La République d’Ouzbékistan (en langue ouzbèque : Oʻzbekiston Respublikasi / Ўзбекистон Респубикаси), située en Asie Centrale, est limitrophe du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Kirghizistan, de l’Afghanistan, et du Turkmenistan. Faisant anciennement partie du Khaganat turc et plus tard de l’Empire Timouride, la région fut conquise au 16ème siècle par des nomades de langue turque venus de l’est, puis, au 19ème siècle, fut incorporée à l’Empire russe , devenant enfin, en 1924, une République constitutive de l’URSS. En 1991, l’Ouzbékistan proclama son indépendance.

De tous les théâtres de marionnettes d’Asie centrale, l’ouzbek est le plus étudié et, croit-on, le plus ancien : certains historiens font remonter son apparition à 500 av. J.C. en tant que forme indépendante du maskhara ou théâtre de mime.

Pour ce qui est du Moyen Âge, les sources littéraires sont claires. Omar Khayyâm (vers 1048-après 1122) mentionne des spectacles de marionnettes à fils ; plus tard, Alicher Navoi (Ali-Shir Nava’i, 1441-1501), poète et penseur ouzbek, parle de marionnettes. D’après ces deux auteurs, deux techniques de manipulation, marionnettes à fils et marionnettes à gaine, étaient employées.

Cependant, les premières descriptions solides de marionnettes traditionnelles ouzbek sont beaucoup plus tardives et datent de la fin des années 1890. Leurs auteurs sont des ethnographes, des missionnaires et des négociants russes qui tenaient un journal de voyage. Il semble que Piotr Romanov soit le premier à avoir étudié méthodiquement le théâtre ouzbek. Dans les loisirs que lui laissait sa profession d’ingénieur, il collecta des informations sur les traditions théâtrales du lieu et réunit une collection de poupées et d’instruments de musique dont il finit par faire don au musée d’Ethnographie de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) ; ce don s’accompagna de la charte de la guilde professionnelle des montreurs de marionnettes (risola), laquelle édictait que le métier de marionnettiste (kougirtchokboza en ouzbek) devait passer de génération en génération dans une même famille.

Les marionnettistes vivaient dans un quartier qui leur était réservé, se mariaient dans les familles de leurs pairs et leurs filles ne pouvaient épouser un homme de l’extérieur. Ils ne possédaient ni terre ni bétail et ne vivaient que de l’exercice de leur métier. Une telle tradition familiale pouvait durer plusieurs siècles.

Les spectacles étaient de deux sortes : koul-kougirtchok (avec des marionnettes à gaine) et tchodir khayol (avec des marionnettes à fils), et semblables en bien des points à la tradition persane.

Marionnettes à gaine

Les marionnettes à gaine nécessitaient deux acteurs, le kougirtchok-boz ou marionnettiste, et le korpharmon, ou narrateur qui se tenait devant un écran pliant, tourné vers le public en jouant du tambour ou du tambourin. Celui qui tenait ce rôle était souvent un disciple du maître marionnettiste. L’écran était disposé de sorte que les marionnettistes pouvaient jouer debout ou assis. Quand ils devaient jouer pour des femmes ou des enfants dans un harem ou dans des assemblées qui pouvaient être gênées par un regard extérieur, ils exécutaient leurs numéros couchés sur le dos et sans écran. Les marionnettes à gaine étaient manipulées dans une sorte de castelet ou plutôt de sac de tissu entourant le marionnettiste, et dont les bords étaient maintenus relevés par un dispositif conçu à cet effet. L’arrière du sac était plus haut, d’une cinquantaine de centimètres, que le devant, formant un fond de scène. Deux marionnettes pouvaient apparaître en même temps au-dessus du bord avant et celles qui n’étaient pas nécessaires à l’action restaient dans le sac.

C’est à un tel spectacle qu’assista Adam Olearius en 1636 (voir Russie) et dont il donna une description restée célèbre. Il remarqua que la représentation était identique à celle qu’il avait pu voir lors d’une réception du khan de Chemaka. Il semble que l’art de la marionnette à gaine ouzbek, persan et russe appartiennent à un même genre de comédie traditionnelle. La similitude est étayée par le nom que partagent les protagonistes de ces comédies : Pahlavan Kachal dans le domaine perse (voir Iran) et Palvan Katchal en Ouzbékistan dans lesquels on reconnaît le « héros chauve ». Le Palvan Katchal ouzbek était noiraud avec un nez aquilin, des sourcils broussailleux, une moustache hardiment relevée, une large bouche et des yeux perçants. Il était coiffé d’un bonnet de fourrure ou bien, comme un bouffon, d’une coiffe surmontée d’une aigrette ou ornée de clochettes et portait une chemise d’un rouge ou d’un jaune vifs. Sa voix était produite par une pratique (sapel) traditionnellement utilisée à des fins comiques. Les autres personnages étaient Bitchakhon, la femme de Palvan Katchal, un bai (propriétaire terrien), un mollah juge, un prêteur sur gages indien, un Juif de Boukhara, un paysan russe, une Turkmène, un danseur de corde, etc. Comme ailleurs, le spectacle était émaillé de commentaires humoristiques ou spirituels sur les affaires de l’époque.

