Épopée indienne dont les épisodes, en sanscrit ou dans des adaptations en diverses langues et dialectes, constituent une part essentielle du répertoire du théâtre d’ombres et des marionnettes en Inde et en Asie du Sud-Est. De ce point de vue aussi, elle est sœur du Râmâyana, avec qui elle partage un rôle fondateur dans la culture indienne.

Le Mahâbhârata, avec ses dix-huit livres et son supplément, soit près de cent mille distiques ou deux cent mille vers dans la recension la plus longue, celle du Nord, constitue sans doute le plus vaste poème de la littérature mondiale. Il a été compilé au fil des siècles, de la fin de l’époque védique (vers le milieu du IVe siècle avant notre ère) jusqu’au IVe siècle de notre ère. Cette compilation est placée sous le nom du poète légendaire Vyâsa. Le titre Mahâbhârata signifie « le grand (récit de la bataille des) Bhârata ». Le sujet principal, en effet, est la lutte entre deux familles, les Kaurava et les Pândava, issues de deux frères du clan Bhârata, et l’immense bataille qu’elles se livrent. Le poème reflète l’état de l’Inde ancienne avant l’empire maurya, au plan légendaire et mythique, mais aussi par ses excursus philosophiques, politiques ou juridiques. Le VIe livre, la Bhagavad-Gitâ, dialogue entre le dieu Krishna (avatar de Vishnu) et le héros Arjuna (l’un des Pândava), est considéré comme un joyau de spiritualité.

D’un point de vue dramatique, les épisodes les plus représentés sont :

la partie de dés truquée à la suite de laquelle les cinq Pândava doivent s’exiler dans la forêt, perdant à la fois leur royaume et leur épouse commune, Draupadî ;
Draupadî sauvée par Krishna de la convoitise des Kaurava ;
Arjuna maître de danse ;
l’exécution de Dusashana (un Kaurava) par le Pândava Bhîma ;
la mort d’Abhimanyu, fils d’Arjuna.

Dans l’Inde ancienne, les épisodes du Mahâbhârata étaient dits par des suta, sortes d’aèdes errants, professionnels, qui offraient leurs services dans les cours royales et récitaient, psalmodiaient, ces chants en s’accompagnant d’un instrument, luth ou hochet, ou en claquant dans leurs mains. Le parlé-chanté des conteurs et des ritualistes se compléta par la figuration de personnages des mondes invisibles sous l’aspect d’ombres à travers un écran, donnant naissance à des formes comme le tolu bommalata, le togalu gombeyata ou le râvanachhaya. L’écran, devenu rideau ou « déchirement de l’univers » (tirasila), subsiste dans le drame dansé du kathakali.

Issu du cœur de l’Inde, puisque le royaume des Kaurava correspond à la région de Delhi, le Mahâbhârata se diffusa dans le sous-continent et dans toute l’Asie du Sud-Est. En Birmanie, en Thaïlande, au Cambodge, en Malaisie, en Indonésie, il a donné naissance non seulement à d’importantes oeuvres littéraires, mais à des expressions théâtrales intimement liées aux cultures nationales. Dans sa version malaise (Hikayat perang Pandawa jaya), l’épopée côtoie le cycle de Panji et sert de support au théâtre d’ombres. La version javanaise du Mahâbhârata, appelée Brata yudha (La Guerre des Bhârata), et l’Arjunavivaha (Le Mariage d’Arjuna) sont utilisées aussi bien par le théâtre d’acteurs (wayang wong ou orang) que par les marionnettes et les ombres. À Bali, chaque épisode donne lieu à des représentations indépendantes où l’on retrouve les titres de Bratayudha, d’Arjunawiwaha, etc. Dans tous ces pays, le Mahâbhârata contribue à réaliser une communication entre les différents idéaux religieux et synthétise les valeurs culturelles (voir aussi Wayang).

Des créateurs étrangers aux cultures de l’Inde s’inspirent aujourd’hui du Mahâbhârata pour poser une série de questions, sur la guerre en particulier. En Italie puis en France, Massimo Schuster a créé « son » Mahâbhârata (2003), avec des marionnettes d’ Andrea et Enrico Baj, non articulées, posées sur socle et déplacées pour accompagner le récit du conteur.

(Voir Inde.)

Bibliographie

  • Carrière, Jean-Claude. Le Mahabharata. Adaptation théâtrale (création au Festival d’Avignon), Centre international de créations théâtrales, Paris, 1985, 4 fascicules.
  • Dumézil, Georges. Mythe et épopée. L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens. Vol. I. Paris: Gallimard, 1968.
  • Esnoul, Anne-Marie. L’Hindouisme. Paris: Fayard-Denoël, 1972, pp. 144-246.
  • Hopkins, E.W. The Great Epic of India. Calcutta, 1901, rééd. 1969.
  • Le Mahābhārata, extraits. Trad. franç. J. M. Péterfalvi, M. Biardeau éd. 2 vol. Paris: Flammarion, 1985-1986.
  • Le Mahâbhârata. Textes traduits du sanskrit et annotés par Gilles Schaufelberger et Guy Vincent. Québec: Presses de l’université Laval, Éditions de l’IQRC, tomes 1 à 3, 2004-2005 (publication en cours).
  • Mahābhārata. H. Fauché éd., trad. franç., 10 vol., Paris, 1863-1870. (Continuée par L. Ballin, 1899).
  • Renou, Louis, and Jean Filiozat. Manuel des études indiennes. L’Inde classique. t. I. Paris: Adrien Maisonneuve, 1985, pp. 383-395.
  • Sukthankar, V.S., S.K. Belvalkar, and P. L. Vaidya, eds. The Mahābhārata for the First Time Critically Edited. 19 vols. Pune: Bhandarkar Oriental Research Institute, 1933-1966.
  • The Mahabharata. P. G. Roy éd., trad. angl. 8 vol. Calcultta, rééd. 1919.