Officiellement République Démocratique du Peuple Lao (en lao : Sathalanalat Paxathipatai Paxaxon Lao), l’existence du Laos, petit pays d’Asie du Sud-Est, s’est souvent déroulée dans l’ombre de ses voisins, la Birmanie, le Viêt-Nam, le Cambodge et, surtout la Thaïlande où les locuteurs de langue lao sont trois fois plus nombreux qu’au Laos même.

L’art de la marionnette leur a emprunté beaucoup de ses modèles, mais des formes spécifiquement lao par la langue et la musique attirent des foules de spectateurs : ce sont les marionnettes habitées des cérémonies festives, le théâtre de cour khmer-thaï et les traditions populaires du théâtre d’ombres.

Fêtes et célébrations

De grandes figures masculines (Pu Nyeu ou Nheu), féminines (Nya Nyeu ou Nheu) et des lions (singkeo singkham) font partie des processions de la fête de Pu Mai (Nouvel An), chaque année en avril, à Luang Prabang. Ces marionnettes habitées, à grosse tête en bois et à corps de raphia, représentent le couple mythique originel du royaume de Luang Prabang, qui trancha l’énorme calebasse renfermant les animaux, les gens, les plantes et les pierres précieuses. Cette action entraîna leur mort, mais donna naissance au royaume qui fut gouverné par le fils d’un dieu descendu du ciel. Le couple originel prend part à la procession où une belle jeune femme, la Nang Sang Khan, est choisie pour représenter une des sept filles de Kabilaphom, un dieu souverain à quatre visages, qui fut décapité. Pour éloigner les calamités, les jeunes femmes qui représentent ses filles doivent défiler une fois l’an en portant sa tête. Des offrandes sont faites à Pu Nyeu et à Nya Nyeu dans le temple de Sieng Tong.

La procession a lieu du dernier jour de l’année en cours au premier jour de la nouvelle année. La figure de lion qui y prend place se rattache, du point de vue de l’imagerie, au lion chinois et viêtnamien ainsi qu’au barong indonésien. Les marionnettes habitées d’homme et de femme, grossièrement construites, sont analogues aux personnages de l’ondel-ondel ou au barong landang d’Indonésie. Ces trois personnages, le couple et le lion peuvent représenter, respectivement, les ancêtres et l’énergie animale. Ils ont pour fonction d’exorciser le diable et d’apporter la fertilité.

Fusées et cerfs-volants

Les fusées et les cerfs-volants, en tant qu’objets dirigés ou manipulés, appartiennent à un art de la marionnette très largement défini. Au Laos, ils servent traditionnellement à communiquer avec le dieu de la Pluie. On raconte qu’un crapaud illuminé (Phraya Khan Khak), incarnation du Bouddha, s’attira le courroux de Phaya Thaen, le dieu de la pluie. Celui-ci attaqua le crapaud, qui le vainquit. Selon les termes de leur traité de paix, il fut décidé que quand les hommes enverraient des fusées vers le ciel pour demander de la pluie, le dieu devrait les exaucer et que les grenouilles chanteraient sous l’averse en souvenir du crapaud.

Les fusées, de forme phallique, sont brillamment colorées, et sont parfois décorées d’un naga (serpent ou dragon), lequel est associé à l’eau et à la fécondité. La fête des fusées (Bun Bang Fai) exprime chaque année le désir de voir revenir la saison des pluies. Quand il est temps que celle-ci se termine, on le signifie à Phaya Thaen en faisant voler des cerfs-volants au son des flûtes. Ces objets (fusées et cerfs-volants) souvent décorés de représentations anthropomorphiques et qu’une manipulation humaine propulse vers le ciel sont à la fois une prière aux divinités célestes et l’occasion de faire la fête.

L’art de cour

On sait peu de chose de l’histoire ancienne de la marionnette laotienne, mais il est vraisemblable qu’elle faisait partie des divertissements royaux depuis 1352, date à laquelle le prince Fa Ngum King de Lan Xang (« Million d’éléphants ») aurait introduit les spectacles fondés sur le Râmâyana (aventures du prince Rama) et sur les jâtaka (incarnations du Bouddha). En cela, le Laos ne faisait probablement qu’imiter les pays avoisinants qui avaient intégré ces narrations traditionnelles aux spectacles de marionnettes. Pour ce qui est du Laos, cependant, la première mention de ces spectacles est postérieure à 1778, date à laquelle la domination siamoise s’est étendue à tout le pays. Pendant cette période, le nang yai (théâtre d’ombres à grandes figures opaques) et le khon (danse de masques) siamois (voir Thaïlande) furent introduits dans les cours laotiennes ainsi que les spectacles de danseuses.

Les plus grands artistes étaient formés à Bangkok et le modèle siamois, avec orchestre phipat, fut soigneusement reproduit. Cet art de cour fut dévitalisé par la colonisation française, qui débuta en 1893. Au 20ème siècle, seuls subsistaient des fragments de danses de cour et le représentations masquées comme l’ ipok – une forme qui correspond à l’hun krabok thaiïandais marionnettes à tiges. L’offensive américaine des années soixante et soixante-dix interdit alors toute représentation en Asie du Sud-est et, en 1975, la République démocratique et populaire du Laos fut proclamée. Les spectacles de danse et de masques ou ipok survécurent cependant, ainsi que le hun krabok (marionnettes à tiges) thaïlandais. Une modeste renaissance des spectacles de masques eut lieu d’abord en 1998 dans des temples de Luang Prabang et se poursuivit à l’intention des touristes, mais ces survivances de la monarchie passaient, dans le dernier quart du XXe siècle, pour des anachronismes indignes d’un État égalitaire.

Traditions populaires

Le nang daloong – genre comique proche du nang talung thaïlandais et de l’ayâng (nang sbek touch) cambodgien – emploie de petites figures d’ombres opaques, en cuir, munies d’une tringle centrale et de tiges attachées aux mains. Il est joué de nuit en plein air derrière un écran blanc. Son apparition, repérée en 1926, est due à des amateurs qui donnèrent des représentations du Râmayana thaïlandais (Ramakien, « Gloire de Rama ») au son de xylophones, de cymbales à doigt et de tambours. Au tout début du XXIe siècle, les compagnies jouaient des contes lao et des histoires tirées du répertoire thaï. L’accompagnement musical se fait avec un orgue à bouche en bambou (kaen) et par le chant mawlum pour attirer le public local. Cependant, la musique amplifiée exécutée sur des instruments occidentaux est également présente. Bien que le genre soit issu du wayang malayo-indonésien, les nombreux manipulateurs ont remplacé le maître jouant en solo et l’aspect rituel en est absent.

Bibliographie

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