En dépit de son ancienneté, l’art de la marionnette n’a commencé à intéresser la critique qu’au XXe siècle. Certes, très tôt, les spectacles de marionnettes attirèrent l’attention de certains observateurs curieux de ce qui n’était pas considéré comme du théâtre mais comme un simple divertissement populaire et l’on peut retrouver de nombreuses descriptions ou mentions d’artistes anonymes et de leurs numéros de saltimbanques dans des correspondances, des journaux intimes ou des souvenirs. Ces premières « critiques sans critique » nous sont ainsi parvenues grâce au seul renom de leurs auteurs comme Jérôme Cardan au milieu du XVIe siècle, Goethe ou Stendhal au début du XIXe siècle. Puis vint l’étape que l’on pourrait appeler celle d’une « critique sans critiques » que l’on retrouve en lisant la presse du XIXe siècle dans laquelle on peut se rendre compte avec plus ou moins de précision de la naissance, de la diffusion puis de la désintégration graduelle de la tradition européenne des marionnettes. Ces articles étaient hautement subjectifs dans leurs choix et leurs appréciations, avec un ton souvent émotionnel, dépourvus d’analyse et très anecdotiques. On peut y détecter aussi l’opposition entre les spectacles rudimentaires sans valeur esthétique, satisfaisant les goûts grossiers du peuple et les représentations stylisées des salons dont les figures mécaniques et les effets optiques pouvaient offrir en revanche un intérêt pédagogique très appréciable et utile pour le public. Derrière leur grande diversité, ces comptes rendus ne permettent pas de reconstruire des traditions artistiques mais, en les associant avec des documents d’archives (les patentes ou les rapports de police par exemple), ils permettent toutefois de dessiner les contours de l’art de la marionnette à l’époque : déplacement des compagnies, des artistes et de certaines dynasties de montreurs, développement d’un langage professionnel au-delà des frontières linguistiques, naissance de certains genres… Ainsi, les chroniques tchèques, polonaises ou russes de ce type constituent une source fiable et précieuse pour l’historien de ce théâtre. 

La naissance de la critique au XXe siècle

Le développement de la critique concernant le théâtre de marionnettes au début du XXe siècle est davantage lié aux études théâtrales en général qu’aux créations elles-mêmes. Cette « critique sans théâtre » se caractérise en effet par l’intérêt croissant porté à la marionnette en tant que concept, présent dans la plupart des formes culturelles en dehors du théâtre de marionnettes en tant que tel. Le renouvellement scénographique au cours du dernier quart du XIXe engendra ainsi une réflexion théorique profonde sur le phénomène de la marionnette et dans les premières années du XXe siècle, dans toute l’Europe, de nombreuses publications plutôt confidentielles inclurent de plus en plus de contributions d’associations s’intéressant de près aux marionnettes ou aux poupées. D’autres, plus générales, prévoyaient désormais aussi des rubriques spécialisées tandis que des essais sur la marionnette, avec un large point de vue, furent, pour la première fois, publiés. C’est Edward Gordon Craig qui joua ici un rôle clé avec sa revue The Mask, lancée en 1908, à laquelle s’ajouta Marionette, dix ans plus tard. Dans ces revues, il signa, souvent (mais pas toujours) de pseudonymes, des articles sur des spectacles de marionnettes réels – mais aussi imaginaires – et sur les grandes traditions artistiques de ce genre. Craig incarna mieux que tout autre la « critique spéculative », une théorie « platonicienne » indépendante de la pratique. Ce qui d’ailleurs lui permit de prévoir ou de réaliser sur le papier nombre d’idées esthétiques révolutionnaires du XXe siècle, bien au-delà du théâtre de marionnettes.

La redécouverte d’une tradition

Au XXe siècle, les formes et les genres folkloriques, populaires ou traditionnels (voir Tradition), furent profondément bouleversées. Une culture, dont la marionnette était partie intégrante, était sur le point de se désagréger quand se développa un intérêt sans précédent dans les milieux les plus cultivés et savants pour cet art du pauvre. De nombreux universitaires, pour la première fois dans l’histoire, se mirent à transcrire des textes de comédies de rue, des scènes de la Nativité, des spectacles de marionnettes, s’intéressant de près aux techniques et aux scénographies du théâtre traditionnel. Cette fixation d’un genre en voie de disparition en permit la conservation et permit par la suite une approche analytique de l’art de la marionnette populaire. En 1912, la revue Loutkář, éditée à Prague par Jindřich Veselý, devint ainsi rapidement une référence dans les études sur la marionnette. La critique théorique, inspirée dans les années vingt et trente par les structuralistes tchèques, que l’on retrouvera, pour certains d’entre eux, dans l’école linguistique du Cercle de Prague, replaçait l’art de la marionnette dans le cadre général de l’esthétique, le distinguant par la même occasion d’autres arts comme le cinéma, la musique, la danse ou le théâtre folkloriques. Jan Malík et Petr Bogatyrev en furent parmi les principaux contributeurs. En Allemagne, Das Puppentheater, édité à partir de 1923 par Fritz Wortelmann, proposa une approche plus historique en publiant l’histoire de compagnies, des pièces, des souvenirs, des enquêtes nationales et les premières tentatives de théorisation de la création théâtrale contemporaine. Aux États-Unis, une autre revue pionnière en matière de critique, le Puppetry Yearbook, publié à partir de 1930, mit l’accent sur la technique – reproduisant notamment des schémas et des dessins – ce qui satisfaisait les goûts de l’époque mais servit aussi à affirmer le théâtre de marionnettes, dans la mesure où son esthétique est indissolublement liée à sa technique, chaque type de marionnette représentant un genre théâtral (marionnette à gaine/théâtre de rue ; marionnette à tiges/Nativité ; marionnette bidimensionnelle/théâtre d’ombres, etc.). Ainsi ces premières publications à dominante technique permirent une compilation et une systématisation essentielles pour définir l’art de la marionnette lui-même et pour enrichir le futur appareil critique. Après la fondation de l’ UNIMA en 1929, ses centres nationaux publièrent toutes sortes de lettres d’information, de bulletins, de brochures, d’abord à des fins pédagogiques, ce qui combla progressivement (bien qu’insuffisamment) le vide existant sur le théâtre de marionnettes contemporain. Avec la professionnalisation et l’émancipation de ce théâtre, un juste équilibre entre information historique et pédagogique, et apports critiques fut graduellement atteint.

