Située en Asie du Sud-Est, la Malaisie est aussi appelée la Fédération de Malaisie (en malais : Persekutuan Malaysia). Elle est constituée de deux régions : la Péninsule de Malaisie qui partage des terres et des frontières maritimes avec la Thaïlande et des frontières maritimes avec Singapour, le Viêt-nam et l’Indonésie ; et la Malaisie de l’Est (Bornéo) qui partage des terres et des frontières maritimes avec Brunei et l’Indonésie et une frontière maritime avec les Philippines. La Malaisie obtient son indépendance en 1957 après deux cent ans de domination britannique.

La seule forme traditionnelle de théâtre pratiquée en Malaisie est le théâtre d’ombres, le wayang kulit de wayang : représentations, et kulit : cuir. Les origines de sa présence dans le pays sont obscures, mais les chercheurs s’entendent sur sa probable apparition au XVIIIe siècle sous l’influence des cultures javanaise et thaï (dite autrefois siamoise).

Comme dans toute forme de wayang kulit, le dalang est l’officiant, le manipulateur et le récitant ; les ombres sont des silhouettes plates finement découpées dans du cuir (de la peau de buffle ou de chèvre, en Malaisie), peintes et projetées sur un écran de coton blanc ici le kelir. Les assistants du dalang (souvent deux en Malaisie) sont chargés  d’installer le dispositif, de passer les figures au montreur pendant la représentation ou d’assurer le bruitage, tandis l’orchestre joue. Les instruments traditionnels d’un orchestre de wayang malais sont le hautbois à sept trous (serunei) ou parfois la viole (rebab), trois tambours (gendang, gedombak et un geduk) et plusieurs petits gongs.

La spécificité de la Malaisie est de pratiquer, selon les régions, quatre variétés de wayang kulit : le wayang kelantan (auparavant appelé wayang siam), le wayang gedek, le wayang purwa et le wayang melayu.

En provenance de l’empire khmer, le wayang kulit Kelantan est arrivé dans l’état de Kelantan, au Nord-Est de la Malaisie, par le Sud de la Thaïlande qui partage une frontière avec le Kelantan. On trouve le wayang kulit Kelantan jusqu’au Cambodge. Si l’on peut reconnaître l’influence thaï dans l’apparence des personnages et dans la musique, les textes sont des adaptations malaises du Râmâyana, l’épopée indienne, devenue le Hikayat Seri Rama (l’Histoire du Prince Râma). Ils décrivent la lutte du héros avec Maharaja Wana (Râvana) et sont joués dans le dialecte de Kelantan. Les ombres, toujours de profil, ont un avant-bras mobile. Les personnages des clowns, Pa Dogel et Wak Long, sont des variantes locales de la figure du dieu-clown que l’on trouve dans la plupart des genres du wayang. La lecture d’un mantra précède le spectacle et est accompagnée de l’apparition d’un ermite et de deux batailles dewa panah. On peut comparer cette lutte rituelle à celle des deux Hanuman (noir et blanc) qui ouvrent le spectacle de théâtre d’ombres thaï-khmer.

Deux dalang de cette région marquent le wayang kulit contemporain. Hamzah bin Awang Amat (1940-2001), artiste prodige, directeur de la troupe Seri Setia, qui remporta un tel succès au festival de Kuala Lumpur en 1969 qu’il fut ensuite invité à jouer en Europe, aux États-Unis, en Turquie et dans différents pays d’Asie. Ses talents de montreur, mais aussi de musicien, de chaman, de fabricant de figurines ou d’instruments traditionnels, et son action en faveur de la préservation d’un art ancestral, lui valurent d’obtenir le titre de Seniman Negara, artiste national. Son fils offre actuellement des spectacles dans les écoles qui portent sur les traditions culturelles. Il présente aussi ses pièces à divers groupes d’étudiants universitaires intéressés par l’exploration de formes de l’héritage culturel. Par contre, à cause du conservatisme religieux grandissant au Kelantan, il remet en question l’utilisation des textes et légendes du Râmâyana ; Dollah Baju Merah (Dollah « Chemise Rouge », 1937 ?-2005), a été surnommé ainsi à cause du vêtement qu’il a offert à chaque membre de son groupe après avoir reçu un premier cachet conséquent. Il a commencé très jeune lui aussi et a acquis une grande notoriété, mais son activité s’est ralentie avec la concurrence croissante des spectacles modernes. À partir des années 1990, la croissance du fondamentalisme religieux a sérieusement remis en question le contenu des performances, de l’utilisation des éléments non-islamiques, des rituels et des prières associés aux diverses formes du wayang. Dans les années 1960, il y avait plus de 300 dalangs et en 2014, il n’en restait plus qu’une poignée.

Les origines thaï sont encore  reconnaissables dans les marionnettes, la musique et les récits du wayang gedek ou nong talung des états de Kedah et de Perlis, au Nord-Ouest de la Malaisie. Cependant ces marionnettes sont conçues pour être vues directement, en trois dimensions, par le public, et le hautbois de l’orchestre (serunei) est typiquement malais, accompagné de tambours (gedombak, geduk), une paire de gongs suspendus et une paire de petits gongs sur un support (kerincing). Les textes sont dits dans le dialecte de Kedah.

