Théâtre traditionnel de Bali, Java, Sunda (Ouest javanais), Bali, Lombok, Sumatra, Kalimantan et des régions d’Indonésie ou de Malaisie soumises à l’influence javanaise. On considère habituellement que le terme wayang vient de bayang, « ombre ». Ou le théâtre d’ombres est considéré comme l’ancêtre de toutes les autres formes de marionnettes, de théâtre masqué et de théâtre dansé.

Le théâtre traditionnel

Le modèle du théâtre traditionnel est le spectacle de marionnettes, qui passe pour plus ancien. Dans un endroit donné, le théâtre est donc sous la dépendance d’un dalang, maitre narrateur qui donne sa forme générale à la représentation. Il récite le texte, dirige l’orchestre de métallophones appelé gamelan, exécute les dialogues et anime les figures. Également vocaliste, il (mais parfois, elle) exécute les parties chantées, récite les mantras qui protègent le spectacle et, grâce aux bouffons, introduit de l’humour dans le déroulement de l’histoire. Il dirige l’orchestre par des coups donnés sur le coffre de la marionnette. S’il dirige des acteurs humains, les danseurs ont une certaine marge d’improvisation, y compris dans les dialogues, mais, à l’inverse, ils doivent suivre attentivement les possibles improvisations du dalang : ils sont les wayang orang, les « marionnettes humaines » de son spectacle. Peut-être parce que, initialement, le théâtre traditionnel reposait entièrement sur un dalang soliste, le wayang pratique une forme de stylisation où une seule personne peut représenter différents personnages selon la syntaxe des types.

Les types

Bien que leurs noms diffèrent parfois, les grands types de personnages sont l’homme distingué (alus), la femme distinguée (putri), l’homme fort (gagah) et le démon (denawa). À quoi s’ajoute le bouffon (panasar à Bali, punakawan à Java). Le personnage distingué aura souvent le visage blanc, couleur associée au noble ou au divin. Il occupe dans le récit le rôle du héros, Râma dans le Râmâyana, Panji dans les légendes javanaises, Arjuna dans le Mahâbhârata. Le principe féminin (putri) est dévolu aux héroïnes telles que Sîtâ, épouse de Râma, Candra Kirana, amante de Panji ou Sumbadra, épouse d’Arjuna. L’homme fort, principe actif, est représenté par Hanuman, général en chef de l’armée des singes dans le Râmâyana, par Tumenggung, premier ministre dans les histoires de Panji, par le grand et franc Bima (un des cinq fils de Pandu) du Mahâbhârata. Les ogres, liés au monde souterrain et à la mort, jouent les rôles de méchants ou de contrariants. Tel est Râhwana (en Inde Râvana) dans le Râmâyana, Kelana dans les histoires de Panji ou Dursasana dans le Mahâbhârata. Le bouffon, d’origine divine mais de classe inférieure, est un androgyne. Il (Semar) combine femelle et mâle, humain et divin et constitue un mélange de toutes les autres énergies ; il est lié à la notion de centre et au moi de l’exécutant.

Rois, ogres et bouffons

Cette typologie est à la fois très prescriptive (elle définit la qualité de la voix ou le dynamisme d’un mouvement) et assez ésotérique (le long du littoral nord de Java, les divers types sont associés aux points cardinaux, aux âges de la vie ou aux éléments tels que la terre, l’eau, l’air). Elle est vraisemblablement la conséquence de l’état premier de ce théâtre, qui était initialement joué en solo. Les exécutants codifièrent les différentes émissions de voix et mouvements dont ils étaient physiquement capables afin de bien fixer les particularités des différents personnages. Par exemple, les personnages distingués émettent une note basse et, pour produire une résonance agréable, l’élargissent au niveau de leur larynx, tandis que les rois-ogres emploient des notes hautes et changeantes enrichies de résonances mettant en jeu les fosses nasales et la poitrine. On fera danser le personnage distingué de la main droite, capable de grâces, mais la main gauche, avec ses mouvements plus saccadés, sera utilisée pour les ogres dont le caractère mal dégrossi sera ainsi souligné.

Dans son exercice le plus accompli, l’art de la marionnette ouvre l’exécutant à la découverte de la force unitaire qui se manifeste diversement sous l’apparente multiplicité de l’univers.

