Les Amérindiens ont peuplé les Amériques en passant par les terres émergées à la place de l’actuel détroit de Béring durant la dernière glaciation (la date est controversée : entre 40 000 et 12 000 ans avant notre ère, selon les thèses en présence). Leur population, estimée à 90 millions au milieu du XVIe siècle, n’était plus, dans les années quatre-vingt-dix, que de 2 millions et de 26,3 millions respectivement dans les parties nord et sud du continent. Des quelque 2 000 langues parlées initialement, plus de la moitié ont disparu et la plupart sont toujours menacées.

Les peuples indigènes des Amériques sont les habitants précolombiens du nord, du centre et du sud du continent et leurs descendants. Dans les pays hispanophones, par exemple, Pueblos indígenas (peoples indigènes) est le nom général communément employé tandis qu’en Argentine, on utilise souvent l’appellation Aborigen (aborigènes) ; en Guyane, les indigènes sont généralement nommés « Amérindiens ». Au Canada, ils sont communément connus comme peoples aborigènes, terme qui inclut les peuples des Premières Nations, les Inuit et les Métis. Aux États-Unis d’Amérique, les nombreux tribus et groupe ethniques sont définis, généralement, comme « Native Americans » (natifs d’Amérique), Amérindiens et « Alaskan Natives » (natifs d’Alaska). Le terme peuples indigènes utilisé pour les dénommer varie selon les régions et les générations.

La marionnette chez les Amérindiens

Les chercheurs ont découvert que certaines cultures amérindiennes faisaient – et, parfois encore, font – jouer divers rôles (sociaux, religieux) à des marionnettes à doigts, à gaine, à tiges, à fils, habitées (voir Marionnette habitable) ou objet. On sait que les chamans employaient des masques et des marionnettes pour entrer en communication avec les esprits, pour les infléchir ou pour entretenir l’illusion sur leurs propres pouvoirs. On peut voir certaines de ces marionnettes dans plusieurs musées américains, notamment dans la Heye Foundation Collection du National Museum of the American Indian (Collection de la Fondation Heye du Musée national des Amérindiens), Washington, DC et New York, au Museo Nacional de Antropología (Musée national d’anthropologie), Mexico, ainsi qu’au Royal British Columbia Museum (Musée royal de Colombie-Britannique), Victoria, Colombie-Britannique, Canada.

Les sources documentaires

Les premières informations sur les marionnettes mexicaines, mayas et toltèques datent du XVIe siècle. En Amérique du Nord les cérémonies faisant appel aux marionnettes sont toujours accomplies chez les Hopi du sud-ouest des États-Unis, chez les Kwakiutl de la côte nord-ouest et chez les Inuit des zones arctiques. On en retrouve des traces certaines chez les Zuñi et les Navajo du sud-ouest, ainsi que dans quelques cultures amérindiennes des Plaines ou des Woodlands.

Pour le domaine sud-américain, l’information est rare. Se fondant sur des analogies fournies par d’autres aires culturelles, notamment méso-américaines, Andreo Rodolfo Sirolli estime que des têtes en argile archaïques, mises au jour dans le nord-ouest de l’Argentine, pourraient avoir appartenu à des marionnettes.

Le Popol Vuh (Livre du Conseil), texte maya-quiche du milieu du XVIe siècle, développe une allégorie décrivant les humains comme des mannequins de bois, dépourvus de sagesse « devant ceux qui les fabriquèrent, les procréèrent, les animèrent ».

Bernal Díaz del Castillo, conquistador et compagnon de Cortés, auteur de la Véridique Histoire de la Conquête de la Nouvelle-Espagne fournit les premières descriptions de marionnettes mexicaines. Bernardo de Sahagún (mort en 1590) rapporte le spectacle donné sur un marché par un chaman faisant danser une minuscule figure dans la paume de sa main, avec un succès tel que les gens se piétinaient pour le voir.

Certains bas-reliefs représentent des hommes qui, probablement, manipulent des marionnettes, notamment le panneau de Chinkultic (Chiapas, Mexique, vers 800 après J.C.), où un homme, debout, tient une poupée suspendue à son avant-bras. La présence de phylactères semble indiquer, selon Alejandro Jara-Villaseñor, qu’il s’agirait d’une scène de marionnettes ou de ventriloquisme, comme si le prêtre s’adressait au spectateur. Le même auteur a décrit un serpent de feu du codex Aubin (1300-1521), qui semble composé de plumes et de papier, avec une langue mobile qui pouvait se redresser et s’abaisser.

