Situé dans la péninsule ibérique, au sud-ouest de l’Europe et jouxtant l’océan Atlantique ainsi que l’Espagne, la République portugaise (n portugais : República Portuguesa ; en mirandais : República Pertuesa) ; c’est le pays le plus occidental du continent européen. Au cours des 15e et 16e siècles le Portugal contribua à l’expansion de l’influence occidentale et devint une des plus grandes puissances économiques, politiques et militaires ; l’empire portugais s’étendit pendant près de 600 ans sur un grand nombre de régions d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amérique. Lisbonne et Porto sont les plus grandes villes portugaises.

Les premières représentations avec marionnettes au Portugal sont difficiles à dater. Cependant, on peut supposer que, comme dans le reste de l’Europe, au-delà de l’usage de celles-ci par l’Église pour diffuser la foi (dont l’interdiction n’apparut qu’après de concile de Trente 1545-1563), des groupes de jongleurs les utilisaient dans leurs spectacles.

Du XVIe au XIXe siècle

Au Portugal la terminologie bonifrate pour designer marionnette, est peut-être la plus ancienne et la plus correcte, parallèlement à d’autres, comme marioneta, títere, bonecro, fantoche ou roberto. Au XVIe siècle, on trouve le vocable bonifrate dans la comédie Ulyssipo de Jorge Ferreira de Vasconcelos, et dans l’Auto de D. Luís e dos Turcos, d’un auteur anonyme. Existent encore quelques documents importants qui peuvent alimenter d’autres réflexions. Par ailleurs, le moine Gaspar Cruz relate dans le Tratado das cousas da China (1569), que les Chinois donnaient des représentations avec des bonifrates pour gagner de l’argent. De même des étrangers les ont rapportées au Portugal. On peut en déduire que les marionnettes étaient présentes au Portugal, probablement en dehors des églises, avant 1569. Enfin, Francisco Pyrard de Laval, dans son livre de voyages aux Indes orientales portugaises (de 1601 à 1611), affirme avoir vu la nuit de Noël, des représentations avec des bonifrates sur les mystères de la Nativité, dans des églises, des maisons particulières et dans les rues. Cela renforce l’hypothèse selon laquelle les Portugais rapportèrent les marionnettes de leurs voyages en Asie. Il existe aussi un intéressant récit d’un  apothicaire portugais, Tomé Pires qui avait visité la côte nord de Java (Indonésie) et écrit dans Suma oriental  (rédigé entre 1512 et 1515) : « Une nuit, ils ont fait des ombres de différents moutons comme beneditos, au Portugal. »

Au XVIIIe siècle, la marionnette connut une grande popularité. Son représentant majeur est António José da Silva, dit le Juif (1705-1739), mort prématurément dans un autodafé. Ses opéras joco-sérias pour marionnettes peuvent être considérés comme l’embryon de l’opéra-bouffe, tant par leur répertoire, que par leurs caractéristiques musicales et littéraires. Ils constituent l’un des ensembles de textes les plus précieux et originaux pour marionnettes dans l’histoire du théâtre européen.

Il ne reste absolument rien des marionnettes, ni dessins, ni descriptions, seulement quelques références aux opéras de Da Silva. Elles devaient ressembler à des marionnettes à tiges dont les corps étaient probablement sculptés dans le bois ou le liège.

On pouvait voir des presépios (« crèches », voir Nativité) et d’autres spectacles joués par des figurines ou des bonifrates, dans plusieurs lieux à Lisbonne, comme le Pátio da Mouraria et, surtout, le théâtre du Bairro Alto, qui regroupait plusieurs scènes dont la Casa dos Bonecos où furent représentés les opéras du Juif. On possède également des traces des spectacles de bonifrates qui se déroulaient dès 1732 sur les terres du comte de Soure (en portugais : Conde de Soure). Le succès de ces spectacles suscita la jalousie du grand opéra qui obtint du roi D. João V (Jean V), en 1738 puis 1743, que les spectacles mettant en scène des marionnettes, à Lisbonne, fussent assujettis, comme les représentations d’opéra elles-mêmes, au paiement d’une taxe.

João V autorisait les spectacles de marionnettes dans son palais à Lisbonne, dans la chapelle, avec des spectacles à caractère religieux, notamment pour les naissances. Sous le règne de la reine Maria Ie, les marionnettes de Pierre Delaval se produisirent également deux ou trois fois au palais royal de Queluz.

Les marionnettes retrouvèrent le théâtre du Bairro Alto au XIXe siècle avec le Theatro Pinturesco e Mechanico (1813). Le nom de son directeur, Roberto Xabier de Mattos, est peut-être à l’origine du mot robertos, utilisé à partir de cette époque pour désigner les marionnettes à gaine.

Plus tard, au Teatro Bijou et aux Recreios, un acteur, José Rodrigues Chaves (1852-1919), présenta des spectacles de ventriloquie, automates, danses de squelettes et marionnettes, les Androïdes.

