Le personnage de Faust est l’archétype de l’homme en quête de savoir absolu et de l’éternelle jeunesse. Les histoires variées qui circulaient au Moyen Âge sur un certain docteur Faust, nécromancien plus ou moins charlatan, qui aurait vécu en Allemagne entre 1480 et 1540, se transformèrent en une véritable légende, reprise en 1587 dans un ouvrage populaire de Johann Spiess, Faustbuch (Le Livre de Faust) traduit en anglais en 1592, source à son tour de la pièce de Christopher Marlowe, La Tragique Histoire de Dr Faustus (1604).

Première représentation dramatique de l’histoire de Faust, la pièce de Marlowe fut, semble-t-il, à la base de toutes les versions futures même si, tout en présentant les caractéristiques d’un conte moral mettant en présence les forces du Bien et du Mal, elle exprime aussi l’idéal humaniste de la Renaissance vu d’un point de vue protestant et antipapiste. Dans cette perspective, Faust est en effet un pécheur mais il est en même temps un rebelle qui s’insurge contre l’emprise exercée par l’Église sur la connaissance, fût-ce au prix d’un contrat passé avec le Diable.

Cette pièce fut diffusée sur le continent à partir du XVIIe siècle, par les « Comédiens anglais » avec leur répertoire élisabéthain, en Hollande tout d’abord, puis en Allemagne où la première représentation de Faust eut probablement lieu en 1626. Une version très moralisatrice, acceptable par les autorités religieuses – protestantes aussi bien que catholiques – dont on put retrouver la première description à Gdańsk (Pologne) en 1668, mettait en scène le pécheur Faust attiré plus par les plaisirs et la débauche que par la connaissance, tenté par une divinité païenne (Pluton) et ses diables et finissant en enfer. On retrouva également dans le théâtre de marionnettes des versions populaires très approchantes, avec cette différence que la dimension comique y était clairement affirmée.

Les premières pièces pour marionnettes

On sait qu’au Royaume-Uni, la pièce de Faust était encore présentée au XVIIIe siècle par de célèbres montreurs tels que Martin Powell, Fawkes et Rowe, mais on ignore les détails de ces spectacles. On connaît mieux en revanche les traditions allemande et tchèque grâce à la publication des textes par les folkloristes du XIXe siècle. Au fil des représentations, le personnage de Faust se modifia. Rompant progressivement avec l’image du savant et de l’humaniste, il devint un incorrigible pécheur essentiellement attiré par les plaisirs promis par le Diable. Ainsi, certains des thèmes présents dans le récit changèrent subrepticement. Dans le texte de Marlowe, Faust recevait un avertissement moral de la part du personnage du Vieux Sage, un rôle rempli dans les spectacles de marionnettes par un archange, voire par le Christ crucifié lui-même, dans une version tchèque. Mais à cette scène, destinée à émouvoir le public et à sauver l’image du repenti, s’ajoutèrent surtout des éléments comiques.

Incarnés par les clowns Robin et Rafe dans la pièce de Marlowe, ces rôles furent endossés par les personnages clés du théâtre de marionnettes, tels que Pickelherring et Hanswurst, et à partir de la fin du XVIIIe siècle Kasperl en Allemagne et Kašpárek Kasparek en Bohème. Ces personnages devinrent ainsi le miroir ou le double comique de la figure centrale. Hanswurst et Kasperl répétaient en effet tous les gestes de Faust, l’imitant comme un singe ou le suivant comme une ombre. Ils en appelaient également aux diables qu’ils utilisaient pour voyager dans les airs et devaient se défendre pour ne pas être emportés mais étant analphabètes, et n’ayant signé aucun pacte, ils parvenaient aisément à se sortir du guêpier à la différence de leur maître. Le bon sens populaire prouvait ainsi sa supériorité sur l’ambition et la vanité du savant. On retrouve bien souvent cette idée dans d’autres contes folkloriques. Dans une version des marionnettes de Strasbourg, Hanswurst allait jusqu’à répondre au Diable – qui n’était autre que le marionnettiste lui-même – qu’il ne pouvait lui vendre son âme puisqu’il n’était qu’une simple pièce de bois.

Les représentations de Faust devinrent aussi de plus en plus spectaculaires à l’instar du théâtre d’acteurs ou de l’opéra. Ainsi d’un spectacle des Comédiens de Haute-Saxe, donné à Brême en 1688, où la figure de Pluton volait sur un dragon, où Pickelherring se battait avec des oiseaux magiques tandis que sautaient hommes et animaux et qu’un corbeau, soufflant sur le feu, annonçait la mort de Faust. Certains accompagnaient la représentation de ballets et des animaux vivants étaient exhibés dans des versions pour cirque. Quant aux Italiens, ils représentèrent aussi la pièce sous la forme de pantomime comme La Morte di Fausto e la Fortuna di Arlechino. (La Mort de Faust et la fortune d’Arlequin ; voir Arlecchino). Les marionnettistes allemands favorisaient toutes sortes d’effets spéciaux, métamorphoses ou tours de magie. Par ailleurs, alors que le théâtre d’acteurs reprenait certains récits mythologiques comme le supplice de Tantale ou le mythe de Sisyphe, les marionnettistes, qui disposaient de nombreuses marionnettes illustrant un répertoire biblique, préféraient les Évangiles ou des épisodes de l’Ancien Testament comme celui de Judith et Holopherne. En Bohème, les marionnettistes tchèques adaptèrent aussi à leur manière le thème faustien apporté par les Allemands.

