Le cinéma d’animation est une technique particulière de réalisation de films tournés image par image. L’image peut être constituée de dessins ou de photogrammes, un photogramme étant une seule image prise par une caméra. Tout comme le cinéma à proprement parler, le cinéma d’animation est fondé sur un principe physico-biologique expérimenté pour la première fois par Isaac Newton en 1676 : la persistance rétinienne. Sous l’action de la lumière, les cellules photosensibles de la rétine connaissent une modification physico-biologique qui est transmise au nerf optique. Le « temps de récupération » de ces cellules dure un vingt-quatrième de seconde. D’autre part, au-delà d’un défilement de dix images par seconde se crée une image mentale « composite ». Enfin, lors de la vision d’une succession d’images fixes dont certains éléments sont modifiés, le cerveau enchaîne les informations et reconstitue le mouvement : c’est « l’effet phi » dont la théorie fut énoncée par le Belge Joseph Plateau en 1829. Au XIXe siècle, nombre de savants orientèrent leurs recherches dans cette direction, ce qui favorisa l’éclosion de nombreux « jouets d’optique » appliquant le principe de la persistance rétinienne, ce qui, conjugué avec la photographie développée par Nicéphore Niépce et d’autres à la même époque, aboutit à l’invention du dessin animé par Émile Reynaud (1892), d’une part, et à celle du cinéma par les frères Lumière (1895), d’autre part.  

Contrairement au cinéma en général, qui est tourné en « temps réel », le cinéma d’animation décompose le temps. Une seconde de film correspond ainsi à vingt-quatre photogrammes. Le temps n’est restitué que lors de la projection et l’on parle donc bien de cinéma en « temps différé ». On peut dire aussi que le cinéma reproduit le mouvement alors que le cinéma d’animation le crée.

Les précurseurs

Historiquement, Secundo de Chomon aurait tourné en 1905 El Hotel electrico en animant des objets selon la technique du tour de manivelle, one turn – one picture. Cette appellation correspond à la technique de tournage de l’époque où les opérateurs filmaient en tournant la manivelle de leur caméra, huit images par tour. Certains, plus inventifs, transformèrent leur appareil afin de ne prendre qu’un photogramme par tour, les objets étant déplacés entre chaque tour de manivelle. Stuart Blackton présenta, selon la même technique, en 1906, The Haunted Hotel. Le premier dessin animé, Fantasmagorie, fut tourné, image par image, par le caricaturiste Émile Cohl en 1908 qui reprit également sa technique dans Le Cauchemar du fantoche. La même année, cet artiste prolixe expérimenta le papier découpé et articulé (Un drame chez les fantoches), les objets animés (Les Frères bout de bois avec des allumettes) et enfin les marionnettes animées avec Le Petit Soldat qui devint dieu. Il se disait lui-même « artistronome-dessinémateur ». En 1910, Ladislas Starevitch anima des insectes naturalisés pour filmer Lucanus cervus, avant de réaliser, avec des marionnettes, en 1930, Le Roman de Renart.

Le film de marionnettes

Les marionnettes ont inspiré de nombreux cinéastes d’animation. En 1938, Jean Painlevé produisit un film de marionnettes réalisé par René Bertrand, Barbe-bleue. George Pal, pionnier du cinéma d’animation en Hongrie (son pays d’origine), travailla en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas où il réalisa On parade (1936). Une compilation de 90 minutes de ses créations aux États-Unis entre 1940 et 1943 s’intitule The Puppetoon Movie (dix courts métrages et des extraits de dix autres films) où plus cinq mille marionnettes différentes, sculptées à la main, étaient utilisées. En ouverture des Ziegfeld Follies de Vincente Minnelli (1946) apparaissent les marionnettes très « sexy » de Lou Bunin qui adapta également avec ses figurines Alice au pays des merveilles en 1948.

L’école tchèque poursuivit dans la voie ouverte par Jiří Trnka, qui en 1924, à l’âge douze ans, devint marionnettiste au théâtre de Josef Skupa, dont il était l’élève. Karel Zeman créa ainsi en 1947 un drôle de petit bonhomme, une marionnette nommée Monsieur Prokouk, héros d’une série de films. Dans Vynález zkázy (Une invention diabolique, 1958), d’après Jules Verne, il mêlait l’image-par-image, les prises de vues réelles, les acteurs intégrés à des décors de gravures ainsi que les marionnettes. Bretislav Pojar tourna Un verre de trop (1954) tandis que Milos Makovek réalisa un film de marionnettes La Sentinelle oubliée qui fut la préparation de son remarquable film d’acteurs, sur un thème voisin, Les Enfants perdus (1957). En Pologne, Halina Bieslinska mit en scène Le Chapeau sous les étoiles (1954) et La Boîte à musique (1956). En Chine, Yang Teï réalisa Le Singe en 1959. Le Français Michel Clarence proposa un effeuillage suggestif dans L’Artichaut (1971). Bien d’autres cinéastes furent tentés par la marionnette : Ivo Caprino, maître de l’animation en Norvège, avec Den standhaftige tinnsoldat (Le Brave Soldat de plomb, 1954) ou Michael Myerberg (États-Unis) avec Hansel et Gretel, où la mobilité de la face des marionnettes était gérée électroniquement.

