Les théâtres de marionnettes qui ont le mieux résisté au temps sont souvent ceux qui se sont spécialisés dans un genre précis, pratiqué par le théâtre d’acteurs, en le reproduisant à une échelle réduite. C’est le cas des théâtres de marionnettes qui se sont consacrés au répertoire de l’opéra, auquel est généralement associé le ballet. La tradition du genre « opéra pour marionnettes » suit, à quelques décennies  près, la naissance de l’opéra. Au début du XVIIe siècle, les genres « modernes » de spectacle se diffusèrent de l’Italie, leur pays d’origine, au reste de l’Europe : aux spectacles de marionnettes qui se déplaçaient déjà d’un pays à l’autre, s’ajoutèrent la commedia dell’arte et l’opéra. La rencontre entre marionnettes et bel canto eut lieu pour la première fois en France en 1647 avec la représentation par des marionnettes (ou « petits fantoches ») d’un Orphée « miniaturisé » de Luigi Rossi. Quant à l’Opéra des Bamboches de Dominique de Normandin, il date de 1675. On pouvait y voir de grandes marionnettes imitant la danse, le chant et l’art dramatique. En ce qui concerne l’opéra pour marionnettes, une variante était offerte par le répertoire présenté à l’occasion des foires Saint-Germain et Saint-Laurent qui comprenait des comédies-vaudevilles dans lesquelles alternaient des parties récitées et des parties chantées reprenant des airs populaires connus. Dans ce cas également, le théâtre des bambocci (poupées) talonnait un genre de théâtre musical interprété par des acteurs de chair et de sang.

En général, il faut distinguer les œuvres destinées au théâtre d’acteurs et adaptées à la petite scène des marionnettes, des œuvres spécifiquement créées pour les marionnettes. Dans le premier cas, il s’agissait le plus souvent d’adaptations de morceaux choisis et d’une réduction de l’ensemble orchestral, non d’une nouvelle conception de l’œuvre, tandis que dans le second cas (moins fréquent), le compositeur et le librettiste pouvaient concevoir une « petite forme » à destination des marionnettes. Ainsi, Joseph Haydn composa diverses opérettes (dont les livrets ou la musique ont été pour la plupart perdus) pour le petit théâtre de marionnettes du château Esterháza, parmi lesquelles Philémon et Baucis (1773), Geneviève (1777) ou Didon abandonnée (1778). Dans l’opéra-comique Das abgebrannte Haus (La Maison brûlée, livret perdu), la tradition du Singspiel se mêlait à celle de la marionnette populaire personnifiée par Hanswurst. Les œuvres étaient jouées dans un petit théâtre situé en face de la salle consacrée au grand opéra, dont il reflétait le fonctionnement et le répertoire. Dépourvu de loges et de galeries, ce petit théâtre était traité dans le style « grotte », les parois internes présentant des niches recouvertes de pierre et de coquillages. Il était décoré avec raffinement et doté d’une machinerie, confiée à un groupe de nombreux techniciens. La scène était vaste et les marionnettes très soignées, grâce au talent de la costumière Anna Handl. Il est probable que, dans le Singspiel, chaque personnage était animé par trois personnes : le marionnettiste pour le mouvement, la cantatrice pour la voix, l’acteur pour la partie récitée.

La tradition vénitienne

Au XVIIe-XVIIIe siècle apparut à Venise une forme singulière de théâtre musical pour marionnettes. Comme en témoigne l’iconographie, les calli (ruelles) et les campi (petites places) de la ville se peuplaient de figures de bois qui dansaient et déclamaient : Pulcinella, Arlecchino (Arlquin), le Docteur, Pantalone, le Mage, le Soldat, le Turc, l’Aveugle, Coviello, Orazio, Franceschina, Zampicone, autant de marionnettes à gaine issues de la commedia dell’arte qui s’exhibaient « sur la place » et criaient de leurs voix grotesques déformées par la pivetta (ou pratique). À ces voix stridentes s’opposaient celles raffinées des marionnettes à fils qui chantaient dans le style du bel canto, virevoltant sur les scènes des palais et des théâtres. Parmi les palais qui abritaient des théâtres de marionnettes figuraient la maison Grimani ai Servi (dont le petit théâtre est conservé a la Casa Goldoni de Venise), la maison Contarini a San Barnaba, la maison Loredan a San Vio et, hors de Venise, celle des comtes Ravegnani.

