Dramaturge  japonais, le plus grand de l’époque d’Edo, souvent appelé le « Shakespeare japonais ».  Son œuvre est considérable, comprenant au moins une centaine de pièces destinées au ningyô-jôruri (voir Bunraku) ainsi qu’une trentaine conçues pour le kabuki. De son vrai nom Sugimori Nobumori, il naquit dans une famille de samurai au service du daimyô d’Echizen, dont son grand-père maternel était le médecin. Il reçut ainsi une éducation soignée, incluant une bonne connaissance des classiques chinois et japonais. Lorsqu’il eut une quinzaine d’années, la famille s’établit à Kyôto où il entra comme page au service de nobles familles, en particulier de celle d’Ichijô Ekan, un prince impérial qui jouait alors un rôle important dans la vie culturelle de la cour. À la mort de son protecteur, il servit encore d’autres aristocrates, mais décida bientôt de se consacrer au théâtre.

En 1675, il travailla sous la direction d’Uji Kaga-no-jô (1635-1711) – un célèbre chanteur (tayû) de Kyôto pour lequel il rédigea des livrets de ningyô-jôruri, mais jusqu’au début des années 1680, il écrivit également pour le kabuki. Le tournant se produisit en 1683, lorsqu’il s’associa avec Takemoto Gidayû (1651-1714), un grand chanteur et directeur de théâtre, qui choisit son Yotsugi Soga (L’Héritier des Soga), une nouvelle variation sur le thème de la vengeance des frères Soga, créée par Kaga-no-jô l’année précédente, pour le programme inaugural du Takemoto-za, ouvert dans le quartier des théâtres d’Ôsaka en 1684. L’année suivante, Chikamatsu proposa une nouvelle pièce historique – Shusse Kagekiyo (Kagekiyo victorieux) – dont l’immense succès confirma sa réputation et signa en quelque sorte la fin du vieux jôruri.

Pourtant, tout en poursuivant sa collaboration avec Takemoto Gidayû, il composa également plusieurs pièces pour l’une des plus grandes vedettes du kabuki, Sakata Tôjûrô (1647-1709) – le créateur du wagoto, ce style de jeu « doux » et quelque peu alangui caractéristique du kabuki du Kansai – qui dirigeait alors le Miyako Mandayû-za à Kyôto. Après la demi-retraite, au début des années 1700, de ce comédien qui, exceptionnellement, respectait ses textes, le dramaturge  consacra tous ses talents au seul ningyô-jôruri pour lequel il inventa un genre nouveau, révolutionnaire pour l’époque, avec ses sewamono (tragédies bourgeoises).

Ainsi, en 1703, s’inspirant d’un fait divers récent, il présenta au Takemoto-za Sonezaki shinjû (Double suicide à Sonezaki) qui remporta un triomphe et permit à la salle de Gidayû de sortir de la mauvaise passe qu’elle traversait. Cette pièce inaugurait une série de vingt-quatre sewamono qui, délaissant les grands guerriers de jadis, présentaient les amours généralement tragiques de citadins ordinaires. Il s’agit le plus souvent de fils de marchands qui, pris entre leur amour pour une malheureuse courtisane et leurs obligations sociales et familiales, n’ont d’autre issue que le suicide en compagnie de leur amante.

Dramaturge attitré de la troupe, Chikamatsu écrivit aussi plusieurs drames historiques de grande valeur pour Gidayû et pour son successeur, Masadayû (1691-1744), parmi lesquels Kokusen.ya Kassen (Les Batailles de Coxinga, 1715), qui retrace les exploits d’un personnage historique, un chef de pirate métis sino-japonais, qui aide la dynastie des Ming à résister aux Mandchous. Inscrite dans un univers d’un héroïsme surdimensionné, propice au déploiement de toutes les ressources scénographiques des poupées, cette pièce connut un succès sans précédent. Elle resta à l’affiche du Takemoto-za quelque dix-sept mois, malgré la concurrence des troupes de kabuki qui s’en emparèrent immédiatement et la présentèrent aussi bien à Kyôto et à Ôsaka qu’à Edo.

Les dernières années de Chikamatsu furent extrêmement productives : entre 1717 et 1722, il signa vingt et une pièces, parmi lesquels des textes majeurs comme Shinjû yoigôshin (Double suicide dans la nuit du kôshin) ou Shinshû Kawanaka-jima kassen (La Bataille de Kawanaka-jima dans la province de Shinshû), avant que la maladie ne le contraigne peu à peu au silence. Quelques années après sa disparition, apparurent déjà des textes le saluant comme la « divinité tutélaire des dramaturges », et il est aujourd’hui unanimement considéré non seulement comme le grand dramaturge d’Edo, mais comme l’un des écrivains majeurs du Japon.

(Voir Japon.)

Bibliographie

  • Chikamatsu, Monzaemon. Chikamatsu’s Five Late Plays. Trans. A. Gerstle. New York: Columbia University Press, 2001.
  • Chikamatsu, Monzaemon. Les tragédies bourgeoises. Trans. R. Sieffert. 4 vols. Paris: POF, 1991-1993.
  • Chikamatsu, Monzaemon. The Battles of Coxinga. Trans. D. Keene. London: Cambridge University Press, 1951.
  • Major Plays of Chikamatsu. Trans. D. Keene. New York: Columbia University Press, 1961.