Les techniques d’animation

Le film d’animation anime des images planes qui relèvent de toutes les techniques graphiques et picturales à commencer par les dessins sur « cellulos » avec Mickey, créé par Walt Disney et animé par Ub Iwerks en 1928 dans Plane Crazy. Un an après le premier film sonore de l’histoire du cinéma (The Jazz Singer Le Chanteur de jazz avec Al Jolson en 1927), en même temps que son deuxième Mickey, Walt Disney réalisa le premier dessin animé sonore, Steamboat Willie. Le papier découpé à la silhouette fut utilisé par Lotte Reiniger pour Die Abenteuer des Prinzen Achmed (Les Aventures du prince Achmed, 1926) où le raffinement des découpes était servi par la sensualité de l’animation.

Il est important de noter que le théâtre d’ombres, dans lequel le mouvement est réalisé en direct, n’est pas fondé sur la persistance rétinienne. Il ne peut donc être, en aucun cas, considéré comme l’ancêtre du cinéma d’animation. Par contre, ce dernier utilise volontiers les techniques du théâtre d’ombres. En témoigne Princes et princesses (1999) que Michel Ocelot réalisa au départ seul et avec peu de moyens, en découpant du papier noir en silhouettes animé à l’aide d’une caméra 16 millimètres. Pour le dessin direct sur papier, on peut citer L’Homme qui plantait des arbres de Fréderic Back (1987), d’après la nouvelle de Jean Giono. Enfin, concernant les dessins sur transparents, mentionnons Francesca Yarbousova pour la « multiplane » (banc-titre dont le plateau est constitué de plusieurs plans transparents, horizontaux et superposés) de Youri Norstein, Le Conte des contes (1979).

Les techniques picturales sont également très variées. Il peut s’agir de peinture à l’huile peinte et repeinte dont toutes les transformations sont filmées image par image comme dans Les Temps héroïques (1985) de Géméz Joszef, qui représente plusieurs dizaines de milliers de peintures. Les pastels secs ou gras modifiés à l’estompe, au pinceau, au solvant ou par grattage, furent utilisés dans La Poulette grise (1947) de Norman McLaren ou encore dans Hammam (1992) de Florence Miailhe et l’aérographe dans Twenty-Four Variations on an Original Theme, film abstrait sur pellicule 8 millimètres des frères John et James Whitney (1940). On retrouve le dessin, le grattage et la peinture directs sur pellicule (sans caméra) dans Colour Box (1934) de Len Lye, dans les nombreux films expérimentaux de Norman McLaren dont Blinkity Blank (1955) ainsi que dans Le Nez (1963), d’après l’œuvre de Gogol, réalisé sur « écran d’épingles », technique mise au point par Alexandre Alexeieff et Claire Parker : dans un cadre vertical des milliers d’épingles sont enserrées horizontalement. On en fait ressortir la pointe de façon à accrocher une lumière rasante. Plus la pointe est sortie, plus le point est lumineux. Les poudres, le sable et les matériaux granuleux sont animés dans La Ville (1958) de Piotr Kamler, dans Trois portraits d’un oiseau qui n’existe pas (1963) de Robert Lapoujade ou dans Le Mariage du hibou (1974) de Caroline Leaf. Le film Pas de deux de Norman McLaren (1977), dans lequel un couple de danseurs évolue dans une surimpression de mouvements qui disparaît au fur et à mesure de leurs déplacements, fait appel à une autre technique : la manipulation optique. On peut utiliser aussi des photos, des photocopies, découpées ou non, animées, etc. Le film d’animation peut enfin faire appel à la mise en scène d’objets en volume devant la caméra, image par image.

