Située en Europe centrale, la Hongrie (en hongrois : Magyarország) moderne trouve son origine à la fin du 9e siècle après des siècles de peuplement par une série de populations comprenant des Celtes, des Romains, des Huns, des Slaves et des Avars. L’âge d’or de la Hongrie remonte au 15e siècle après lequel elle fut partiellement occupée par les Ottomans (1541-1699) ; plus tard, elle tomba sous le pouvoir des Habsbourg constituant une partie significative de l’empire austro-hongrois (1867-1918). Durant quatre décennies au cours du 20e siècle, la Hongrie fut membre du bloc de l’est (1947-1989).

Les premiers arts théâtraux de la Hongrie furent les célébrations populaires et les drames semi-liturgiques du XIe siècle. C’est aussi à cette époque que l’art de la marionnette se forma, avec les triples masques et les marionnettes du busó, avec les « marionnettes dansantes » de la crèche de Noël (voir Nativité) avec personnages stéréotypés de Hérode et du Diable, du Sonneur de Cloches, de Jutka-Marinka, du Petit Héros rouge et, un peu plus tard, les bergers ou « Titiri » et le Ramoneur. À la fin de chaque représentation, la doyenne des marionnettes, Kis Miklós passait faire la quête. Dans les villages, on pouvait voir aussi des marionnettes à la planchette manipulées par de jeunes paysans ou par des gitans nomades.

Les XVIIIe et XIXe siècles

À partir du milieu du XVIIIe siècle, des marionnettistes étrangers furent présents dans les foires hongroises : l’Allemand Franz Passer avec ses marionnettes à fils, puis Franz Joseph Diwald, allemand aussi (avant 1790), ainsi qu’Albert Bienfait et son Polichinelle. L’art de la marionnette fut à l’honneur dans le palais princier des Esterházy où, à partir de 1773, parfois avec des musiques de Joseph Haydn, on donna des représentations (voir Théâtre de marionnettes au château Esterháza). Dans les premières décennies du XIXe siècle, A. Lombardino, J. Kobler, Franz Stöger, notamment, exercèrent à Pest, et, en 1839, C. J. Tschugmall remporta un vif succès avec ses marionnettes mécaniques. À côté de ces artistes itinérants, un comédien hongrois, István Balogh, se consacra aux marionnettes et laissa les textes (des livrets, ou plutôt des canevas) de ses pièces : des contes pour enfants et une romantique histoire de bandit de grands chemins notamment.

Cependant, deux dynasties allemandes s’étaient établies en Hongrie dont, peu à peu, elles avaient appris la langue. Elles avaient fait construire, chacune, un théâtre fixe sur la rive est du Danube, la famille Hincz dans le parc de la Ville de Budapest, et la famille Korngut-Kemény dans le Népliget (Parc populaire ; voir Vitéz László), tous deux en activité jusqu’à la nationalisation de 1949. La tradition de la famille Kemény est poursuivie aujourd’hui par Henrik Kemény junior (1925-2011) qui anime Vitéz László (László le Brave), marionnette à gaine, dans ses spectacles enlevés.

Les marionnettes d’art

C’est en 1910 que Loránd Orbók (Pozsony, 1884 – Barcelone, Espagne, 1924) et ses amis essayèrent, les premiers, de faire des marionnettes un moyen d’expression artistiquement plus élevé. Au cours des quatre années suivantes, ils jouèrent, à l’aide de marionnettes à gaine et d’ombres, de petites pièces écrites par des poètes contemporains (A fekete korsó La Cruche noire de Béla Balázs, par exemple). L’autre grand artiste à adopter la marionnette fut Géza Blattner (Debrecen, 1893-1967), qui débuta avec des personnages empruntés aux spectacles de foire avant de fonder à Paris, en 1925, le Théâtre de l’Arc-en-Ciel. En Hongrie même, Béla Büky (Juta, 1899 – Budapest, 1983) présentait des jeux d’ombres particuliers inspirés de ballades populaires. Sándor A. Tóth (Rimaszombat, 1904 – Zalaegerszeg, 1980) créa toute une série de marionnettes à gaine destinées au mouvement des boy-scouts. La famille Remsey fonda un théâtre de marionnettes à Gödöllő, qui fonctionna de 1934 à 1953. István Árpád Rév (Budapest, 1898-1977) créa entre 1941 et 1945, dans son Nemzeti Bábszínjáték (Théâtre national de Marionnettes, première troupe professionnelle de marionnettes d’art en Hongrie) dix spectacles pour adultes et six pour enfants ; son plus grand succès fut Toldi, d’après l’épopée classique du poète János Arany (1847).