La redécouverte de Faust aux XIXe et XXe siècles

Le thème de Faust devint célèbre au XIXe siècle dans le sillage du romantisme qui montra son intérêt pour les traditions populaires considérées comme les germes de la culture nationale. Les représentations de la pièce, à Potsdam ou à Berlin, par des montreurs itinérants comme Joseph Schütz ou Johann Georg Dreher, connurent un grand succès y compris dans les milieux les plus éduqués. Mais c’est surtout Goethe (1749-1832) qui redonna au mythe de Faust toute sa vigueur et son œuvre (Faust. Der Tragödie erster Teil et Faust. Der Tragödie zweiter Teil, écrite entre 1790 et 1831) puisa directement dans les versions pour marionnettes existant à l’époque. Toutefois, si elle fut déterminante pour de nombreux écrivains, elle n’eut pas beaucoup d’influence sur le théâtre de marionnettes. Seuls deux artistes reprirent la pièce de Goethe au XIXe siècle, le marionnettiste tchèque Jan Nepomuk Lašťovka (1824-1877)  et le Français Pierre Roussell, qui animait un théâtre de guignol à Lyon dans les années 1870, et dont la pièce eut plus de succès que celle du premier car elle présentait une parodie de l’opéra de Charles Gounod.

Grâce à Goethe, le thème de Faust retrouva de son intérêt aux yeux des écrivains, dramaturges et compositeurs mais le théâtre de marionnettes, y compris chez ses interprètes les plus cultivés, resta fidèle à ses versions populaires et traditionnelles. Ainsi retrouva-t-on Faust dans le répertoire du Marionettentheater Münchner Künstler dirigé par Paul Brann (1873-1955), du petit théâtre de salon de l’artiste slovène Milan Klemenčič (1875-1957), ainsi que dans celui du théâtre tchèque Umělecké loutková scéna Říše loutek de Prague. Cet intérêt perdura après la Deuxième Guerre mondiale, en Europe comme aux États-Unis où Harro Siegel présenta en 1958, avec des marionnettes fabriquées par lui-même, un Faust qui incita les marionnettistes à reprendre le thème. Toutefois, en Amérique, la version de Marlowe fut préférée à la version populaire pour marionnettes. Carl Schröder (1904-1997) présenta plusieurs spectacles basés sur ce sujet mais abandonna progressivement l’interprétation moralisante traditionnelle.

En Europe, si la version populaire tchèque fut reprise par le théâtre DRAK et par Matěj Kopecký (1923-2001) et représentée aussi en Pologne, de nombreux artistes européens voulurent explorer d’autres voies. Le premier à innover fut Gaston Baty qui avec ses Marionnettes à la française, en 1948, renoua avec la dimension philosophique de la pièce, réduisant les éléments comiques ou magiques. D’autres interprétations apparurent dans les années soixante avec, en 1966 par exemple, la version quelque peu misogyne du Polonais Andrzej Dziedziul présentant Marguerite comme un instrument du Diable pour régner sur « l’humanité masculine ». Dans Seven Deadly Sins (Sept péchés mortels), le Néerlandais Neville Tranter choisit, de son côté, une direction plus allégorique en se présentant sur scène déguisé en Méphistophélès, manipulant et vantant les sept péchés capitaux avant de faire apparaître Faust qui révélait la supercherie en lui ôtant son masque. En 1989, le théâtre de marionnettes de Wrocław (Pologne) produisit une adaptation de l’œuvre de Goethe sous la direction de Wiesław Hejno, se focalisant sur le thème du pari ou de la vie prise comme un jeu.

Par ses innombrables interprétations, le théâtre de marionnettes rejoint finalement aujourd’hui les écrivains et les auteurs dramatiques qui réactualisent sans cesse ce mythe universel.

(Voir Allemagne.)

Bibliographie

  • Bevington, Davin M. From Mankind to Marlowe. Cambridge (MA): Harvard Univ. Press, 1962.
  • Bianquis, Geneviève. Faust à travers quatre siècles. Paris: Aubier, 1955.
  • Creizenach, Wilhelm. Versuch einer Geschichte des Volksschauspiels vom Doktor Faust. Halle: Max Niemeyer, 1878.
  • Kraus, Ernst. Das Böhmische Puppenspiel von Doktor Faust. Breslau: Wilhelm Koebner, 1891.
  • Thalmann, Marianne. “Weltanschaung im Puppenspiel vom Dr. Faust” [Worldview in the Puppet Play of Dr. Faust]. Publication of the Modern Language Association of America. New York, 1937.
  • Zhirmunskiy, Victor M. Legenda o doktore Fauste. Moskva/Leningradskaya: Izdatelstvo Akademii Nauk SSSR, 1958.