Le wayang kulit purwa et le wayang kulit melayu sont influencés par la culture de Java. On trouve le premier dans l’état de Johore, sur la côte sud-est de la péninsule malaise. Ses textes sont des adaptations du Mahâbhârata indien et du cycle du Panji indonésien, joués en dialecte local ou en javanais. Ses personnages sont reconnaissables à leurs grands yeux. L’orchestre (gamelan) du wayang purwa est unique par son ensemble de gongs : un grand gong (gong agung) et dix autres, différents : le gambang (xylophone), le suwokan (gongs suspendus), gender, kenong, kempul, saron, slentem, peking (saron penerus), ketok/kompang (toutes les percussions de métal), rebab (une viole malaise), et gendang (kendang, le tanbour). Le Wayang kulit purwa est encore présenté, occasionnellement.

C’est principalement dans les états de Kelantan et de Terengganu, sur la côte est, qu’est pratiqué le wayang melayu. Ses récits, en dialecte local, s’inspirent aussi des épopées du Râmâyana et du Mahâbhârata, ou du cycle du Panji,  joué en javanais ou dans le dialecte local. Ses ombres ont la particularité d’avoir deux bras mobiles. Dans l’orchestre, il y a des gongs sur un support (canang), des gongs suspendus (gong), des tambours (gendang), et des cymbales (kesi). Un violon malais (rebab) s’ajoute aux instruments traditionnels. Les figurines d’ombre ressemblent aux marionnettes javanaises et les personnages de démons et ceux qui ont un fort caractère ont de grands yeux caractéristiques. Les célèbres personnages comiques du wayang purwa javanais, Semar, Gareng et Petruk, ont été remplacés par leurs homologues malaisiens, Pak Dogol et Wak Long. Selon qu’ils sont bons ou méchants, les personnages apparaissent dans d’uniques postures déterminées, classés par types de corps et par les genres de coiffes de tête facilement identifiables par le public. Dalang Hussain du Kelantan qui était déjà à la retraite dans les années 1990, est probablement l’un des derniers performeurs du wayang kulit melayu.

Malgré leurs grandes différences, les quatre variétés du walang kulit représentent bien les qualités uniques du théâtre d’ombres de la Malaisie. Les spectacles, qu’ils soient rituels ou populaires, ont longtemps été à l’avant-plan des célébrations dans les villes et les campagnes. Le wayang kelantan, à cause de ses liens avec l’animisme, est maintenant banni des représentations publiques et on peut le voir parfois, lors de brèves apparitions destinées aux touristes. Lorsque le Parti Islamique (PAS) a pris le pouvoir dans les années 1990, ses politiques ont été imposées à cette forme d’art. Des dalang comme Hamzah, ont enseigné à l’Académie Nationale des Arts (Akadami Seni Kabangsaan), maintenant connue sous le nom (ASWARA). Ils ont offerts des cours et des conférences dans les universités attirant ainsi de nouveaux publics et étudiants. Hamzah enseignait surtout la musique et transmettait peu des techniques liées aux spectacles. Ainsi, peu de dalang ont été formés.

Les artistes contemporains de Kuala Lumpur et de Penang, invitent parfois un dalang à collaborer à leurs expérimentations mais les présentations de performances traditionnelles sont rares. Ce sont maintenant les nouveaux médias et les approches spectaculaires actuelles qui les remplacent. Le rôle du dalang dans la Malaisie contemporaine consiste plus à préserver l’héritage culturel qu’à créer et développer l’avenir. Malgré une reconnaissance sporadique venant du gouvernement ou d’expérimentations artistiques internationales, le rôle du dalang s’effrite.

Certains artistes des arts visuels contemporains explorent la traduction du théâtre de marionnettes traditionnel, tel le wayang gedek, en animation digitale.

Grâce à l’immigration issue de la Chine, pendant la période coloniale britannique qui a débuté en 1824, les divers genres de marionnettes chinoises que ce soit la marionnette à gaine (budaixi), la marionnette à tiges, ou la marionnette à fils, ont été importés. Tout comme en Chine, les performances avaient un rôle rituel et jusque dans les années 1980, on pouvait régulièrement voir des spectacles de marionnettes à gaine aux festivals des temples.

Avec les nouvelles politiques culturelles pro-Malaisie et après les émeutes de 1969, les représentations des spectacles traditionnels chinois se sont faites de plus en plus rares. Les productions de l’avant-garde actuel incorporent parfois des marionnettes destinées aux enfants. Certaines communautés (Malaise, Chinoise ou Indienne) tentent de ranimer les traditions dans leurs activités culturelles, mais la marionnette traditionnelle de la Malaisie est mieux représentée à travers les recherches de professeurs tel le Dr Ghulam Sawar que dans des manifestations quotidiennes. Toutefois, sous la direction de Ghulam Sawar, la Malaisie acceuille des événements de théâtre de marionnettes de l’Asie du Sud-Est et ASWARA, l’Académie des Arts tiendra, en 2014, un événement majeur. Ce type de manifestations peut contribuer à renouveller l’intérêt des publics pour l’héritage culturel.

Bibliographie

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