Troupes ambulantes

Toutefois, un nom essentiel dans l’histoire des marionnettes au Portugal est celui de Henrique Delgado (1938-1971). Il fut lié à la production de spectacles avec Henrique Trindade, au Teatro Robertoscope et, plus tard, au Teatro Lilipute, pour lesquels il construisit des marionnettes et des décors, et mit en scène des pièces pour enfants. La connaissance que l’on a de l’histoire des marionnettes, des marionnettistes et de leurs traditions doit tout à son précieux travail. Jusque-là, en raison du caractère populaire de cet art, cette connaissance était transmise oralement, de père en fils, et son histoire resta donc ignorée par la plupart des historiens du théâtre.

Jusqu’à la fin des années soixante, de grandes compagnies itinérantes traversaient le pays, du nord au sud, de foire en foire, avec d’énormes pavillons démontables, où l’on présentait des spectacles de marionnettes à gaine et marionnettes à fils, avec des décors, de grands effets scéniques et parfois des orchestres privés. Le répertoire était composé de comédies populaires ou relevant de la tradition médiévale, comme Le Marquis de Pombal et les Jésuites, La Rose et les trois Amoureux, Le Miracle de sainte Isabelle ou Les Miracles de saint Antoine (voir Troupes Itinérantes).

Henrique Delgado réunit de nombreuses informations auprès de deux entrepreneurs de spectacles de marionnettes, Joaquim Pinto (1899?-1968) et Manuel Rosado (né en 1909). Joaquim Pinto, dit « O Faustino de Setúbal », était considéré comme l’un des plus grands directeurs de théâtre de marionnettes ; il connut des succès dans tout le pays et en Espagne. Il était l’héritier d’une famille de marionnettistes ; son père, Faustino Duarte, était un célèbre marionnettiste, à la tête d’une baraque nommée curieusement Pavilhão Guignol. Il possédait une importante collection héritée de marionnettistes qui furent ses maitres et ses amis. Il connaissait également tout le répertoire traditionnel des marionnettes des foires. Malheureusement, il disparut avant d’avoir transmis ses connaissances et d’avoir assuré la conservation de ses marionnettes.

Manuel Rosado, « O Moca de Almeirim », « Moca do Pego » ou « Pégacho », possédait un théâtre ambulant, le Pavilhão Mexicano, encore en activité à la fin des années soixante-dix. Quelques-unes de ses marionnettes sont actuellement conservées au Musée de la Marionnette, Museu da Marioneta, à Lisbonne. Excellent manipulateur, tant de marionnettes à gaine que de marionnettes à fils, il fut invité à rejoindre la compagnie italienne, le Teatro dei Piccoli, de Vittorio Podrecca.

Les robertos sont des marionnettes à gaine traditionnelles, dont la présence était fréquente dans les foires, les pèlerinages, les rues et sur les plages. António Dias (mort en 1986) était l’un des principaux artistes ayant utilisé ces marionnettes. Marionnettiste ambulant, il voyagea dans tout le pays avec sa petite baraque. Il commença au théâtre de Mestre (Maitre) Faustino, où il apprit cet art et où il créa ses propres robertos. Le cinéaste Ernesto de Sousa s’est d’ailleurs inspiré de sa vie dans D. Roberto (1962). António Dias, qui fut avec son Teatro Dom Roberto une source d’inspiration pour les jeunes générations, a transmis son répertoire et son témoignage à João Paulo Seara Cardoso (1956-2010).

Parmi d’autres, il faut encore faire référence à Domingos Moura (1921-19?), marionnettiste du nord du Portugal, et à Augusto Sérgio, détenteur d’un curieux castelet triangulaire. Son Dom Roberto, de manière singulière, portait une barbe noire et s’habillait comme un Arabe.

Tantôt contrôlés par l’Église, tantôt contrôlés par l’État, tous ces marionnettistes furent victimes d’une censure féroce, car considérés comme impertinents et dangereux pour le pouvoir, et poursuivis par la police.

Une des troupes les plus connues aujourd’hui, parce que son histoire a fait l’objet de recherches, est celle des Bonecos de Santo Aleixo, qui remontent au moins à la fin du XVIIIe siècle. Chaque hiver, cette troupe composée en majorité par des journaliers, parcourait la région de l’Alto (haut) Alentejo, dans une charrette poussée par une mule, présentant à un public populaire des spectacles qui duraient parfois jusqu’à l’aube. Cependant, ce ne fut pas la seule famille de marionnettistes de la région de l’Alentejo. Il existait d’autres troupes, comme celle d’António Sandes, dont les marionnettes sont conservées par l’arrondissement d’Orada.