D’autres techniques de manipulation sont utilisées dans le cinéma d’animation. Les cinéastes-sculpteurs-marionnettistes peuvent utiliser la pâte à modeler comme dans Closed monday de Will Winton (1974) et dans Wallace et Gromit de Nick Park (1996)  ou le verre soufflé dans Inspiration (1949) de Karel Zeman qui alla jusqu’à faire filer des figurines en verre, soit une figurine différente pour chaque personnage et pour chaque photogramme. Quant aux marionnettes utilisées par les cinéastes d’animation, elles doivent pouvoir être manipulées à loisir, mais surtout « tenir la pose » afin d’être filmées image après image. En général, les personnages sont articulés grâce à un « squelette à rotules » rembourré et habillé, ou fabriqués en mousse armée d’un fil métallique malléable (cuivre, laiton, plomb, aluminium). Elles ne doivent pas dépasser la taille d’une vingtaine de centimètres, sinon les décors installés sur la table qui fait office de plateau, deviendraient gigantesques. Le maître incontesté de cette technique fut Jiri Trnka. Les marionnettes à fils furent utilisées par exemple dans Un comédien sans paradoxe (1974) animé par Robert Lapoujade ou A Chairy Tale (Il était une chaise, 1957) de Norman McLaren qui narre, sur une musique de Ravi Shankar, les sautes d’humeur d’une chaise qui veut être aimée. La manipulation était assurée par des fils de nylon noir et le tournage effectué en « pixillation » qui consiste à prendre une série de photogrammes d’une partie seulement d’une action à des moments différents. On prend par exemple un photogramme d’un comédien qui saute au moment où il est en l’air, on le fait se déplacer, on reprend un photogramme lorsqu’il saute à nouveau et ainsi de suite …À la projection on verra le comédien se mouvoir sans toucher le sol. C’était cette technique qu’utilisait Norman McLaren dans Les Voisins (1952). Les objets animés apparaissent dans Alkathène circus d’Étienne Raïk (1957) ou bien dans Renaissance de Walerian Borowczyk (1963). Les marionnettes de papier sont utilisées par le Japonais Yoji Kuri.

Il faut aussi mentionner Jan Švankmajer (ainsi que son épouse et collaboratrice Eva Švankmajerová). Imprégné de pensée surréaliste, il anime, avec le même talent, la pâte à modeler, les objets, les marionnettes …Parmi ses vingt-cinq courts métrages et ses quatre grands films citons : Don Šajn (Don Juan, 1970, grandes marionnettes à tringles et fils), Do pivnice (La Cave, 1983), Něco z Alenky (Alice, 1987), Spiklenci slasti (Les conspirateurs du plaisir, 1996) et Otesánek (2000).

La réalisation

La réalisation d’un film en cinéma d’animation est longue, fastidieuse et demande une grande méticulosité dans la préparation. À partir du synopsis qui présente l’argument essentiel, est développé le scénario. Le découpage en séquences permet de dessiner le scénarimage (anglais story board, une sorte de bande dessinée) qui prépare les cadrages, les angles des prises de vues, les déplacements des personnages, les mouvements de caméra, le nombre de photogrammes, les éclairages, la musique, les dialogues. Personnages et décors ont été conçus et modélisés auparavant (model-sheet), fabriqués, articulés, peints, habillés. Tous ces éléments constitutifs sont orchestrés par une rigoureuse « base-temps » (24 images/seconde pour le cinéma et 25 images/seconde pour la télévision, qui est la vitesse de balayage électronique de l’écran par un point lumineux). On peut descendre jusqu’à 8 images/seconde mais c’est au détriment de la qualité, l’image devenant sautillante. Une journée de travail produit quelques secondes de film. L’animation assistée par ordinateur permet un gain de temps considérable, que ce soit dans la création des personnages, dans la multiplication des images, le dessin des intervalles ou dans les déplacements dans l’espace en 3 D au travers de décors numériques. Peter Foldès utilisa l’ordinateur en 1976 dans Visage. En 1986, John Lasseter réalisa exclusivement en images numériques Luxo Junior ainsi que Toy Story en 1995, le premier long métrage en images de synthèse.

Il faut aussi évoquer les films qui utilisaient les marionnettes pour leurs effets spéciaux bien avant que les ordinateurs ne s’emparent de cette part de rêve avec parfois une sécheresse technologique qui dépoétise bien des productions cinématographiques contemporaines. Citons les plus connues : l’ « énorme » gorille créé par Willis O’Brien pour King Kong (1933), qui mesurait en réalité 45 centimètres de haut, même si certains plans utilisèrent aussi une tête, une main ou un pied géants ; ou le combat contre les squelettes dans The Seventh Voyage of Sinbad (Le Septième Voyage de Sindbad, 1958), œuvre de Ray Harryhausen, formé par le même Willis O’Brien.

Au début du XXIe siècle, le cinéma d’animation prend deux directions opposées : celle de la superproduction, d’un côté, qui requiert un budget énorme afin de pouvoir faire appel aussi bien aux techniques traditionnelles qu’aux trucages numériques les plus sophistiqués, celle de la création de « films d’artistes » de l’autre, avec relativement peu de moyens. Dans ce cas, les caméras numériques sont pilotées pour l’image-par-image, sans déchirure. Ces réalisations se font « à l’économie » : sans pellicule, sans développement, ni rushes, ni tirage, sans montage à la table double bande, ni pistage son magnétique ou optique, ni copie …et les logiciels de montage sur ordinateur deviennent financièrement abordables. Mais il faut toujours une infinie patience et beaucoup de passion, une ingéniosité à toute épreuve, une bonne dose d’imagination sans oublier une vision poétique de la vie pour animer les marionnettes.

(Voir aussi Cinéma, Télévision.)

Bibliographie