Catalogués dans les genres de spectacle dits « mineurs », les variétés, le music-hall, le cabaret et le théâtre de marionnettes présentent des similitudes non seulement sur le plan de l’organisation mais aussi quant à leurs exigences poétiques, sans oublier le fait que marionnettes, fantoches, ombres ou ventriloques ont toujours été à l’affiche dans chacun d’eux. Les relations entre ces types de spectacle furent plus particulièrement visibles dans les années à cheval entre le XIXe et le XXe siècle, lorsque, dans plusieurs pays d’Europe, le cabaret connut sa plus grande effervescence dans un climat d’expérimentation et de rajeunissement des arts scéniques, tandis que la réflexion sur les acteurs artificiels atteignait son degré le plus élaboré (voir Esthétique de la marionnette (Occident)). Par leurs moyens scéniques, le cabaret et la variété se rapprochent en effet des spectacles privilégiant l’élément visuel et sonore (donc les sens) plutôt que le texte.

Le cabaret et la marionnette

Le cabaret rejoint l’univers de la marionnette sur un même terrain, empreint de matérialité avec tous ses éléments grotesques, des traits qui ont toujours été privilégiés par les auteurs satiriques. La bravade s’adapte à merveille à l’esprit de subversion de l’ordre établi, culturel ou politique. Cet esprit satirique et parodique a toujours inspiré les cabarets. La mécanisation et la réduction de l’homme à un mannequin expriment cette intention caricaturale et cette volonté de dénoncer l’aspect grotesque de l’être humain, son impuissance face aux automatismes imposés par la morale et les habitudes mentales de la culture en vigueur. Le cabaret et la variété se définissent comme « antinaturalistes » : le théâtre de marionnettes l’est d’emblée, son acteur artificiel ne pouvant imiter l’homme que sur le mode de l’emphase et de la stylisation ; le cabaret se fonde sur la trouvaille, sur le rapprochement improbable d’images et refuse l’enchaînement logique de la pièce réaliste. Ceci vaut aussi bien pour les numéros individuels que pour la construction d’ensemble du spectacle : « conférence », couplet, chanson, acte unique, numéros de marionnettes, danse, théâtre d’ombres sont juxtaposés sans un ordre préétabli, un choix qui évoque le montage récitatif de l’acteur de la commedia dell’arte, dont se sont inspirés les montreurs de toutes les époques. Cette structure fragmentée englobe une multiplicité de langages aussi bien dans le théâtre de figures que dans le cabaret et différents genres de théâtre s’y « contaminent » mutuellement. L’acteur de cabaret présente toujours un statut spécifique et s’il joue un rôle, c’est celui, fixe, d’ « artiste de cabaret », mais il n’interprète pas de « personnage » à proprement parler. Il en est de même dans le cas des masques et figures traditionnelles de marionnette. Dans les deux cas, le spectacle est fondé sur des conventions : les moyens d’expression privilégiés étant la métaphore, l’ellipse, l’allusion et le double sens, le public est invité à « compléter » le spectacle en se fondant sur ces conventions.
Les cabarets de la fin du XIXe et du début du XXe siècle se distinguent des cabarets des années vingt à caractère plus politique. Si au Chat noir (ouvert à Paris en 1881 et pourvu d’un théâtre en 1887), qui servit de modèle pour les établissements postérieurs, Charles de Sivry s’exhibait avec des marionnettes, le cabaret Els Quatre Gats (Les Quatre Chats) fondé à Barcelone en 1897 par Pere Romeu (peintre, marionnettiste et professeur de gymnastique) présentait des concerts, des expositions, des spectacles de marionnettes et d’ombres chinoises (apportés de Paris par Utrillo). Ce cabaret fonctionna jusqu’en 1903 et pendant quatre ans, il présenta les spectacles de marionnettes de Julio Piy Olivella, pour qui le « transformiste » Fregoli composa également deux dialogues.

