Personnage de la commedia dell’arte, deuxième Zanni, probablement d’origine médiévale. La reconstruction de l’origine du nom et de la présence de ce personnage est fort complexe. On trouve, au Moyen Âge, des personnages carnavalesques de diables bouffons, Herliquins ou Hellequins, qui, en France notamment, animaient le théâtre, voire des mimes d’origine classique qui avaient Hercule comme personnage comique (Herculinus, d’où Herlequin), ou même le diable dantesque Alichino qui a rallié une bande de diables moqueurs et obscènes.

Quelle que soit son origine, ce « masque » (maschera) prit corps et effectua sa stylisation dans les formes théâtrales du XVIe siècle, et en particulier dans les canevas de la commedia dell’arte. Il apparut pour la première fois dans un document de 1584 publié à Paris, le « Prologue » de Fiammella de l’auteur comique Bartolomeo Rossi, où Arlequin était cité à côté de Pedrolino (le futur Pierrot) « et d’autres qui imitent ce genre de personnages divertissants ».

Jacques Callot (1593-1635) le représenta dans ses Balli di Sfessania (Danses du village de Sfessania), gravures qui représentent des couples de masques dansant sur des places publiques avec de petits personnages à l’arrière-plan.

Après avoir été introduit en France puis peut-être en Espagne entre 1574 et 1584, par l’acteur Alberto Naselli, dit Zan Ganassa, Arlequin commença sa carrière de personnage théâtral et se construisit une histoire. Né dans le Val Brembana (Bergame), il porte une cape, une chemise et un pantalon blanc, il chausse des souliers bas, il est coiffé d’un chapeau biscornu ; à son épaule pend un sac (la scarsela, d’où « escarcelle »), et tient dans sa main un bâton (batocio). Un masque de cuir noir accentue le caractère initialement diabolique du personnage, qui s’adoucit avec le temps quand son grand masque devient un simple loup de soie noire et que ses vêtements s’ornèrent de pièces colorées, selon un ordre de plus en plus défini, tandis que son couvre-chef devenait un feutre relevé sur un bord. Les caractéristiques d’Arlequin étaient notamment sa condition de serviteur plutôt bête, toujours impertinent et affamé (mais il peut devenir malin et passer de sa condition servile à l’exercice des professions les plus diverses), son parler argotique (la « langue arlequine »), ses mimiques, son jeu d’habileté acrobatique qui se maintint dans toutes les interprétations du personnage, depuis Tristano Martinelli (1556-1630), Domenico Biancolelli (1646-1688), Angelo Costantini (1670-1729), David Garrick (1716-1779), jusqu’aux acteurs contemporains Marcello Moretti et Ferruccio Soleri.

De façon immédiate et inévitable, Arlequin (et avec lui presque tous les autres personnages de la commedia dell’arte) passa naturellement au théâtre de marionnettes. À Venise et à Paris, en particulier, les castelets de représentation des marionnettistes se trouvaient en plein air, sur les places. À Paris, on retrouva ces castelets un peu partout, au pont Neuf, dans les foires où l’on se livrait à la parodie du théâtre officiel de la Comédie-Française, sur les boulevards, aux alentours du Palais-Royal et, par exemple, boulevard du Temple où plus tard, en 1759, Jean-Baptiste Nicolet, fils de marionnettiste, ouvrit un théâtre qui prit ensuite le nom de théâtre de la Gaieté. Arlequin comptait toujours parmi les protagonistes de ces spectacles, auxquels même un Carlo Goldoni pouvait assister. À l’Ambigu-Comique, Nicolas Médard Audinot obtint de grands succès en tant que marionnettiste.

À Venise on donna des spectacles au Campo Santa Margarita et place Saint-Marc, où une estampe du XVIIe siècle montre une foule très animée assistant aux lazzi d’Arlequin, de Pulcinella, de Pantalon et de leurs semblables. Les sources citent, parmi d’autres marionnettistes travaillant à Venise, Ottavio Paglialonga (1670-1734) et Alberto Bordogna (1685-1765) qui, avec des références directes à l’actualité de la ville, mettaient en scène Pulcinella, Pantalon, Arlequin et les autres masques de la commedia dell’arte. Les hôtels particuliers de la noblesse accueillirent eux aussi les théâtres de marionnettes, comme celui de l’abbé Angelo Maria Labia. Et, au XVIIIe siècle, le palais Grimani ai Servi en abritait un de très raffiné, dont certains personnages (un Arlequin et un Pantalon), appartenant à la collection de Maria Signorelli, furent exposés à Rome, en 1980, à la Biblioteca di storia moderna e contemporanea.