Le bouffon (Semar à Java et à Sunda, Twalen à Bali) est le personnage le plus proche du moi du dalang. Il est à la fois la divinité descendue sur terre et le dernier des hommes, valet du héros. Androgyne, il est mère et père de ses fils. Même s’il appartient au monde du conte, ses plaisanteries concernent le monde actuel. Certains auteurs le rattachent aux traditions de transvestisme chamanique dont relèvent les bissu de Sulawesi. Il est possible que les bouffons soient nés de la philosophie tantrique selon laquelle les composantes féminines et masculines, en chaque être, doivent s’épouser pour donner naissance à une âme éclairée. Les notions de rituel et d’exorcisme sont nettement attachées au personnage du bouffon, qui semble appartenir à la tradition des baul, bouffons magiciens bengalis. Dalang et baul auraient une origine commune dans les sectes shaïvites pasu-pata, dont les initiés accédaient à l’illumination par la voie de la bouffonnerie et de la déviance. Ces sectes, attestées à Java du VIIIe au XVe siècles période hindouiste et bouddhiste, employaient les arts du spectacle pour diffuser leurs enseignements.

La musique

La musique et sa manifestation visible, la danse, sont centrales dans le wayang. Les tambours accompagnent les mouvements de la danse et transmettent les indications de tempo données par le dalang. Les orchestres sont composés, surtout, de métallophones (lames, cloches et gongs) ou percussions métalliques. Dans le wayang balinais, quatre instruments de bronze appelés gender wayang sont utilisés. A Java et à Sunda l’instrument est un gamelan (gong carillon). Les instruments javanais incluent généralement des métallophones en bronze avec des clés de différentes octaves : saron, peking, panerus barang, slenthem, gender à lames, couvrant plusieurs octaves ; à « casseroles » : bonang, rincik, kenong, kempyang, ketuk ; à quoi s’ajoutent des xylophones (gambang), flutes (suling), tambours (kendang, ketipung, kulanter, bedug), gongs suspendus (kempul, siyem, goong) et instruments à cordes (rebab, celempung). Les voix, surtout celle de la chanteuse (sindhen ou pesinden), sont aussi très importantes.

Les gamelans de la région centrale de Java innovèrent à la fin du XXe siècle en réunissant deux sortes d’ensembles instrumentaux, le martial slendro propre aux grands récits hindous et le mélancolique et romantique pelog. La combinaison orchestrale pelogslendro est probablement une innovation relativement récente dans les salles du centre de Java depuis que, dans la plupart des formes régionales, la mise au point est liée au thème de l’histoire présentée. Slendro est employé pour les histoires de Mahâbhârata et Râmâyana ; pelog est employé pour les légendes javanaises ou islamiques. Le premier est fondé sur une gamme pentatonique, le second sur une gamme heptatonique qui sonne comme un mode mineur aux oreilles d’un Occidental.

La musique participe de multiples manières à l’action du wayang : la voix de chaque personnage est définie par un ambitus et un débit qui lui sont particuliers ; chaque personnage, certaines actions correspondent à des thèmes mélodiques spécifiques.
Les chants suluk (mood songs en anglais) participent à la scénographie sonore.

L’improvisation

L’exécutant improvise son texte, mais à l’intérieur de certaines règles, d’une certaine structure, laquelle est précisément ce qu’étudie l’apprenti dalang. Elle s’ouvre par un long mantra d’ouverture qui peut, en fait, servir d’introduction à toutes les histoires. Suit une audience de cour. Le bouffon intervient longuement au milieu du spectacle. Survient l’indispensable scène d’amour et le tout culmine dans une ou plusieurs scènes de combat. Jadis la structure était assimilée par l’apprenti à force d’assister son maitre. Il pouvait donner sa première représentation vers quinze ans et s’établir comme exécutant à vingt ans. Normalement oral et fondé sur l’exemple, l’enseignement est aussi proposé par des institutions tells que l’ISI Surakarta (Institut Seni Indonesia Institut indonésien des Arts, campus Surakarta/Solo) au centre de Java et l’ISI Denpasar (Institut Seni Indonesia, campus Denpasar) à Bali.