La nationalisation des marionnettes

Après la deuxième guerre mondiale, le régime communiste suscita la formation d’ensembles d’amateurs qui seraient autant de « fusils contre l’impérialisme ». Il y en eut ainsi plus de mille à la fin des années quarante dans les jardins d’enfants, les écoles, les usines, sur différents lieux de travail et dans les organisations. Deux de ces compagnies sont Napsugár Bábegyüttes (La Compagnie du Rayon de Soleil), une des plus anciennes compagnies du pays fondée en 1949 et Astra Bábegyüttes (Compagnie de Marionnettes des Astres) fondée en 1953. Le seul théâtre professionnel, la Mesebarlang (Caverne des Contes) ouvrit le 21 février 1948 sous l’égide de l’Union démocratique des Femmes hongroises. En 1949, au moment où tous les théâtres furent nationalisés, la Mesebarlang passa sous la tutelle de l’État et fut rebaptisé Állami Bábszínház (Théâtre d’État de Marionnettes) ; mais comme, antérieurement, le théâtre n’était pas privé, ce ne fut pas une nationalisation au sens strict du terme.

Pas plus que la Mesebarlang, le Théâtre d’État ne put acquérir de personnalité propre (à causes des pressions politiques, dans son cas précis). S’éloignant de la pratique foraine et des traditions populaires, il commença à jouer dans le style de la marionnette soviétique. Les personnalités artistiques du proche passé, comme István Árpád Rév, furent réduites à l’inactivité.

Állami Bábszínház

L’hégémonie du Théâtre d’État, seule compagnie professionnelle, affecta tout l’art hongrois de la marionnette. Cependant, à partir de 1958, le théâtre renoua avec les traditions populaires et nationales, et aux spectacles pour enfants s’ajoutèrent les œuvres de la littérature classique.

D’anciens et de nouveaux savoir-faire furent mis à contribution sous la direction artistique de Dezső Szilágyi (Gyula, 1922), et avec des metteurs en scène tels que Kató Szőnyi (Budapest, 1918-1989) ; Gyula Kovács (Budapest, 1920-1985) ; Géza Balogh (Budapest, 1936) ; Gyula Urbán (Székesfehérvár, 1938) – et qui, tous deux, étudièrent la mise en scène à Prague – ; Pál Lengyel (Diósgyőr, 1943), qui venait du théâtre alternatif étudiant. Avec eux,  travaillèrent des décorateurs-scénographes comme Vera Bródy (Budapest, 1924), Iván Koós (Budapest, 1927-1999), la peintre surréaliste Lili Ország (Ungvár, 1926 – Budapest, 1978), ainsi que Klaudia Orosz (Belogradchick, Bulgaria, 1954) ou Imre Ambrus (Gyergyófalu, 1936).

Le centre UNIMA-Hongrie fut créé en 1962, présidé par Dezső Szilágy (1962-2004), puis par Géza Balogh. En 2008, Eszter Pap accéda à la présidence de l’UNIMA-Hongrié suivi, à partir de 2010 par  Kata Csató.

Nouvelles compagnies

L’hégémonie du Théâtre d’État, Állami Bábszínház, s’affaiblit après les années quatre-vingt, car d’autres troupes professionnelles avaient vu le jour en province : la plus ancienne, le Bóbita Bábszínház (Théâtre Aigrette) de Pécs, fondé en 1981 ; la compagnie Harlekin Bábszínház à Eger, depuis 1986, le Théâtre de Marionnettes Ciróka Bábszínház (Tendresse) à Kecskemét, depuis 1987. Cependant, ces nouveaux ensembles et leurs 180 à 220 représentations par an ne pouvaient rivaliser avec le Théâtre d’État, Állami Bábszínház, qui en donnait 1 400 ou 1 500 à Budapest et dans tout le pays. Ce dernier, étant donné sa situation de quasi-monopole et donc l’absence de vraie concurrence, s’essouffla et son style parut désuet à côté des nouvelles compagnies, plus modernes, qui apparurent après la fin du régime communiste en 1989.

Les marionnettes après 1989

En effet, les nouvelles compagnies se multiplièrent après 1989 : à Budapest, à Győr, à Miskolc, à Szeged, à Szombathely, à Veszprém, à Zalaegerszeg, à Békéscsaba. Toutefois, les personnalités qui les dirigeaient sortaient de l’école du Théâtre d’État. D’où de grandes divergences esthétiques : certains choisirent la continuité du modèle en matière de répertoire et de dramaturgie, d’autres préférèrent s’opposer au modèle classique, jugé dépassé, de l’Állami Bábszínház.