Des fouilles ont mis au jour des poupées d’argile articulées, datées, pour les plus anciennes, de 300 après J.C., hautes de 5 à 50 centimètres, et appartenant aux cultures maya, totonaque, tlaxcaltèque, choluteca, mexica et de Teotihuacán. Les membres sont articulés au corps par de la fibre naturelle. Un exemplaire, attribué à la culture tonaca, a la tête percée d’un trou, peut-être pour y passer un fil ou une tringle destinés à sa manipulation. Dans la mesure où c’est seulement l’articulation des membres qui a fait interpréter ces poupées comme des marionnettes, on ne peut pas exclure qu’elles étaient simplement des jouets.

Le sud-ouest des États-Unis

Dans le Sud-Ouest des États-Unis, les Hopi, habitants des pueblos, accomplissent encore des cérémonies où des hommes masqués personnifient les kachinas ou esprits. Les hommes sculptent des poupées représentant ces kachinas, qu’ils tiennent en lieu sûr en raison de leur valeur bénéfique, et ne les montrent qu’aux femmes, aux filles et aux très jeunes garçons.

Comme les poupées, certaines marionnettes hopi recèlent l’essence des kachinas, par exemple la Demoiselle du Maïs faite à la ressemblance de S’alako, danseur kachina. Les manipulateurs dissimulés derrière un écran animent, à l’aide de fils, les marionnettes qui moulent le maïs au cours d’une cérémonie spécifique. À un moment, le manipulateur passe une brosse pour balayer la pierre de meule, mais de telle sorte qu’on croit voir la marionnette le faire. On donne aux Demoiselles du Maïs des cœurs artificiels car ce sont des être doués de vie et de sentiments. Avant toute représentation, on rénove les marionnettes, auxquelles on donne des cœurs neufs.

Comme tous les agriculteurs traditionnels des climats arides, les Hopi accomplissent des rites pour faire venir la pluie ; telle est la fonction de la cérémonie du Serpent d’Eau, décrite pour la première fois en 1881 : des manipulateurs, invisibles derrière un écran peint, percé de trous, faisaient surgir de ceux-ci des marionnettes à gaine représentant les serpents d’eau auxquels des kooyemsi (clowns « Têtes-de-Boue ») s’opposaient en combats comiques. D’autres danseurs kachinas luttaient d’une main avec une marionnette de serpent portée sur un faux bras fixé à l’autre bras pour parfaire l’illusion.

Lors de la cérémonie du Serpent de la Jarre, les Têtes-de-Boue vainquaient les serpents d’eau sortant des récipients – marionnettes de serpents que des manipulateurs cachés animaient au moyen de fils passant par-dessus des poutres.

Au cours des cérémonies du Serpent d’Eau et de la Demoiselle du Maïs, des marionnettes de bécasseaux, à fils, sautillaient le long d’une perche, en haut de l’écran. Leur tête faisait le mouvement de picorer le maïs que les danseurs kachinas leur donnaient. Il semble que les Hopi accomplissent encore les cérémonies à marionnettes dans les kivas, qui sont leurs espaces cérémoniels.

Les Zuñi, héritiers de la même culture que les Hopi, sculptent des poupées kachinas. Bien que leurs bras soient articulés, on n’a pas la preuve qu’elles aient servi à des jeux de marionnettes. Par ailleurs, des documents graphiques montrent des shalako (danseurs zuñis dissimulés sous un habillage de tissu et portant des masques au bout de longues perches) que l’on peut classer parmi les marionnettes habitées.

Chez les Navajo (Navaho), voisins des Hopi et des Zuñi, une cérémonie a été décrite en 1882, au cours de laquelle une plume dansait debout dans une corbeille. À l’aide de fils dissimulés, un manipulateur synchronisait les mouvements de la plume avec ceux d’un jeune danseur. Une danse semblable est attestée chez les Hopi. La plume animée pourrait être considérée comme une marionnette-objet.