Le premier des nombreux cabarets allemands de cette époque fut l’Überbrettl (Sur  scènes) fondé à Berlin par Ernst von Wolzogen en 1901 et qui présenta Der tapfere Cassian (Cassian le vaillant) une des parties de la trilogie des Marionnettes d’Arthur Schnitzler. Cet exemple de « méta-théâtre » exploite cette interpénétration entre théâtre d’acteurs, de variétés et de marionnettes, typique du cabaret. En 1901, le Schall und Rauch (Bruit et Fumée) fut fondé à Berlin par Max Reinhardt et accueillit Richard Valletin, un auteur attentif au genre des marionnettes, qui mit en scène entre autres Kasperltheater (Théâtre de Kasperl), un texte, comme son titre l’indique, directement inspiré de la marionnette. Dans l’ambiance de bohème de Munich, naquit la même année le cabaret des Elf Scharfrichter (Onze bourreaux) auquel participa régulièrement Frank Wedekind. La « marche inaugurale » des spectacles utilisait la métaphore de la marionnette et exprimait ainsi une volonté de démasquer les lois et les puissances supérieures auxquelles l’individu doit se plier. À l’affiche figuraient des drames pour marionnettes aux intentions parodiques (Prinzessin Pim und Laridah, ihr Sänger La Princesse Pim et Laridah son chanteur, une « tragédie de patates, de radis, de navets et de pommes pour marionnettes, mise en scène avec ses propres fruits et légumes »). Dans ce drame politique de Paul Larsen, mis en scène par Otto Falckenberg et Leo Greiner, les Puppen (marionnettes) étaient manœuvrées par le bas et les nombreux manipulateurs étaient installés à la place de l’orchestre. À Vienne, en 1907, s’ouvrit le cabaret Fledermaus (la Chauve-Souris) qui, dans la même veine, donna des drames pour marionnettes en potiron (Kurbispuppen). Le peintre Oskar Kokoschka y réalisa des décors et y fit jouer un théâtre mécanique (L’Œuf à pois). En 1908 à Moscou, le nom fut repris volontairement par le Letucaja Mys (La Chauve-souris), un cabaret qui devint le lieu de rendez-vous des comédiens du Théâtre d’art, qui à la fin de leurs représentations parodiaient des œuvres contemporaines, en se servant souvent de marionnettes. Ainsi, dans la parodie de L’Oiseau bleu de Maurice Maeterlinck, les fantoches représentaient Stanislavski et Nemirović Dancenko en quête du petit oiseau bleu (métaphore du succès) dans une forêt de journaux moscovites symbolisant les obstacles mis sur leur chemin par la critique. À Cracovie, le Zielony Balonik (Le Ballon vert), ouvert en 1905, cultiva notamment la szopka satirique sous l’impulsion de l’ « enfant terrible » de la littérature polonaise, Tadeusz Boy-Żeleński.

Le cabaret et le théâtre d’ombres

Outre les marionnettes, les ombres eurent la faveur des artistes de cabaret. Les ombres chinoises les plus célèbres en Europe à la fin du XIXe siècle étaient celles de Henri Rivière et Caran d’Ache que l’on pouvait voir au Chat noir de Rodolphe Salis. Des établissements comme le Schall und Rauch, ou l’Elf Scharfrichter reprirent aussi la tradition du théâtre d’ombres. Toutefois, les Schwabinger Schattenspiele (Jeux d’ombres de Schwabing), fondés en 1907 par Alexander von Bernus et Karl Wolfskehl au sein des Elf Scharfrichter, s’éloignaient du genre comique et de la satire parfois pratiqués au Chat noir pour se rattacher plutôt au romantisme. Dans le programme d’ouverture de l’Überbrettl de Wolzogen apparaissait un jeu d’ombres sur la ballade de Lilienkron, König Kagnar Lodbrog (Le Roi Kagnar Lodbrog), tandis qu’au Fledermaus de Vienne étaient projetées des ombres accompagnées de récitations de poèmes.  Henri Rivière et Georges Fragerolle, du Chat noir, furent par ailleurs accueillis en 1901 au Wiener Kleinbühne (Petit théâtre de Vienne) de Felix Salten avec leur drame Ahasver.

Une autre vague des cabarets se situe autour des années vingt. En 1919, le Schall und Rauch fut réouvert et Walter Mehring y mit en scène une Orestie dadaïste avec des marionnettes de Georg Grosz et John Heartfield, réalisées par Waldemar Hecker : Einfach Klassisch: eine Orestie mit glücklichem Ausgang (Simplement classique : une Orestie avec un dénouement heureux), une parodie de l’Orestie d’Eschyle qui avait été mise en scène par Max Reinhardt au Grosses Schauspielhaus. Au cabaret Voltaire, à Zurich, où le mouvement Dada fut fondé en 1916, fut créé Simultanische Krippenspiel (Crèches vivantes simultanées), un concert bruitiste en sept tableaux accompagné du texte de l’Évangile, une représentation de la Nativité reprise à la tradition de la szopka polonaise.