Dezső Szilágy resta à la tête du Théâtre d’État jusqu’en 1992. Quand il eut pris sa retraite, l’institution se scinda en Budapest Bábszínház (Théâtre de Marionnettes de Budapest), dirigé par János Meczner (Budapest, 1944) à partir de 1994, et en théâtre Kolibri, sous la direction artistique de János Novák (Budapest, 1952). Le Budapest Bábszínház, qui gère l’héritage de l’Állami Bábszínház mais continue à innover, est l’invité de marque des festivals, tandis que le Kolibri, plus intime, plus proche, joue pour les enfants des contes classiques ou contemporains avec des marionnettes ou avec des acteurs.

À la faveur de ces changements, de nouveaux talents sont apparus. Parmi les metteurs en scène des années quatre-vingt-dix, il faut mentionner Géza Kovács (Kecskemét, 1959) qui mêle la marionnette de foire aux grandes angoisses du temps, János Pályi (Szolnok, 1959), comédien essentiel, László Rumi (Kecskemét, 1960) et son théâtre riche en métaphores.

Parmi les nouvelles compagnies privées, alternatives et expérimentales ou « familiales », il faut mentionner la Figurina, théâtre d’objets de Gábor Siklósi (Budapest, 1955), le MárkusZínház (Markus Théâtre) grotesque de Gábor Pilári (Pécs, 1960), la Fabula traditionnelle et précise de Tibor Felszeghy (Budapest, 1962), le métaphorique Levendulaszínház (Lavandin-Théâtre) de Zsuzsa Szabó (Pécs, 1962), le Hattyú Dal Színház (Théâtre du Chant du Cygne) de Zsolt Szász (Debrecen, 1959), inspiré par le Moyen Âge et, enfin, mais non le moindre, le minuscule Mikropódium des solos poétiques d’András Lénárt (Eger, 1955).

L’enseignement et la formation

Après la deuxième guerre mondiale, Béla Büky (1899-1983) commença à organiser une formation spécifique pour les marionnettistes. Béla Szokolay (1891-1959) et Sándor A. Toth (1904-1980) jetèrent les bases d’un enseignement de la marionnette. Après 1950, un centre d’enseignement fut établi au Népművészeti Intézet (Institut des Arts populaires). Depuis 1958, l’Állami Bábszínház organise la formation professionnelle : des cycles de quatre, puis de six et huit semestres sont dispensés. En 1995, l’École supérieure (aujourd’hui université) des Arts du Film et du Théâtre à Budapest a ouvert des classes pour acteurs marionnettistes, dirigées, depuis 2000, par János Meczner ; celles-ci proposent une très large formation professionnelle répondant aux exigences du théâtre d’acteurs et de marionnettes (pratique et théorie de la littérature, du théâtre, de la marionnette, techniques de jeu, techniques du spectacle, acrobatie, chant, danse et langues étrangères. Enfin, plusieurs théâtres, conventionnés par différents établissements d’enseignement supérieur, assurent la formation de jeunes marionnettistes.

La faculté des beaux-arts propose aux décorateurs un cours spécial de marionnettes.

Musées

Le Musée national d’Histoire du Théâtre (Az Oszmi Babtörténeti Gyujteménye) à Budapest a été fondé en 1952. La collection historique de marionnettes y fonctionne comme un département indépendant. Elle regroupe la documentation sur l’art de la marionnette en Hongrie et dans le reste du monde.

Sa collection d’objets comprend quelque 3 000 poupées, accessoires et autres jalonnant l’histoire de la marionnette foraine ; environ 20 000 affiches et programmes de Hongrie et d’ailleurs ; 10 000 manuscrits ; 450 dessins et croquis ; plusieurs dizaines de milliers de photographies prises par des amateurs ou par des photographes de théâtre ; un important ensemble de livrets. La bibliothèque, avec ses 20 000 volumes hongrois ou étrangers, est l’un des plus importants ensembles de littérature spécialisée en Hongrie. À quoi s’ajoutent des coupures de presse et des vidéos.

La collection historique est ouverte aux artistes et aux enseignants. Elle contribue aux formations, aux symposiums et aux festivals. Elle organise des expositions ambulantes (Prague, Vienne, Berlin) ou non.

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