Les marionnettes sont « tout d’abord un langage puis un répertoire », écrivait Roberto Leydi dans Marionette e Burattini (1958). Étroitement lié aux possibilités et aux caractéristiques expressives de cette forme théâtrale, le répertoire du théâtre de marionnettes est difficile à restituer pour des raisons d’ordre historique et culturel, car ces matériaux ont été soit dispersés soit perdus. Les marionnettistes les considéraient bien souvent comme de simples instruments de travail qui ne méritaient pas d’être conservés. Toutefois, nombre de canevas existent encore aujourd’hui et attendent d’être répertoriés, classés et étudiés. À l’exception de quelques recherches historiques ponctuelles, aucune étude systématique qui permettrait la restitution de tout un pan de la culture théâtrale d’un pays ou d’une époque, n’a encore été entreprise.

Le répertoire des marionnettes se divise d’emblée en tradition orale et tradition écrite. Toutes deux ont été transmises au sein de la profession de père en fils et de maître à élève. La première est fondée sur la mémoire des textes mais aussi de la voix (voire des onomatopées) et des gestes accomplis par le marionnettiste en fonction d’un noyau défini de situations dramatiques. Les deux exemples types sont les répertoires de Guignol et du Pulcinella des guarattelle napolitaines, où le caractère du personnage est indissociable de ces éléments « immatériels ». Cette règle vaut aussi pour les personnages d’autres traditions comme Hanswurst, Kasperl, Petrouchka ou Punch. Nombre des manuscrits qui nous sont parvenus, le plus souvent dans un état déplorable, sont des copies de canevas plus anciens, témoignant de l’extraordinaire permanence des traits fondamentaux du répertoire des marionnettes. Le fonds écrit comprend des textes, dont une grande partie est issue d’une littérature non théâtrale, ainsi que des tragédies et des comédies destinées au théâtre d’acteurs et comprenant aussi bien des grands classiques de l’Antiquité que des œuvres de Shakespeare ou de Molière. Ce répertoire puise ainsi dans un ensemble très varié de sources : textes bibliques et vies des saints ; chansons de geste et romans de chevalerie, poèmes épiques et légendes ; œuvres classiques et lyriques ; romans populaires, chefs-d’œuvre et grands mythes de la littérature (Faust ou Don Juan) ; drames historiques et évocations fantaisistes d’épisodes guerriers et patriotiques (avec des personnages historiques magnifiés ou caricaturés comme Napoléon en France, Garibaldi en Italie, Alexandre le Grand en Grèce) ; histoires de brigands et drames « à sensation ». De leur côté, les héros de la littérature enfantine, les fables, les contes (Blanche-Neige, Cendrillon, Pinocchio, La Belle et la Bête, les œuvres de Charles Perrault, des frères Grimm, de Hans Christian Andersen …) ont alimenté le très vaste répertoire des spectacles de marionnettes pour enfants. Cette diversité explique que la construction du « scénario » a emprunté souvent des voies complexes, produisant des contaminations, des adaptations, des parodies, le remaniement d’éléments provenant de la culture officielle et « noble », revus à la lumière de la tradition et de la morale populaire, toujours agencés en fonction des circonstances, de la nature du public (citadin ou rural, bourgeois ou populaire, adulte ou enfantin) et des contraintes logistiques. Ainsi, entre autres exemples, Victor ou l’Enfant de la forêt, entré dans le répertoire de la compagnie Béranger en 1816, était une adaptation de l’œuvre de Pixerécourt (1797), elle-même issue d’un roman de Ducray-Duminil.