Le style et les costumes s’apparentaient non pas à la culture populaire mais à un artisanat raffiné. Ce n’est pas un hasard si les marionnettes d’opéra se sont diffusées d’abord à Venise. La Sérénissime possédait en effet une tradition exceptionnelle quant aux arts du spectacle. Elle était devenue une cité bourgeoise où le spectacle était confié à des entrepreneurs individuels et non au mécénat des princes. C’est à Venise, en effet, que l’on trouve les premiers théâtres payants.

Avec l’entrée des marionnettes dans le monde du drame musical, apparurent les livrets, dont on trouve de vastes collections imprimées à Venise au XVIIe siècle. En 1679, au théâtre San Moisè, les marionnettes « vénitiennes » se mesuraient pour la première fois à l’opéra. La même année, un drame musical fut représenté au théâtre (privé) des Zattere sous le titre de Il Leandro et sur une musique du Pistocchino (le castrat Francesco Antonio Pistocchi). Lors des saisons 1680-1682 du théâtre San Moisè, fut mis en scène Damira placata, drame musical de Marc’Antonio Ziani, sur un livret de Filippo Acciaioli. Figuraient également au programme deux autres pièces d’Acciaioli, Ulisse in Feacia, musique d’Antonio del Gaudio, et le Girello, musique attribuée au Pistocchino. Les musiciens et les chanteurs étaient cachés des spectateurs et les marionnettes en bois furent également accompagnées, dans les années suivantes, de figures de cire. Le sommet de cet art fut atteint au XVIIIe siècle avec le Teatrino di San Girolamo (Petit théâtre de Saint-Jérôme), dans le quartier de Canareggio, où Antonio Labia fit représenter des spectacles de 1746 à 1748. Il y fit construire un nouveau petit théâtre sur le modèle du théâtre Saint-Jean-Chrysostome (aujourd’hui théâtre Malibran) décrit par les observateurs de l’époque comme une miniature parfaite des grands théâtres avec des « poupées d’une inestimable facture », des scénographies, des lumières, des costumes, de la musique et du chant jusqu’à la présence d’un public de marionnettes et des livrets miniatures. Parmi les œuvres présentées par Labia, figurait Lo starnuto d’Ercole (L’Éternuement d’Hercule) avec une musique de Hasse et Adolfati et sur un livret de Pier Jacopo Martello, où Hercule en éternuant se débarrasse des Pygmées accrochés à son corps. De nombreuses œuvres furent représentées au San Girolamo : entre autres, Eurimendonte e Timocleone, ovvero i rivali delusi (Eurimendonte et Timocleone ou les Rivaux déçus, musique de Hasse, livret de Zanetti), Il Cajetto (musique de Bertoni, livret de Rigo), Giunguir d’Apostolo Zeno (musique de Giacomelli) ; parmi les librettistes célèbres qui y participèrent figura Métastase (Didon abandonnée, musique d’Adolfati).

On connaît des cas de célèbres chanteurs qui sont passés au théâtre de marionnettes : à la fin du XVIIIe siècle, à Padoue, Michael Kelly assista à Orphée et Eurydice chanté par Gaetano Guadagni qui, s’étant retiré de la scène, chantait désormais seulement dans la chapelle de Sant’Antonio mais qui revivait ses gloires passées avec un petit théâtre de marionnettes. À Rome également, les palais aristocratiques accueillaient des opéras de « poupées »: ainsi La Pastorella, sur un texte de Pietro Ottoboni, un pastiche d’arie de Scarlatti, Bononcini, Cesarini et d’autres compositeurs, représentée en 1705, la seule œuvre pour marionnettes, semble-t-il (avec la Damira placata de 1680), dont on ait conservé la partition. Comme l’observe Roberto Leydi, l’art de la marionnette incarne les deux faces du théâtre du XVIIIe siècle : dans l’imitation de l’humain, il recherche la vraisemblance et dans l’exotisme, il exprime son goût pour le fantastique.