L’exécutant apprend par cœur des passages en kawi, idiome archaïque et souvent altéré, qui sont insérés dans certaines scènes ou qui présentent des personnages importants. Leur caractère partiellement incompréhensible pour le dalang comme pour le public contribue à la qualité mystérieuse et solennelle du wayang.

C’est en observant son maitre que le dalang accumule un répertoire de formules et de chants qui pourront être repris dans différentes histoires. La mémorisation de ces passages, la connaissance de la forme qui structure une représentation et, bien sûr, sa propre créativité permettent de reconstituer sans peine une pièce entière. Le plaisir des spectateurs est de voir comment le dalang habile adapte une structure prédéfinie à la représentation.

Les scènes de bouffonnerie et les interventions des ogres permettent des écarts considérables par rapport au matériau traditionnel, mais les dieux ou les héros sont plus strictement contraints par la norme. La narration est soit canonique (pakem, ou galur, « ornière »), soit inventée (karangan). Les histoires pakem sont semblables à un récit historique ; on doit les apprendre par cœur et n’y rien changer. Cependant, tout ce qui n’est pas soumis au pakem peut être transformé par la fantaisie du dalang et devenir karangan, à condition que l’invention soit cohérente avec le caractère du personnage et avec le matériau préétabli.

Des genres

Il existe, en théorie, des centaines de wayang. Quelques règles simples permettent de savoir à quelles formes ils ressortissent. Le premier terme, wayang, se rapporte au genre. Il s’agit donc d’un spectacle dont le récitant est un dalang accompagné par un gamelan, et recourant à des types fixes et à une improvisation structurée. Le deuxième terme désigne le mode de figuration du spectacle : rouleaux peints (beber), silhouettes de cuir (kulit), figures plates en bois (klitik), marionnettes en bois à tiges (golek), masques (topeng) ou danseur non masqué (wong ou orang).

Un troisième terme désigne le cycle narratif. Purwa, « vieux », ou parwa, « livre », indique qu’il appartient au Mahâbhârata où les cinq nobles Pandawa affrontent leurs malfaisants cousins les Kurawa, au Râmâyana où Vishnu-Râma sauve sa femme Sita du démon Râwana ou à l’Arjuna Sastrabahu (ou Sasrabahu) où une incarnation de Wisnu (Vishnu) arrache sa femme, Citrawati, à Râwana. Le terme menak, « aristocrate », indique que le conte relate les exploits d’Amir Hamza, oncle du prophète Mahomet et modèle de souveraineté musulmane. Cepak, « robe », « vêtement » en javanais, indique que l’histoire appartient au légendaire des rois javanais (la quête amoureuse du prince Panji – et dans ce cas le troisième qualificatif peut être gedog – ou l’histoire de Damar Wulan le garçon d’étable qui sauve la reine Kencana des griffes de Menak Jingga). Babad dénote la chronique historique et wahyu, « pouvoir », l’histoire sainte chrétienne ; madya, « milieu », les contes royaux de l’Est javanais ; kancil (ou kantjil), les histoires du rusé cerf nain ; suluh, les histoires des héros révolutionnaires comme Sukarno et Hatta, etc. À ces genres fixés, le dalang peut ajouter ceux qu’il invente, la plupart du temps en introduisant une histoire nouvelle.

Le dernier terme du nom de genre peut renseigner sur le langage ou l’aire culturelle du spectacle, Bali, Jawa (Java) ou Sunda, ou sur la ville qui fut son berceau, si la représentation a lieu hors du lieu d’origine. Ainsi, wayang kulit purwa jawa implique 1) un spectacle musical semi-improvisé par un dalang, 2) employant des figures en cuir découpé, 3) relatant une épopée indienne, 4) en langue et style javanais ; wayang golek purwa sunda est un spectacle à marionnettes tridimensionnelles, à tiges, relatant des histoires indiennes en langue et style sundanais, etc.

De nombreux cycles légendaires ou techniques de représentation peuvent prendre place au sein du genre malayo-indonésien wayang, mais à l’intérieur de chaque grande aire linguistique, un seul style de wayang est la norme qui sert de modèle à l’invention de nouveaux genres.

