Souverain indépendant, plus libre de ses choix que d’autres créateurs dramatiques, le marionnettiste est aussi son propre ouvrier, son propre artisan et son homme à tout faire. Il est généralement le propre créateur de ses marionnettes et souvent de son castelet, de ses décors, de ses accessoires ainsi que d’une série d’effets spéciaux dont il est particulièrement fier. Et même quand il n’a pas réalisé lui-même ses marionnettes, il se les approprie sans vergogne, cherche à en devenir le maître. Son métier est fait d’idées, d’émotions, d’enthousiasmes, d’abstractions, qu’il portera en scène après des mois de travail manuel : menuiserie, sculpture, peinture, couture. Ce métier est à double face, à triple même, car s’y ajoutent l’administration, la publicité, l’organisation, que le marionnettiste, bien souvent, gère lui-même car il a rarement un imprésario.

Aujourd’hui, en Occident tout au moins, la majorité des marionnettistes « montent » en moyenne un spectacle par an ou tous les deux ans, soit par nécessité artistique profonde, soit pour répondre aux exigences de nouveauté des circuits que chacun s’est créés. Le processus est toujours le même : idée de départ – dramaturgie, construction des marionnettes et du dispositif scénique, choix ou création des musiques s’il y a lieu, enregistrement des voix et/ou apprentissage du texte à dire « en direct », assemblage des divers éléments, modifications inévitables, répétitions. L’art de la marionnette est d’abord un art personnel : celui d’un homme ou d’une femme, d’un couple, d’une famille, parfois celui d’une petite troupe qui prend à la longue un aspect familial. Cette faculté de créer tout seul, en couple ou en petit clan, de relativement « grands » spectacles, sauve depuis longtemps ce métier, même si aujourd’hui on constate la disparition progressive des grands spectacles de marionnettes à fils, au bénéfice des gaines et des formes nouvelles d’animation, nécessitant moins de manipulateurs. Les passionnés du fil, eux, se tournent vers le spectacle en soliste. Le montreur, comme on l’appelait jadis, se débrouille toujours.

Les formes du métier

Si le métier de marionnettiste est, actuellement en Europe, le plus souvent familial, il existe des exceptions. On connaît l’existence de grandes troupes, créées en Europe de l’Est après la Deuxième Guerre mondiale, où le marionnettiste était loin d’être seul et souverain, mais était entouré de dizaines, parfois de centaines de serviteurs de la marionnette : dramaturges, scénographes, peintres, sculpteurs, constructeurs, administrateurs, voire conseillers politiques. Mais la plupart de ces troupes ont disparu après l’écroulement du Mur de Berlin, et les plus motivés de leurs marionnettistes découvrent aujourd’hui les avantages et les inconvénients des très petites structures. À l’Ouest, il subsiste encore quelques grandes ou moyennes compagnies, comme celle des Colla, à Milan, dont les monumentales productions avec marionnettes à fils et nombreux décors, mobilisent une vingtaine d’animateurs. Le plus souvent, le marionnettiste du XXe siècle est un créateur indépendant. Comment et pourquoi s’est-il engagé dans cette voie? Plus rares de nos jours, les dynasties se sont parfois perpétuées. En Angleterre, le fameux montreur de Covent Garden, Percy Press, céda en 1980 son Punch et sa Judy à son fils, qui prit le nom de Percy Press II. En Belgique, la dynastie des Toone est célèbre et le Péruchet (nom d’artiste et titre à la fois ; voir Théâtre du Péruchet) se transmet au moment de quitter le castelet au plus valeureux des « jeunes », parent ou non. En Italie, beaucoup de marionnettistes sont figli d’arte (enfants de la balle) et reprennent le moment venu le flambeau paternel. D’autres, beaucoup d’autres, ont délibérément choisi ce curieux métier – à la surprise de leurs parents et de leurs éducateurs – frappés par un spectacle de marionnettes vu par hasard, au Jardin du Luxembourg, sur les chemins de Katmandou ou à la télévision quand elle comptait parmi ses stars Nicolas et Pimprenelle, Topo Gigio, Cacciavitissimo ou les Muppets. Le marionnettiste contemporain vient d’horizons variés : le théâtre, les arts plastiques, le spectacle de rue, l’enseignement, le mouvement néo-hippie, l’université. Aucune généralisation n’est possible quant à la prédisposition à cette vocation. La marionnette est un art à part ; chacun y vient puis l’interprète à sa manière.

L’apprentissage

Mais la marionnette est aussi un instrument, qu’il faut à la fois construire et maîtriser. Le métier de marionnettiste commence comme tous les autres par l’apprentissage ou l’étude. Trois types d’approche du métier de marionnettiste existent : l’école de marionnettes, l’apprentissage au sein d’une troupe, la formation autodidacte (voir Formation). Le marionnettiste en parcourt souvent plus d’une, successivement ou en même temps. Il y apprendra trois choses : manipuler, construire une marionnette, créer un spectacle (voir Formation). La manipulation est l’apprentissage indispensable de la grammaire du jeu dramatique des marionnettes. La technique varie d’un type de marionnette à l’autre, mais la grammaire est immuable et elle lui permettra de s’adapter à n’importe quel instrument : gaines, fils, marottes, formes nouvelles (voir Manipulation). La construction des marionnettes est plus spécifique : les marionnettes à fils exigent la révélation de secrets, jadis jalousement gardés, quant au poids, aux articulations et autres facteurs anatomiques (voir Secret, Ensecrètement). Les gaines, les marottes ont, elles aussi, leurs exigences particulières. Créer un spectacle, enfin, relève d’un enseignement plus délicat. Une troupe de marionnettes est une petite entreprise, qui produit et vend ses spectacles. Vendre, mais à qui ? Le « marché » des marionnettes est aléatoire et changeant. De nos jours, il est principalement constitué des écoles, des associations de parents d’élèves, des manifestations locales, des comités d’entreprise pour leur fête de Noël. La raréfaction des opportunités de spectacles pousse également le marionnettiste à des activités parallèles. On le voit organisateur dans des théâtres, des festivals, des expositions ou animateur de stages. Il croit quelquefois préparer ainsi le public de demain. Sauf accident ou maladie, la carrière du marionnettiste est longue. La pratique et le statut du marionnettiste changeront de forme comme ils l’ont fait au cours des siècles. L’essence de ce métier passionnel, entre alchimie et bricolage, restera, elle, sans doute identique.

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