Le répertoire d’inspiration religieuse

Parmi les thèmes récurrents des canevas traditionnels, les épisodes tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament et des vies des saints, sont notables par le mélange d’un message moralisateur ou édifiant et d’effets dramatiques spectaculaires. Au XVIIe siècle, selon Ben Jonson dans sa Bartholomew Fair (La Foire Saint-Barthélemy), les marionnettes jouaient ainsi la destruction de Sodome et Gomorrhe ou celle de Ninive ; au siècle suivant, William Hogarth peignit la foire de Southwark en y insérant un spectacle de marionnettes mettant en scène Adam et Ève chassés du Paradis (voir Foires). Toujours dans ce répertoire d’inspiration religieuse, le massacre des Innocents constitue une scène violente dans les spectacles sur la Nativité qu’ils soient de tradition liégeoise (Li Naissance) ou d’Europe orientale (la szopka polonaise et le vertep ukrainien notamment). Certains thèmes permettaient plus que d’autres des scènes fortes et spectaculaires, comme l’attaque des démons dans La Tentation de saint Antoine. Au début du XXe siècle, le théâtre Pitou s’était rendu célèbre pour ses « effets spéciaux » accompagnant la scène de la Crucifixion ou celle de la Pentecôte : éclairages et coups de tonnerre au-dessus de la croix, descente des langues de feu sur les apôtres. À certaines périodes de l’année (Noël, Pâques, Semaine sainte, fêtes du saint patron), le théâtre de marionnettes accompagnait la liturgie et la tradition des Nativités eut un rôle essentiel pour enraciner le théâtre de marionnettes dans la culture populaire. Dans ce type de répertoire, les événements religieux étaient entrecoupés de saynètes comiques avec intrusion de personnages de la tradition locale, de figures diaboliques et monstrueuses, ou encore de personnages typiques de la région, souvent caricaturés (le Cosaque, le Juif, le Tsigane). En Espagne, des épisodes comme l’expulsion du Paradis incluaient Don Cristóbal tandis qu’au Portugal, dans les spectacles des Bonecos de Santo Aleixo, la création du monde était entrecoupée de saynètes comiques et musicales. La légende de sainte Geneviève de Brabant (un conte à tonalité morale qui se diffusa largement dès le Moyen Âge et devint à partir du XVIIIe siècle l’un des thèmes favoris des marionnettistes itinérants, notamment en Allemagne et en France ; voir Troupes itinérantes) incorpora divers personnages locaux, selon les régions où l’on jouait. Par ailleurs, la lutte du Bien et du Mal, outre le thème de l’injustice sociale, était également au cœur des histoires de brigands qui se répandirent avec succès en Bohème, en Slovaquie et en Allemagne.

Le répertoire satirique

Une autre caractéristique essentielle du répertoire des marionnettes est la parodie. Au XIXe siècle, le théâtre Gerolamo de Milan et le théâtre Gianduja de Turin présentaient fréquemment des parodies des grandes œuvres lyriques, l’effet comique étant d’emblée produit par l’étroitesse de la scène accueillant un opéra tel que Aida de Verdi. À Lyon, entre 1878 et 1888, Pierre Rousset faisait de même avec ses adaptations de drames des « grands théâtres » comme dans Guignol Tell, Guignol et Juliette ou Robert le Diable, où Guignol chantait les airs de ténor tandis que Gnafron faisait la basse. Dans la seconde moitié du XXe siècle, José Géal, du Théâtre royal de Toone à Bruxelles, exploita cette veine avec Cyrano de Bergerac ou Don José tiré de Carmen. Très souvent, dans ce répertoire satirique, les diatribes des personnages tels Pulcinella, Guignol ou Ghetanaccio visaient directement les institutions.

Les traditions orientales

Le répertoire du théâtre de marionnettes des pays d’Orient présente aussi une très grande diversité et se divise de même en traditions orales et écrites. Cette complexité est accentuée par la pluralité de ses modes d’expression et techniques dont certaines spécifiques – ombre, masque, danse, marionnettes « vivantes » (ou « de chair » comme en Chine), marionnettes sur eau –, chaque genre ayant son répertoire approprié. Toutefois, on y décèle des traits communs, en particulier l’importance du chant et de la musique par rapport au texte écrit, le rapport étroit et subtil avec le théâtre d’acteurs – le kabuki emprunta même ainsi certaines de ses caractéristiques au théâtre de marionnettes –, le rôle central des éléments rituels et religieux (en particulier en Indonésie et à Taïwan) ou des grandes épopées, comme le Râmâyana et le Mahâbhârata en Inde et le Voyage en Occident (Xiyou ji)) en Chine (voir Roi des singes). De son côté, le Japon se distingue aussi par la grande richesse de son répertoire écrit, dû à Chikamatsu Monzaemon, à la base du ningyô jôruri ou bunraku.

À cet égard, en Occident également, la marionnette a suscité la création de textes spécifiques qui sont entrés au répertoire des compagnies (certaines pièces de Michel de Ghelderode pour le théâtre de Toone, de *Maurice Maeterlinck[/lier], de Federico García Lorca, Ubu roi d’Alfred Jarry) et aujourd’hui, s’ébauche une tendance au renouvellement de l’écriture théâtrale à partir des caractéristiques propres au répertoire des marionnettes.

(Voir aussi Dramaturgie.)