Le littoral du nord-ouest

Les Amérindiens du nord-ouest habitent le littoral, de la péninsule d’Alaska au Puget Sound (État de Washington). Ils sont connus, surtout, pour leur cérémonie dite « potlatch », décrite dès 1792. Ce potlatch validait le rang de l’hôte et ses privilèges, parmi lesquels le droit de porter certains masques, d’exécuter certaines danses, de réciter certaines légendes. Les potlatchs, qui duraient généralement plusieurs jours, avec spectacles, festins et distribution de cadeaux, furent interdits par le gouvernement canadien sur recommandation des fonctionnaires et des missionnaires inquiets de cette grande consumation de richesses. Chez les Kwakiutl, notamment, on passa outre. L’interdiction fut finalement levée en 1951 et le Congrès des États-Unis vota l’American Indian Religious Freedom Act en 1978. Aujourd’hui, par exemple, les potlatchs kwakiutl ont lieu dans la famille Lelooska, à Ariel dans l’État de Washington.

Certaines marionnettes des Indiens du nord-ouest étaient montées sur le masque de danseurs qui les animaient par des fils dissimulés. Elles représentaient la pieuvre, la roussette, le héron, la chouette ainsi que des figures humaines articulées. Les figures articulées, dont certaines représentaient des cadavres, étaient portées sur la coiffe. On a l’exemple d’une marionnette de cadavre portée sur la nuque du danseur, et dont la tête, montée sur un ressort, semblait agitée de mouvements involontaires. Des baleines articulées étaient également portées sur des masques, mais il en existait de très grandes, maintenues, par un harnachement, au dos du danseur.

D’autres marionnettes étaient indépendantes des masques, notamment des oiseaux qui volaient, animés par des fils passant par-dessus une poutre, et d’autres qui descendaient par le trou de fumée. On a l’exemple d’une cérémonie au cours de laquelle une marionnette d’oiseau volait la tête d’une marionnette humaine, puis la rendait. Des grenouilles et des canards sur roulement étaient tirés par des fils sur le sol. Les crabes possédaient des pinces et des pattes articulées. On pouvait voir des marionnettes de saumons sauter hors de l’eau et de baleines remorquées par un canoë. Grâce à des fils cachés sous terre, des marionnettes humaines surgissaient sur commande de boites dans lesquelles elles étaient couchées. Quelques grands personnages humains, d’une surprenante beauté, aux articulations capables de mouvements complexes, pouvaient parcourir l’espace de représentation. L’un d’eux était muni de volets qui, en s’ouvrant, dévoilaient une image cachée dans sa poitrine.

Le feu qui tremblait au centre de la vaste chambre cérémonielle laissait des zones d’ombre qui rendaient invisibles les manipulateurs et qui dissimulaient les fils à la vue des spectateurs. Des passages souterrains permettaient les apparitions et disparitions miraculeuses. Les chamans gardaient jalousement les secrets d’animation par lesquels les marionnettes et les masques contribuaient à renforcer leurs pouvoirs. Autrefois, on pouvait mettre à mort quiconque les avait révélés.

La zone arctique

Les Inuit habitent la zone arctique de l’Amérique du Nord. On a trouvé des personnages à mécanique chez la plupart d’entre eux, et les groupes de langue yupik de l’Alaska occidental en possèdent encore. Dès 1842, un lieutenant de vaisseau russe assista, près de Saint-Michael à une cérémonie villageoise montrant des chouettes aux ailes battantes, des mouettes plongeant pour pêcher et des lagopèdes se donnant des coups de bec. D’autres témoignages mentionnent des figures humaines qui bougeaient, parlaient et même se déplaçaient dans la pièce éclairée par des chandelles et des lampes à huile.

Les maisons communautaires étaient le théâtre des cérémonies destinées à célébrer les grandes occasions ou à assurer une chasse fructueuse. Une maquette d’ivoire sculpté décrit une cérémonie au cours de laquelle une baleine montait et descendait grâce à un fil passé par-dessus une poutre. C’est là ce qu’on pourrait appeler une marionnette, bien que la littérature muséale en parle comme d’« objets de danse ». Parmi ceux-ci, on trouve une chouette aux ailes mobiles, un oiseau à jambes humaines, un homme volant et un autre dans son kayak. Une photographie de cérémonie contemporaine montre un mannequin humain, grandeur nature et habillé, animé par des fils. On a vu aussi un danseur manipuler une vessie d’animal portant le dessin d’un visage humain comme s’il s’agissait d’une marionnette à gaine.