Les témoignages ne manquent pas sur la présence d’Arlequin au XIXe siècle dans les théâtres de marionnettes. Luigi Lupi fit ses débuts dans le faubourg Vanchiglia, près de Turin, avec de petites comédies qui avaient comme protagoniste Arlequin, remplacé ensuite par Gianduja, mais jamais complètement abandonné, comme l’attestait en 1887 la Gazzetta del popolo della domenica mentionnant Arlequin, plus acrobatique que jamais grâce à de nouveaux mécanismes.

À Rome, Arlequin était flanqué sur scène de « masques » anciens et nouveaux, et c’est pour lui que refit surface un ancien canevas de la commedia dell’arte, le thème du faux médecin, dont Molière lui-même avait tiré parti ; en témoigne le scénario du XIXe siècle publié par Renata et Roberto Leydi : Le metamorfosi d’Arlecchino finto morto, esposto all’anatomia, astronomo stravagante e medico per necessità (Les Métamorphoses d’Arlequin feignant d’être mort, exposé en salle d’anatomie, astronome extravagant et médecin par nécessité). De même, c’est le thème d’un scénario manuscrit conservé à la Biblioteca nazionale centrale de Rome : Il Basilisco di Bernagasso con Arlecchino mercante (Le Basilic de Bernagasso, avec Arlequin marchand), « comédie en trois actes et en prose, à représenter dans l’édifice des marionnettes. À l’usage d’Adriano Valeri. Pour la saison d’été de l’an 1807, dans le théâtre situé au Mausolée d’Auguste… »

Au XXe siècle (1914), Ugo Campogalliani fit jouer à Rome au Teatro dei Piccoli un Arlecchino paga debiti alla moda (Arlequin paie ses dettes à la mode). Ce texte fait également partie du répertoire de Francesco Campogalliani[/lier]. De ce dernier, le journaliste et écrivain Enrico Novelli surnommé Yambo (1876-1945) décrivit dans La Gazzetta del Popolo du 17 janvier 1931, dans un article intitulé « Un “Arlecchino” di Campogalliani », un drame fantastique en quatre actes, avec des magiciens, des serpents, des fées, des guerriers et …Fagiolino persécuté par Arlequin et Brighella.

Umberto Tirelli (1871-1954), dessinateur et caricaturiste, devenu marionnettiste fortement inspiré de l’actualité, transforma en Arlequin un personnage historique (spectacle intitulé L’On. Arlecchino Le député Arlequin). Les Ferrari, I Burattini dei Ferrari, utilisèrent Arlequin dans leurs représentations, comme en témoignent les belles xylographies d’Aristide Barilli, ainsi que les marionnettes le représentant, conservées dans différentes collections théâtrales.

Les témoignages des textes écrits sont, on le voit, fort peu nombreux en ce qui concerne les spectacles où Arlequin est le protagoniste, comme c’est par ailleurs le cas pour les autres « masques » de la commedia dell’arte, du fait du caractère improvisé de celle-ci. Ce personnage indémodable est, en revanche, omniprésent dans les différentes formes d’art, bien au-delà du seul théâtre.

(Voir Italie.)

Bibliographie

  • Burattini e marionette in Italia dal Cinquecento ai giorni nostri. Exhibition catalogue. Toma: Biblioteca di storia moderna e contemporanea, 1980.
  • Duchartre, Pierre-Louis. La Commedia dell’arte et ses enfants. Paris: Librairie théâtrale, 1955, pp. 117-144.
  • Duchartre, Pierre Louis. The Italian Comedy. New York: Dover Publications, 1966.
  • Ferrone, Siro. Arlequin. Vie et aventures de Tristano Martinelli, acteur. Trans. from the Italian by Françoise Siguret. “Les voies de l’acteur” series. Montpellier: L’Entretemps, 2008.
  • Leydi, Roberto, and Renata Mezzanotte Leydi. Marionette e burattini. Testi dal repertorio classico italiano del teatro delle marionette e dei burattini con introduzioni e note. Milano, 1958.
  • McCormick, John, with Alfonso Cipolla and Alessandro Napoli. The Italian Puppet Theater – A History. Jefferson (NC): McFarland & Co., 2010. (See chapter on puppets and the Commedia dell’Arte.)
  • Nicolini, Fausto. Vita di Arlecchino. Bologna: Il Mulino, 1993.
  • Nicoll, Allardyce. The World of Harlequin. Cambridge, 1963.
  • Nosari, Pier Giorgio. “Le Avventure di Testa di Legno e Faccia di Cuoio. Interazioni e scambi fra teatro in persona e figure animate alle origini della commedia dell’arte”. Zani Mercenario della Piazza Europea. Ed. Anna Maria Testaverde. Brescia: Moretti & Vitali, 2003.
  • Rudlin, John. Commedia Dell’Arte: An Actor’s Handbook. London: Routledge, 1994.
  • Rudlin, John. Commedia Dell’Arte: A Handbook for Troupes. London: Routledge, 2001.
  • Sartori, Donato, and Bruno Lanata. L’Art du masque dans la commedia dell’arte. Malakoff: Solin, 1990.