Le style de Bali

Le style de wayang le plus important à Bali est le wayang (kulit) parwa bali. Derrière un écran de 2 x 1 mètre tendu à 50 centimètres du sol, le dalang assis en tailleur donne un spectacle d’ombres avec des figures plates, hautes d’une trentaine de centimètres, manipulées à l’aide d’une tige centrale et de tiges attachées aux mains. Sous l’écran, devant le dalang, se trouve un stipe de bananier, horizontal, où les marionnettes qui ne jouent pas sont fichées par leur tige. Les personnages nobles s’expriment en kawi, javanais archaïque, que les domestiques-bouffons traduisent en langage contemporain. Dans la mesure où ceux-ci servent d’interprètes, ils ont l’occasion d’exprimer le point de vue du peuple : quand le méchant Kurawa détruit par le feu le palais de laque qui abrite les frères Pandawa, le bouffon se livre à des commentaires sur l’attentat à la bombe perpétré en 2002 par des extrémistes musulmans de Java contre les hindouistes balinais. Par sa traduction, il relie aussi deux univers : celui de l’épopée et celui de l’actualité.

Les histoires tirées du Mahâbhârata sont la norme, mais d’autres corpus légendaires sont mis à contribution. Pour le Râmâyana, on ajoute à l’orchestre gender des tambours et d’autres percussions pour donner du relief aux scènes de bataille. Le wayang (kulit) arja, inventé dans les années soixante-dix par Dalang Sidja, reprend les histoires du prince Panji. Le wayang (kulit) Tantri introduit par I Wayan Wija dans les années quatre-vingt emploie des figures d’ombres en cuir pour ses histoires animalières hindoues. Le wayang kontemporar, « contemporain », est celui de l’ISI Denpasar (Institut indonésien des arts à Denpasar). Né de la rencontre des jeunes marionnettistes avec les praticiens occidentaux du théâtre d’ombres, il emploie un grand écran de 7 x 3 mètres et combine l’ombre des figures à celle de danseurs portant des coiffes et des masques, les projections aux lumières et le gamelan aux synthétiseurs.

Le style de Java

Avec ses milliers de dalang bien formés, le wayang kulit purwa jawa est le théâtre d’ombres du centre de Java, élaboré auprès des cours de Surakarta et de Yogyakarta. Présenté sur un écran de 4 x 1,5 mètres, il est accompagné par un gamelan fourni, capable de jouer selon deux gammes différentes, à cinq tons et à sept tons. Les chants sont joués en trois pathet (« tonalité », musicale et affective à la fois) distincts au cours de la représentation. Les mélodies commencent sur une certaine note, en début de soirée, sur une autre vers minuit et sur une troisième juste avant l’aube. Ce changement de tonalité renforce la tension narrative. Un kotak (coffre à marionnettes) renferme des centaines de figures minutieusement découpées et incisées, peintes ou dorées à la feuille. Un spectacle peut en mobiliser de cinquante à soixante. Elles mesurent de 20 à 50 centimètres. L’électricité a remplacé la lumière des lampes à huile.

La pièce est jouée soit en plein air, soit dans un pavillon, fixe (pendapa) ou dressé pour l’occasion par le commanditaire du spectacle, qui commençait traditionnellement vers 21 heures et se terminait à l’aube ; la durée en a été réduite, sauf pour ce qui concerne le ruwatan, « sécurisation », l’exorcisme du démon Kala. Le reste doit se terminer avant le premier appel à la prière des musulmans.

Les invités, assis sur des sièges, assistent à la représentation, côté dalang. Les non-invités regardent du côté ombres ou du côté dalang indifféremment – en fait, là où ils trouvent de la place. Le public reste assis, se lève, va et vient, revient à sa place, mange et profite de l’atmosphère festive. Grâce à la narration du dalang, entre les scènes, les spectateurs qui auraient manqué un épisode peuvent reprendre le fil de l’histoire.