On pourrait aussi appeler « marionnette » un objet yupik, le « modèle » ou la « maquette d’univers », qui consiste en anneaux reliés les uns aux autres par des tiges. Paré de plumes et d’un duvet appelé « flocons de neige », il était secoué par des cordes pendant du plafond au rythme des percussions et des chants, et, décorant les anneaux, des figures en bois, parfois animées apparaissaient d’elles-mêmes.

Des grands masques portés verticalement comprenaient une sculpture de baleine entière. D’autres grands masques, dont un saumon, étaient suspendus aux poutres tandis que, derrière eux, des danseurs évoluaient. On a pu décrire un « masque » de plongeon arctique de 1,50 mètre de côté, suspendu, et au centre duquel un danseur se produisait. Ces masques peuvent être considérés comme des marionnettes habitées. De même, on peut appeler marionnettes à doigts, les petits masques que les danseuses passaient à leurs doigts pour faire ressortir leurs mouvements.

Plaines et forêts

Dans les autres aires culturelles nord-américaines, quelques objets seulement peuvent être classés parmi les marionnettes. Les Sioux, Amérindiens des Plaines, portaient pour leur danse des chevaux des bâtons représentant leurs montures de guerre. Les Ojibwa du Canada et les Menominee avaient respectivement des poupées « jongleuses » et des sortes de personnages attachés à des bâtons par des fils.

Conclusion

Il est permis de penser qu’il existait d’autres arts traditionnels de la marionnette, au-delà des quelques exemples donnés ici, dans les nombreuses cultures amérindiennes et inuites. Les sources graphiques (écrites chez les Maya) sont rares ou d’une interprétation difficile, et les objets en matériaux périssables n’ont pas été conservés. Cependant, celles des sociétés traditionnelles qui ont conservé et porté à un haut niveau artistique leur art de la marionnette posent le passionnant problème de savoir quelles techniques de fabrication, quelles fonctions sociales, entre autres critères, permettent de dire qu’un objet donné est une marionnette ou non.

(Voir aussi Amérique du Nord, Amérique latine, Canada, États-Unis d’Amérique, Mexique, Rites.)

Bibliographie

  • Bahti, Tom. Southwestern Indian Ceremonials. Las Vegas: KC Publications, 1974.
  • Feder, Norman. American Indian Art. New York: Abrams, 1965.
  • Fienup-Riordan, Ann. The Living Tradition of Yup’ik Masks. Trans. Marie Meade.Seattle: Univ. of Washington Press, 1996.
  • Geertz, Armin W., and Michael Lomatuway’ma. Children of Cottonwood: Piety and Ceremonialism in Hopi Indian Puppetry. Lincoln: Univ. of Nebraska Press, 1987.
  • Hawthorn, Audrey. Kwakiutl Art. Seattle: Univ. of Washington Press, 1967.
  • Holm, Bill. Spirit and Ancestor: A Century of N.W. Coast Indian Art at the Burke. Seattle: Univ. of Washington Press, 1987.
  • Jara-Villaseñor, Alejandro. Precolumbian Puppets of Mesoamerica. Trans. Adriana Robles-Jara. Ed. Terry Tannert. Special issue of Tulsa Puppetry Foundation Quarterly (April 1994).
  • Jonaitis, Aldona. Chiefly Feasts: The Enduring Kwakiutl Potlatch. Seattle: Univ. of Washington Press, 1991.
  • Lenz, Mary Jane. Small Spirits: Native American Dolls from the National Museum of the American Indian. Seattle and London: Univ. of Washington Press, 2004.
  • Lenz, Mary Jane. The Stuff of Dreams: Native American Dolls. New York: Museum of the American Indian, 1986.
  • « Native Americans ». Microsoft Encarta Encyclopedia. 2001 ed. Ray, Dorothy Jean. Eskimo Masks: Art and Ceremony. Seattle: Univ. of Washington Press, 1967.
  • Sirolli, Antonio Rodolfo. Titeres Prehispanicos? Argentina: Instituto de Antropología y Ciencias Afines, 1971.
  • Wardwell, Allen. Objects of Great Pride: Northwest Coast Indian Art from the American Museum of Natural History. NY: The Center for Interamerican Relations & the American Federation of the Arts, 1978.
  • Wright, Barton. Hopi Kachinas: The Complete Guide to Collecting Kachina Dolls. Flagstaff: Northland Press, 1977.