Le théâtre de marionnettes est lié au voyage. Si les déplacements des artistes de la commedia dell’arte aux XVIe et XVIIe siècles ont donné naissance à un mythe du « comédien voyageur », à la même époque les places publiques de l’Europe accueillirent quantité de gens de toutes professions qui se côtoyaient, se faisaient concurrence et parfois se confondaient avec les acteurs de métier. Acrobates, saltimbanques, danseurs, clowns, charlatans, parfumeurs ou vendeurs d’onguents formaient le peuple coloré décrit par Tomaso Garzoni à la fin du XVIe siècle dans La piazza universale di tutte le professioni del mondo (La Place universelle de toutes les professions du monde). Dans les premières décennies du XIXe siècle, un artiste comme Luigi Rimini Campogalliani (1775-1839), archétype d’une dynastie italienne de marionnettistes, active jusqu’aux années trente et créateur du personnage de Sandrone, exerçait encore à la fois le métier de marionnettiste et celui d’arracheur de dents. Les marionnettistes de tout genre faisaient partie de cet ensemble de vendeurs de spectacles ambulants et étaient comme eux d’origine modeste, devenant dans les siècles suivants les emblèmes de ce « monde à l’envers » exploré par Piero Camporesi (1926-1997)

Les XVIIe et XVIIIe siècles

La documentation sur les marionnettistes, pour l’essentiel iconographique, est maigre, ce qui s’explique par le fait que souvent, ces artistes ne possédaient qu’un matériel rudimentaire et n’avaient besoin d’aucune licence et d’aucun lieu particulier pour déballer leurs tréteaux. C’est pourquoi les licences, quand il y en a, constituent une source importante pour repérer les troupes itinérantes. On retrouve ainsi la trace de marionnettistes italiens ou anglais dans les pays germanophones ; c’est par exemple le cas de Pietro Gimondi, qu’on suit à Munich en 1656, à Francfort en 1657, à Vienne en 1658, à la cour de Munich en 1672 et dans les années suivantes à Londres et à Paris. Cette mobilité des marionnettistes est importante pour expliquer le mélange entre cultures et traditions au début du XVIIe siècle. C’est ainsi que furent probablement importés certains masques comme en témoigne l’exemple éclatant de Pulcinella, personnage de prédilection des marionnettistes, que l’on retrouve dans d’autres pays d’Europe sous les noms de Polichinelle, de Punch, de Petrouchka ou de Kašpárek. À la différence des acteurs, qui au cours des siècles se sédentarisèrent, le théâtre de marionnettes conserva toujours ce penchant pour le voyage et ces artistes ambulants ne furent jamais liés au théâtre « officiel » comme ce fut le cas des acteurs de la commedia dell’arte qui au cours du XVIIe siècle finirent pas être engagés par les théâtres de cour. Au début du XVIIe siècle, la foire parisienne de Saint-Germain accueillit des marionnettistes et des saltimbanques qui, grâce à leur liberté de mouvement, échappèrent toujours aux interdictions ou au contrôle des autorités, au point que certains comédiens choisirent même la marionnette, faute de pouvoir obtenir une licence. En Angleterre également, à la fin du XVIIe siècle, face aux restrictions imposées par l’État, de nombreux acteurs devinrent marionnettistes tandis que, en Allemagne, des comédiens ambulants, souvent en provenance d’autres pays, présentaient aussi des marionnettes. On assista alors à la formation d’une corporation qui chercha à imposer des normes, parmi lesquelles une sorte d’ « uniforme » consistant en un large manteau et d’un chapeau noirs, mais également à interdire la transcription des textes, ce qui devait préserver le caractère oral et improvisé d’un art qui s’approchait ainsi de la commedia dell’arte. À cette époque, les marionnettistes et les montreurs d’ombres puisaient dans un répertoire encore lié aux représentations sacrées en partie constitué de drames populaires pour marionnettes (comme Le Docteur Faustus ; voir Faust) mais emprunté aussi massivement aux comédiens ambulants anglais ou italiens. Les spectacles de figures partageaient en effet avec ces compagnies de nombreux éléments. Les Englische Komödianten (Comédiens anglais) firent leur apparition dans les foires et dans les fêtes au Danemark et en Allemagne à la fin du XVIe siècle à la suite de la virulente campagne lancée contre le théâtre par les Puritains anglais. La figure du bouffon (clown, Narr) était souvent le chef de la compagnie et celui qui lui donnait son nom, tandis que sur scène, parmi ses comparses, des personnages locaux apparaissaient aussi. Le « comique en chef », c’est-à-dire le clown (Bouset, Pickelhäring, Stockfisch), maîtrisait quelques mots d’allemand et pouvait ainsi établir un contact direct avec le public en comptant sur ses boutades ou même sur des jeux de mots entre langues. Tous ces éléments appartenaient également au spectacle de marionnettes. Ce sont surtout les personnages (les « masques ») que les marionnettistes empruntèrent aux comici qui se déplaçaient dans les pays de langue allemande dès la fin du XVIe siècle. Le personnage de Pulcinella fut ainsi popularisé au côté de Hanswurst. Le spectacle ambulant poussa au mélange culturel et permit non seulement de diffuser les masques de la commedia dell’arte, les tournures de style et les genres, mais également d’en créer de nouveaux. En témoignent les formes de l’opéra pour marionnettes qui se diffusèrent en Italie et en France aux XVIIe-XVIIIe siècles ou, au début du XIXe siècle, les textes du marionnettiste allemand Johann Georg Geisselbrecht (1762-1826 ?), dont le répertoire conjuguait marionnettes et vaudeville (voir Variétés, music-hall, cabaret).

