqua le point de départ d’une nouvelle orientation associant marionnettes, médias et enseignants.

Les marionnettes dans l’éducation

Dès les années quarante certaines institutions éducatives officielles ou informelles virent l’intérêt que pouvait représenter la marionnette dans leurs programmes. Les centres d’art pour la jeunesse et les écoles normales furent les premiers à s’intéresser au potentiel créatif d’une combinaison entre arts plastiques et arts de la scène. Quelques écoles d’art dramatique prirent aussi ce chemin dans les années soixante, notamment l’université de Stellenbosch. Les marionnettes apparaissent à l’école sous trois formes : comme méthode d’enseignement, comme sujet d’étude ou dans des spectacles présentés périodiquement par des marionnettistes extérieurs. Dans de nombreux établissements à travers le pays, les enfants connaissent ainsi leur première expérience de théâtre de marionnettes vivant et plusieurs compagnies ou artistes individuels ont bâti leur réputation dans ce domaine : c’est le cas de Brenda Shafir (ombres), de Margaret Auerbach et de Macfeld von Nieuwkerk (marionnettes à gaine), des Puppet People de Jacqueline Domisse et Cathy Dodders (tous types de marionnette), de Jenny Kirsch, de Jenny Marchand (production multimédia) et de John Rankin, avec des figurines du théâtre d’ombres. Des enseignants comme Gawie de Wet et Susan Stougie, au Cap, enrichissent leur enseignement avec des marionnettes tandis que Chris Voutier travaille avec des enfants handicapés.

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