Théâtre artistiques

Parallèlement aux marionnettistes ambulants, au XXe siècle, apparurent les premiers théâtres de marionnettes à caractère artistique et littéraire. Le premier projet de ce genre fut le Teatro de Mestre Gil, créé par le poète Augusto de Santa Rita (1888-1956), qui donna sa première à Lisbonne, le 26 mars 1943, révélant le travail de l’artiste plasticien Júlio de Sousa (1906-1966), un des auteurs des marionnettes. Une autre artiste importante à avoir créé des marionnettes pour le Teatro de Mestre Gil fut Lena Perestrelo ; elle fut plus tard, en 1956, l’une des fondatrices du groupe Teatro de

Bonifrates et elle créa des marionnettes pour des émissions de télévision pour enfants qui rencontrèrent un grand succès, comme Dói-Dói, dans les années soixante.

À Porto, en 1958, Maria Helena Alves Costa (1921-1977) et l’architecte Mário Bonito créèrent le Teatro Mais Pequeno do Mundo, théâtre pionnier en ce qu’il associait marionnette et thérapie, qui joua beaucoup dans les écoles et dans les hôpitaux. Le Teatro Branca-Flor, créé par l’écrivain Lília da Fonseca (1906-1991) en 1962, présenta pendant plus de vingt ans un répertoire consacré essentiellement aux enfants. Représentant de l’UNIMA au Portugal, il joua dans tout le pays et participa à des festivals internationaux.

À la Révolution des Œillets (25 avril 1974, Revolução dos Cravos, également nommée 25 de Abril) succéda une période de renaissance artistique à laquelle les marionnettes ne furent pas étrangères. Parmi plusieurs initiatives, se détache le travail des Marionetas de São Lourenço e o Diabo qui parcoururent le pays et créèrent le Musée de la Marionnette en 1987, actuellement administré par la mairie, qui a déménagé dans un ancien couvent en 2001.

Évolution récente

En ce qui concerne les travaux actuels dans le domaine de l’art de ma marionnette, plusieurs noms, dont certains d’artistes décédés, méritent d’être cités. Comme Francisco Esteves et ses initiatives (en particulier la création du FAOJ – Fundo de Apoio aos Organismos Juvenis (Fonds de Soutien aux Organisations de Jeunesse) ou le marionnettiste et chercheur Alexandre Passos (décédé en 2007).

Au Portugal, il y a plus de dix festivals de marionnettes nationaux ou internationaux dont la Bienale Internacional de Marionetas do Évora (BIME), dans la ville d’Évora; le Festival Internacional de Marionetas do Porto (FIMP) fondé à Porto par Isabel Alves Costa (1946-2009), une grande promotrice du théâtre de marionnettes ; le Festival Internacional de Marionetas e Formas Animadas (FIMFA Lx) organisé à Lisbonne, par A Tarumba – Teatro de Marionetas et d’autres festivals régionaux.

L’UNIMA Portugal a été fondée en 1989 comme une conséquence du développement progressif de l’art de la marionnette dans le pays. Le centre national a récemment pris un nouvel élan avec l’inauguration de son propre quartier général et centre de documentation établis dans la ville d’Alcobaça.

La qualification et la formation des marionnettistes ont bénéficié de la création, en 2010, à l’Universidade de Évora (l’université d’Évora), d’un master en Théâtre avec spécialisation « acteur-marionnettiste ».

Actuellement, il y a un nombre important de compagnies de marionnettes dans différentes villes et régions du pays. Au nord du Portugal : MAO – Marionetas, Actores e Objectos (Viana do Castelo) ; Teatro de Marionetas do Porto (Porto) ; Teatro de Ferro (Gaia) ; Limite Zero (Porto) ; Francisco Mota (Porto) ; Marionetas da Feira (Santa Maria da Feira) ; TFA – Teatro de Formas Animadas (Vila do Conde) ; Teatro e Marionetas de Mandrágora (Espinho) ; Partículas Elementares (Ovar). Au centre du pays : S.A.Marionetas – Teatro & Bonecos (Alcobaça) ; Marionetas de Lisboa (Lisboa) ; A Tarumba – Teatro de Marionetas (Lisboa) ; Delphim Miranda – Marionetas (Lisboa) ; Lua Cheia – Teatro para Todos (Lisboa) ; Algazarra – Teatro de Marionetas (Lisboa) ; Mestre Filipe e as suas Marionetas (Lisboa) ; Criadores de Imagens (Amadora) ; Ângela Ribeiro – Marionetista (Almada) ; Fio de Azeite – Marionetas do Chão de Oliva (Sintra) ; Valdevinos – Teatro de Marionetas (Sintra). Au sud du Portugal : Alma d’Arame (Montemor-o-Novo) ; Bonecos de Santo Aleixo (Évora) ; Era Uma Vez – Teatro de Marionetas (Évora) ; Trulé – Investigação em Formas Animadas (Évora) ; Maurioneta (Reguengos de Monsaraz) ; A Barraca do Gregório (Faro).

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