Le music-hall, la variété et la marionnette

Moins directement impliqué dans le mouvement de rénovation du théâtre du début du XXe siècle, bien que cité en exemple par les futuristes, le music-hall naquit en Angleterre à la fin des années 1840. Les premiers music-halls étaient ce qu’on appelait en France des cafés chantants ou des cafés-concerts : des établissements où l’on pouvait aller et venir, manger et boire. Dans un espace marqué par une étroite proximité entre acteurs et public, se produisaient des chanteurs, des ventriloques, des jongleurs, des acrobates, des magiciens, des danseurs et, quoique de manière plus épisodique, des marionnettistes. Le premier marionnettiste spécialisé dans le music-hall fut George Bryant autour de 1870. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, divers artistes anglais, nés dans ce milieu, firent de véritables tournées à l’étranger comme marionnettistes, à l’instar de Carl Howlette avec ses petits fantoches dans les pays scandinaves. Leurs petits théâtres étaient très faciles à présenter et à démonter dans un espace exigu et permettaient des changements de scènes rapides. À la fin du siècle, Richard Barnard se déplaça aux États-Unis et en Australie tandis que John Hewelt (Charles de Saint-Genois) sillonna l’Angleterre avec son théâtre des Gringalets qui, outre des artistes du café chantant, présentait un théâtre miniature avec orchestre et public de marionnettes. Au début du XXe siècle, les spectacles de variétés qui accueillaient des marionnettes étaient nombreux et certains avec de curieuses déclinaisons comme l’Electric Marionettes (les Marionnettes électriques) de Paul Powell appelé ainsi car la scène était illuminée par des centaines d’ampoules.

À la fin de la Première Guerre mondiale, les cafés-concerts avaient cédé la place aux véritables music-halls : les rangs de fauteuils remplacèrent l’espace ouvert fait de tables, ce qui rendit la représentation plus complexe et structurée et influença la nature du spectacle. Se retrouvant face au public, les artistes de variétés, dont les marionnettistes, durent travailler davantage les effets scéniques. Les avant-gardes virent dans ces genres réputés mineurs, des modèles pour une revitalisation du spectacle (Marinetti, Manifeste pour un théâtre de variété, 1913 ; Oskar Schlemmer, Cabaret mécanique au Bauhaus, 1923). Dans les années cinquante, le Teatro dei Piccoli de Vittorio Podrecca firent des tournées dans le monde entier avec le spectacle Varietà qui incluait parmi ses personnages les figures de Josephine Baker et de Maurice Chevalier. À la même époque, de nombreux marionnettistes donnaient des « numéros », des sketches, ce qu’on appellerait aujourd’hui des formes brèves, tant au cabaret qu’au music-hall : Yves Joly, Louis Valdès, André Tahon, Georges Lafaye étaient ainsi portés par la vogue des cabarets « rive gauche » à Paris, tandis qu’en Suisse le cabaret de Fred Schneckenburger fournissait un modèle artistique de grande influence. La virtuosité de ces solistes était mise au service d’un univers poétique mais aussi d’une compréhension nouvelle des possibilités spectaculaires de la marionnette. Ces possibilités se manifestaient dans le rapport qui s’instaurait entre la elle et le marionnettiste (qu’on pense au Pierrot de Valdès, constatant qu’il est manipulé), dans l’usage métaphorique des objets et des matériaux (qu’on pense aux spectacles à main nue ou aux ombrelles d’Yves Joly à la Rose rouge) ou encore dans les techniques de pointe mobilisées par un « magicien » comme Georges Lafaye jouant avec la lumière et des couleurs, à la Fontaine des Quatre Saisons, mais aussi au centre Georges-Pompidou.

(Voir aussi Etats-Unis d’Amérique, Music-hall, variétés et vaudeville, Ventriloque.)

Bibliographie

  • Bayerdörfer, Hans-Peter. “Überbrettl und Überdrama. Zum Verhältnis von Literarischem Kabarett und Experimentierbühne”. Literatur und Theater im Wilhelminischen Zeitalter. Eds. Hans-Peter Bayerdörfer, Karl Otto Conrady and Helmut Schanze. Tübingen: Niemeyer, 1978, pp. 292-325.
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  • Grazioli, Cristina. Lo specchio grottesco. Marionette e automi nel teatro tedesco del primo ‘900. Padova : Esedra, 1999.
  • Groshens, Marie-Claude. Des Marionnettes foraines aux spectacles de variétés : les théâtres Borgniet. Paris : Réunion des Musées Nationaux, 1995.
  • Latour, Geneviève, Le « cabaret théâtre » 1945-1965: Caves, bistrots, restaurants, jazz, poésie, sketchs, chansons. Bibliothèque historique de la Ville de Paris : Agence culturelle de Paris, 1996.
  • Phillips, John. « A Survey of Victorian Marionette Companies ». The Puppetry Yearbook. Vol. III. Lewiston (NY) : The Edward Mellen Press, 1997.
  • Speaight, George, ed. The Life and Travels of Richard Barnard Marionette Proprietor. London : Society for Theatre Research, 1981.