La structure classique javanaise commence par la danse de l’arbre de vie (kayonan ou gunungan ; ce dernier incorpore aussi la « montagne sacrée » à l’arbre de vie). Le janturan, long passage où les mots dérivés du sanskrit abondent, ouvre la soirée. La première scène se passe à la cour et, par exemple, le roi admire la porte de son palais et salue ses épouses. Dehors, les soldats s’apprêtent pour une mission et s’en vont. Suit une deuxième scène de cour, avec départ de troupes, puis, parfois, une troisième avec un départ également. Les troupes se rencontrent et se livrent un combat à l’issue incertaine. Vers minuit, la deuxième partie de l’histoire commence avec une scène de bouffonnerie (goro-goro). On chante et on plaisante longuement avant que le héros rencontre les bouffons ainsi que son maitre, qui se livre à des considérations philosophiques. Le jeune homme prend congé de son maitre, descend de la montagne et affronte les ogres, qui représentent l’envie, la colère et autres faiblesses humaines, lors de la guerre des fleurs (perang kembang). En vainquant ces démons, le prince montre qu’il est prêt à répondre aux exigences de la vie et, à partir de là, il est pris dans l’intrigue, que ce soit le sauvetage d’une princesse enlevée ou la mise au jour d’un pouvoir magique. Les scènes appartenant au déroulement proprement dit de l’histoire occupent la troisième partie et aboutissent à la bataille finale où l’adversaire reçoit le coup de grâce ; l’arbre de vie est planté, au centre de l’écran, ce qui signifie la fin du spectacle.

La plupart des représentations sont d’abord un divertissement commandé par une famille pour fêter un mariage ou une circoncision ; mais elles rehaussent aussi un meeting politique ou la célébration du jour de l’Indépendance. Les histoires sont ordinairement extraites du Mahâbhârata, mais, au lieu de s’en tenir à la bataille où culmine l’hostilité des Pandawas et des Kurawas, la plupart des spectacles préfèrent les épisodes de la jeunesse des héros où les rancunes sont encore en devenir.

Les dalang javanais distinguent trois types de narrations : les « troncs » (pokok, dits aussi galur ou pakem) récits des naissances, des principaux mariages et des morts des héros ; les « branches « (lakon carangan) élaborées autour de l’épisode central sont moins considérées que les histoires « troncs » mais toutefois bien établies ; et les « rameaux » (ranting) ou les histoires inventées (karangan). Dans ces dernières, qui mettent en scène les mêmes héros, le dalang est libre de créer de nouvelles amantes à étreindre ou des batailles inédites à livrer. Lorsqu’un lakon karangan devient populaire, donc adopté par d’autres dalang, il peut, à la longue, s’intégrer au corpus légendaire. Ki Nartosabdho (1925-1985) est ainsi l’auteur de nombreux lakon karangan repris par d’autres dalang.

Dalang Ki Anom Suroto, Ki Manteb Soedarsono, Ki Timbul Hadiprayitno, Ki Panut Darmoko, Ki Purbo Asmoro, and Ki Enthus Susmono (Ki est un epithète de respect accordé au dalang senior) étaient, au début du XXIe siècle, des dalang connus dans tout Java.

Des expériences utilisant la langue indonésienne (wayang sandosa, wayang padat) ou recourant à plusieurs marionnettistes ainsi qu’à un grand écran ont pour origine l’ISI Surakarta (Institut Seni Indonesia) à Surakarta. À Yogyakarta, Dalang Sukasman (Sigit Sukasman) innove dans la conception des marionnettes comme dans celle du spectacle, qui emploie des lumières de couleur, plusieurs manipulateurs, des danseurs et plusieurs écrans. Dalang Ki Jitheng Suparman et Ki Slamet Gundono se situent parmi les artistes les plus avant-gardistes. Tandis que Ki Ledjar Subroto, un dalang javanais de wayang kulit, est aussi le créateur de wayang kancil destiné aux enfants et racontant des fables avec des souris.

Cependant, la plupart des dalang perpétuent le wayang kulit purwa jawa. Dans le dernier quart du XXe siècle, on assista à l’annexion du wayang par les mass médias, et les dalang furent mis en cassettes ou diffusés à la télévision ou à la radio. Au début du XXIe siècle, les représentations de wayang kulit sont devenues de plus en plus spectaculaires, avec des chanteuses sexy, un orchestre mi-gamelan, mi-pop (campursari), trois écrans, trois dalang, ou des comiques.