Le XIXe siècle

Au XIXe siècle, de nombreux artistes itinérants incluaient dans leurs programmes des ombres chinoises, des spectacles optiques, des panoramas, des dissolving views ou du theatrum mundi. Les Flamands Van Weymeersch avaient l’habitude de terminer leurs spectacles avec des transparencies. Certaines compagnies de marionnettes européennes émigrèrent aux États-Unis où jusqu’au début du XXe siècle, ils travaillèrent en relation avec d’autres genres de spectacle comme le cirque ou la variété (voir États-Unis).
À la même époque, toutefois, les marionnettistes tendirent à se stabiliser. Les tournées furent de plus en plus organisées et les mêmes foires furent fréquentées avec plus de régularité. À partir du milieu du XIXe siècle, les troupes de marionnettistes se formèrent de plus en plus autour d’un noyau familial stable (c’est le cas des Van Weymeersch, basés à Gand et sillonnant la Flandre) tandis qu’au XXe siècle, la tradition familiale tendit à se perdre comme en témoignent la menace de disparition qui pesa sur les pupi siciliens et l’action de sauvegarde à l’initiative de certains « paladins » actuels comme Mimmo Cuticchio. On connaît le nom de certaines compagnies qui traversèrent l’Europe au XIXe siècle : ainsi la Pratte de Prague, qui voyagea des Balkans à la Suède ; Pötau à Hambourg, qui fit une tournée dans les pays baltiques et certains marionnettistes itinérants atteignirent Saint-Pétersbourg. Le rôle des voies fluviales (le Danube ou le Dniepr) fut à cet égard fondamental avant l’intensification des échanges grâce au développement du chemin de fer. En même temps, les mises en scène s’affinèrent et le nombre de scénographies augmenta : les compagnies les plus organisées allaient jusqu’à utiliser deux wagons dans leurs déplacements, l’un pour la troupe, l’autre pour les équipements.