Marionnettes à fils

Le spectacle de marionnettes à fils (tchodir-khayol, terme dérivé de l’arabe et signifiant « tente de fantômes ») était techniquement plus complexe que ceux employant les marionnettes à gaine. Il était généralement donné le soir et à l’intérieur, accompagné d’effets lumineux et sonores. D’une durée de trois à quatre heures, il mettait en œoeuvre de quarante à cinquante poupées différentes manipulées par trois acteurs (le marionnettiste, le narrateur et un élève assistant) et parfois plus. Ainsi, de dix à quinze personnages pouvaient apparaître simultanément, à raison de deux ou trois manipulés par chaque acteur.

Une seule pièce subsistait en 2005 : Sarkardaral (Les Chefs), une comédie qui fut jouée dans les années 1890 et au début du XXe siècle et fut recueillie par écrit en 1927 sous la dictée d’un marionnettiste populaire. Les thèmes mis en jeu rappelaient ceux des aventures de Palvan Katchal, mais le personnage principal s’appelait Yasaul. Après un prologue s’enchaînaient dix scènes et un épilogue. Les spectacles de marionnettes à fils étaient encore joués dans les années vingt et trente avant de sombrer dans l’oubli.

La période soviétique

Lorsque l’Ouzbékistan fut intégré à l’Union soviétique, sous le nom de République Soviétique Socialiste Ouzbèque (Uzbek SSR), le théâtre populaire de marionnettes évolua selon le modèle russe. Au répertoire de Palvan Katchal furent intégrées des comédies sociales. Des marionnettistes jouant à l’européenne apparurent aux côtés des artistes traditionnels : en 1928, le Théâtre (russe) des Enfants fut le premier. Le Théâtre de la République fut fondé en 1939 à Tachkent, la capitale, sur le modèle du Théâtre Central de Sergueï Obraztsov à Moscou (voir Gosudarstvenny Akademichesky Tsentralny Teatr Kukol imeni S.V. Obraztsova). En 1968, deux compagnies furent fondées à Andijan et à Samarcande respectivement, comprenant chacune deux troupes, l’une jouant en russe, l’autre en ouzbek.

Le Théâtre de la République à Tachkent devint le point de ralliement des marionnettistes d’Asie centrale lorsqu’il accueillit en 1979 le Festival international de marionnettes d’Asie organisé par l’UNIMA. Il reste aujourd’hui une importante compagnie, qui, en ajoutant un répertoire de contes occidentaux, présente des spectacles qui explorent la tradition locale comme le Caravansérail de la Grande Route de la Soie ou des histoires dans lesquelles apparaissent des personnages ressemblant à la figure de Palvan Katchal. Le Langage des Oiseaux est une des oeuvres fortes de la compagnie, mêlant musique, marionnettes et réalisations plastiques, base sur le poème épique d’Alisher Navoi, (Lison ut-Tayr, لسان الطیر).

À Tachkent, à Samarcande, à Boukhara et à Andijan, plusieurs théâtres de marionnettes restèrent en activité après l’éclatement de l’Union soviétique en 1991, incorporant davantage d’éléments du folklore ouzbèque, avec bon nombre de compagnies dont le nombre avait triplé depuis la période soviétique. Le Département d’acteurs-marionnettistes et de metteurs en scène de l’Institut d’Etat des Arts de Tachkent forme des professionnels. Les compagnies de marionnettes ont fréquemment voyagé à l’étranger et y ont reçu des prix internationaux. Les plasticiens sont aussi connus pour leurs réalisations: Mansur Shavkatovich Kuryazov du Théâtre de Marionnettes Djaihun, Iskandar Khakimov de Bukara, et Samuil Strashnov, originaire d’Ukraine (décédé en 2002), du Théâtre d’Etat de Marionnettes de Tashkent sont connus comme des constructeurs de marionnettes notoires. Leurs marionnettes ont été exposées ou font l’objet de collections sur le territoire national ou à l’étranger.

Bibliographie

  • Deflassieux, Françoise. “Palvan Katchal d’Ouzbekistan”. Les Marionnettes. No. 96. Numéro special. Paris: ABC Décor, 1972.
  • Gavrilov, Mikhael Fiodorovich. Koukolniy teatr v Ouzbekistanie [Le Théâtre de marionnettes en Ouzbékistan]. Tashkent, 1927. (en Russe)
  • Kadyrov, Mouhsin Kh. Kouguirtchok ouyin [Théâtre de marionnettes]. Tashkent, 1972. (en  ouzbek)
  • Kadyrov, Mouhsin Kh. Ouzbekskiy traditsionniy teatr koukol [Le Théâtre de marionnettes traditionnel en Ouzbékistan]. Tashkent, 1979. (en Russe)
  • Solomonik, Inna Naoumovna. Traditsionniy teatr kukol vostoka [Le Théâtre de marionnettes oriental traditionnel]. Moscow: Nauka, 1992. (en Russe)
  • Sanat (Art) [Journal en ligne de l’art et de la culture ouzbek]. http://www.sanat.orexca.com/. Accédé le 28 juillet 2012.