Le wayang soundanais

Les Soundanais sont le troisième grand groupe linguistique pratiquant le wayang dans l’ouest javanais. Le wayang golek purwa sunda emploie des marionnettes en bois, à tiges pour jouer les histoires du Mahâbhârata ou, parfois, du Râmâyana. La plupart des dalang soundanais sont les descendants d’artistes javanais immigrés aux XIXe et XXe siècles. Ils présentent, en extérieur, un spectacle qui dure quelques six heures sur une estrade dressée à cet effet. Un stipe de bananier horizontal est utilisé pour ficher les marionnettes en attente. Les figures tridimensionnelles, hautes de 30 à 50 centimètres, ont la tête et le corps fixés à une tige centrale et deux tiges sont attachées à leurs poignets, ce qui autorise des mouvements très dynamiques et réalistes. Un seul spectacle exige parfois trente de ces marionnettes. Le gamelan est moins fourni que celui du centre de Java, et le maitre marionnettiste amène toujours avec lui ses propres instruments et instrumentistes.

La structure de la représentation est plus souple que dans la région centrale de Java. Elle débute par la danse de l’arbre de vie que suit un mantra, appelé murwa, qui précède la scène de cour. Diverses complications mènent à l’intervention du bouffon, parfois dans un ermitage, et le héros est présenté. Une scène de bataille, à la fin de la soirée, conclut le tout.

Comme dans le centre de Java, les représentations sont payées par un commanditaire afin de célébrer un mariage ou une circoncision et les spectateurs y assistent gratuitement. Si elles sont commandées par des établissements de tourisme ou des stations de radio, un modeste droit d’entrée est exigé, mais généralement le public est très peu nombreux. En revanche, le wayang joué dans les villages par des artistes renommés tels qu’Ade Kosaih Sunarya (maintenant décédé), Tjetjep Supriadi (Cecep Supriadi), Dede Amung Sutarya, Wawan Gunawan ou le célébrissime Dalang Asep Sunandar Sunarya (1955-2014) attire des milliers de personnes.

En Sunda, des expériences menées au STSI Bandung (Sekolah Tinggih Seni Indonesia, Collège indonésien des Arts) actuellement ISI Bandung (Institut Seni Indonesia, Institut indonésien des Arts, campus de Bandung) ont permis aux étudiants en théâtre de revisiter le wayang dans des cours de théâtre contemporain d’Arthur Nalan.

L’État et le wayang

Depuis l’indépendance en 1945, les gouvernements ont tenté d’enrôler les marionnettistes dans des initiatives nationales. Parmi les institutions d’État, il faut mentionner le Musée national du wayang. Le PEPADI (Persatuan Padalangan Indonesia, Organisation indonésienne des Dalang) fondé en 1971 et le SENAWANGI (Sekretariat Nasional Pewayangan Indonesia, Secrétariat national de l’Art du Wayang indonésien) fondé en 1975 sont les organisations panindonésiennes de dalang, qui travaillent à systématiser et à guider leur art. Toutes ces institutions parrainent les festivals, éditent des documents ou des modèles destinés aux dalang, et représentent le wayang internationalement. Ce mouvement a abouti à faire inscrire le wayang au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco (2003). Cependant, le sentiment d’appartenance régionale, la diversité linguistique et culturelle résistent aux entreprises d’uniformisation.

Depuis la fin des années soixante, des artistes sont venus d’autres continents pour s’instruire dans la tradition du wayang. Ils ont ainsi fait essaimer cet art ou ces techniques dans leurs pays respectifs. Parmi ces artistes qui ont exporté cette tradition, il y a des Américains Larry Reed (Bali) Marc Hoffman (Java), Matt Cohen (Cirebon), et Kathy Foley (Sunda), l’artiste britannique Sarah Bilby (Java) et l’Australienne Helen Pausacker (Java), parmi d’autres. Des collaborations modernes de compositeurs (Lou Harrison, Evan Zipyorn) dans le cadre du mouvement international gamelan avec des dalang indonésiens engendrent de récentes évolutions d’un wayang qui est divers et maintenant flexible, qui conserve beaucoup d’éléments anciens mais qui en embrasse aussi de nouveaux.  

Quant à la musique du gamelan, elle est considérée comme un art classique par les auditeurs et par les musiciens occidentaux.

(Voir Indonésie, Malaisie, Théâtre d’ombres.)

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