Le XXe siècle

Le spectacle itinérant fut célébré au cinéma, de Federico Fellini (La Strada, 1954) à  Totò (Che cosa sono le nuvole Qu’est-ce que les nuages ? de Pier Paolo Pasolini, 1967), en passant par Ettore Scola (Il viaggio di Capitan Fracassa Le Voyage du capitaine Fracasse, 1991), mais aujourd’hui, dans le système de production en vigueur, une vie de nomade comme celle des acteurs et marionnettistes des siècles passés est difficilement concevable même s’il existe toujours certains artistes liés davantage à cette tradition. Les déplacements se font habituellement en fonction des festivals ou de manifestations spécialement organisées pour cet art qui peut apparaître parfois comme une sorte de « domaine protégé ».

Au cours du XXe siècle, par ailleurs, le voyage se modifia : d’un côté, il devint celui de la mémoire, en quête de formes perdues et plus authentiques de la représentation, parfois avec des motivations d’ordre anthropologique ; de l’autre, les metteurs en scène et les acteurs dotés d’une formation plus ou moins traditionnelle se déplacèrent à la recherche d’autres formes de théâtre dans une volonté de transgresser à la fois les limites entre genres et les frontières géographiques. Le travail de Peter Brook en est un exemple récent. Celui de Gaston Baty (1885-1952) en est un autre : dans les dernières années de sa vie, il parcourut en effet le sud de la France sur des scènes ambulantes à la recherche des racines du guignol avec des tournées qui ressemblaient, selon ses mots, au « plongeon d’un mort dans l’eau vive de la mémoire », poursuivant l’utopie d’un retour aux racines de la culture populaire.

Le Bread and Puppet Theater de Peter Schumann s’inspire également du folklore, travaillant avec des grandes poupées, des marionnettes géantes, des sculptures manœuvrées par des acteurs, redonnant à l’événement scénique sa signification communautaire, quasi « religieuse ». S’unissent ici l’esprit du bouffon à la recherche de la vérité, l’idée d’animation de la nature et de la matière et le rêve d’une enfance du théâtre retrouvée.

La renaissance du théâtre de rue

Le legs des comédiens ambulants semble avoir été transmis aujourd’hui au théâtre dit « de rue ». Cette dénomination contient déjà l’idée de déplacement qui devient un élément intrinsèque de la poétique de ces nouveaux saltimbanques. Au début du XXe siècle déjà, dans son exaltation de la ville et de la vie urbaine, le mouvement futuriste avait opposé l’irruption de la vie urbaine sur la scène aux salles fermées du théâtre bourgeois. On retrouve ce mélange entre espaces théâtral et urbain (qui trouvait une correspondance dans les personnages mécaniques ou dans les objets/personnages) dans les spectacles de rue contemporains de compagnies comme Els Comediants, La Fura dels Baus, Royal de Luxe (Le Géant) ou Générik Vapeur, qui envahissent les rues avec leurs corps métamorphosés par des objets et des costumes grotesques, dans de véritables « assauts urbains ».

Une forme particulière de théâtre de rue, mêlant la tradition de la fête et le happening, est celui des Mascheramenti urbani (Déguisements urbains) des Sartori où le savoir traditionnel et familial dans la fabrication des masques est exploité pour métamorphoser toute une cité, une de leurs performances consistant par exemple à recouvrir avec des kilomètres de fils en fibre acrylique colorée de très grands espaces comme la place Saint-Marc, le Maschio Angioino à Naples ou la place Stanislas à Nancy. Quand il n’est pas prétexte à des mises en scène simplistes et hâtives, le théâtre de rue apparaît aujourd’hui comme un choix radical qui porte déjà en lui une poétique. Comme l’écrit par provocation le metteur en scène, écrivain et marionnettiste Guido Ceronetti, « celui qui a connu le spectacle de rue ne devrait pas perdre son temps dans les théâtres fermés ». Il intègre en effet en lui tout ce qui lui est extérieur.

Bibliographie

  • Bergonzini Renato, Cesare Maletti, and Beppe Zagaglia. Burattini e burattinai. Modena: Mundici e Zanetti, 1980.
  • “La marionnette dans la rue”. Puck. No. 12. Charleville-Mézières: Éditions de l’Institut international de la marionnette, 1999.