La critique dans les années cinquante

Après la Deuxième Guerre mondiale et plus particulièrement dans les années cinquante, la presse spécialisée connut une nouvelle vague. On put alors vraiment parler de critique théâtrale. L’attention se focalisa désormais sur la pratique et sur la création vivante. Les périodiques des pays les plus avancés dans ce domaine furent : Teatr Lalek en Pologne (1950), Československý loutkář, en Tchécoslovaquie (1951), Perlicko Perlacko (1952) en Allemagne, édité par Hans Richard Purschke. Ces publications enrichirent la palette critique en publiant des comptes rendus de festivals nationaux et internationaux, et des interviews et portraits d’artistes. Les professionnels de la scène – directeurs, acteurs, auteurs, dessinateurs, scénographes – furent mis à contribution et avec les échanges de plus en plus fréquents entre eux, artistes et critiques prirent part ensemble à ce mouvement de réforme de l’art de la marionnette, considéré dorénavant comme un genre théâtral spécifique, le débarrassant des clichés qui l’enfermaient jusque-là. Des critiques comme Jan Malik (Tchécoslovaquie), Hans Richard Purschke (Allemagne), Lenora Chpet (Russie) rejoignirent ainsi des artistes comme Margareta Niculescu (Roumanie), Jan Wilkowski (Pologne) ou Yves Joly (France). Outre cette réforme esthétique et ce renouvellement critique, le théâtre de marionnettes, au milieu du XXe siècle, s’ouvrit sur le monde, connaissant un élargissement considérable de son public. Le tirage de la presse spécialisée augmenta dans les années soixante et cette popularité croissante influa à son tour sur son contenu. Des publications comme À propos (États-Unis, 1970), Animations (Royaume-Uni, 1977) ou Figura (auparavant Puppenspiel und Puppenspieler, Suisse, 1960) trouvèrent un public plus large et des signatures comme celles de Henryk Jurkowski (Pologne), Michael R. Malkin (États-Unis), Penny Francis (Royaume-Uni), Silvia Brendenal et Gerd Taube (Allemagne) firent leur apparition. Partageant leur temps entre leur activité critique et leurs recherches historiques, ces spécialistes exprimaient bien la vitalité d’un art aux racines anciennes et ouvraient en même temps la voie au post-modernisme.

Les années post-modernes

À partir des années quatre-vingt, on assista à une redistribution des cartes et à un effacement des frontières. Les spécialistes, artistes ou critiques, durent abandonner leurs prérogatives et reconnaître que la marionnette intéressait désormais d’autres médias. Dans ce nouveau contexte, la revue Puck apparut en 1988, créée par l’Institut international de la marionnette et Margareta Niculescu. Son sous-titre, « la marionnette et les autres arts » indiquait sa volonté d’intégrer la marionnette dans le mouvement artistique et théâtral contemporain.  Ses éditions en plusieurs langues (français, espagnol, allemand) en firent une référence au plan international. Des textes historiques comme ceux de Craig, Artaud ou Meyerhold voisinaient avec des réflexions sur les arts vivants contemporains, des chercheurs, historiens, universitaires, metteurs en scène, comédiens et marionnettistes y portaient leurs regards différents, témoignant de la diversité des orientations. D’autres publications participent à cette globalisation, par exemple Lutka (Slovénie), Malic (Espagne), Teatr Lalek (Pologne). Ilfaut toutefois observer que ce théâtre vit une crise d’identité qui se reflète dans la critique. Alors que les tendances esthétiques sont de plus en en plus difficiles à distinguer dans un foisonnement très riche, où n’ont plus cours ni les écoles ni les mouvements, où seule la signature de chaque auteur semble déterminante, alors que les autres arts et les autres genres théâtraux s’emparent de la marionnette et que le nom même de « marionnette » disparaît des titres des publications, la critique est à la recherche d’une nouvelle définition de son objet. Elle ne la trouvera que lorsque l’art de la marionnette l’aura lui-même redéfinie.

Bibliographie

  • Bartoš, Jaroslav. Loutkářska kronika. Kapitoly z dějin loutkářství v českých zemích. Prague, 1963.  
  • Goldovsky, B. Letopis teatra kukol v Rossii XV-XVIII vekov [Chroniques sur l’art de la marionnette en Russie, XVe-XVIIIe siècles].
  • Koulich, A. Letopis teatra kukol v Rossii XIX veka [Chroniques sur l’art de la marionnette en Russie, XIXe siècle, 1800-1874)]. 1994.
  • Waszkiel, Marek. Dzieje teatru lalek w Polsce (do 1945) [Histoire du théâtre de marionnettes en Pologne (jusqu’en 1945)]. Varsovie: ISPAN, 1990.
  • Waszkiel, Marek, ed, Present Trends in Research of the World Puppetry. Varsovie: Institut d’art de l’Académie polonaise des sciences, POLUNIMA, 1992.