La tradition européenne jusqu’au XXe siècle

À la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, il faut signaler l’œuvre du Tchèque Matěj Kopecký (1775-1847) dont le répertoire fit une large place à des remaniements de livrets d’opéra comme Alceste de Gluck, Don Giovanni de Mozart ou le Freischütz de Weber. Étant donnée la complexité de la préparation scénique afin de reproduire le plus fidèlement possible le théâtre lyrique d’acteurs, ce genre exigeait un lieu fixe doté d’équipements et de personnel. C’est pourquoi l’histoire de l’opéra de marionnettes est le plus souvent indissociable de celle des compagnies fixes ou permanentes. Mis à part le cas de Venise, ceci vaut en particulier pour la tradition de langue allemande aux XVIIIe-XIXe siècles : en témoignent les petits théâtres de Munich et de Salzbourg. Au XIXe siècle, on peut également mentionner le cas du Teatro Fiano de Rome qui, comme le signale notamment Stendhal, accueillait des œuvres lyriques de Rossini et de Verdi  « interprétées » par des marionnettes. À Milan, la compagnie des Colla (qui se produisit de 1906 à 1957 au théâtre Gerolamo, ouvert autour de 1865) propose encore aujourd’hui un répertoire très varié comprenant également de l’opéra, par exemple Aïda. Le Münchner Marionettentheater (Théâtre de Marionnettes de Munich), fondé en 1858 par Josef Leonhard Schmid (Papa Schmid) dont le répertoire était à l’origine centré sur le personnage de Kasperl Larifari, inclut depuis peu et surtout à partir de la collaboration de Carl Orff, des œuvres du théâtre musical, de Pergolèse à Donizetti, de Mozart à Rossini.

Les Marionnettes de Salzbourg (Salzburger Marionettentheater), fondées en 1913 par Anton Aicher, sont un théâtre de dimensions réduites dont le répertoire est en majorité composé d’opéras. Aujourd’hui, ses critères sont ceux d’un théâtre lyrique avec les mêmes fonctions (metteur en scène, costumier, scénographe) et un répertoire presque identique. Les costumes sont extrêmement raffinés (leur conception doit prévoir les mouvements des marionnettes) et les scénographies très soignées. Les effets scéniques et l’éclairage y sont particulièrement étudiés et les changements de décor précis et rapides. Paradoxalement, il s’agit d’une conception « naturaliste » du théâtre que George Sand puis Meyerhold rejetèrent dans le cas des marionnettes. Le répertoire du théâtre de Salzbourg privilégie des œuvres classiques contenant également des thèmes relatifs à l’univers des êtres artificiels : Don Giovanni de Mozart, Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, le ballet Casse-Noisette et ne dédaigne pas le ton grotesque, comme l’illustre L’Enlèvement au sérail où le spectacle récupère le personnage comique propre au théâtre populaire de marionnettes. D’autres œuvres plus directement liées à ce dernier sont également mises en scène comme par exemple Hanswurst et Faust. Les deux genres se rencontrent en effet souvent sur le plan thématique comme le montrent les nombreux cas où apparaissent dans l’œuvre lyrique des figures de marionnettes, des automates, des simulacres : Olympia dans Les Contes d’Hoffmann, le Convive de pierre (souvent cité parmi les exemples de figures du double et du simulacre) dans Don Giovanni (voir Don Juan).

La scène contemporaine

Dans les avant-gardes du XXe siècle, il faut rappeler tout d’abord l’opéra pour marionnettes Geneviève de Brabant (créé en 1926) d’Erik Satie, destiné probablement au théâtre d’ombres. À mesure que l’on avance dans le siècle, il devient difficile de circonscrire avec précision les rapports entre théâtre musical et théâtre de marionnettes. Mais ceci vaut pour l’analyse comparative de toute forme de spectacle, étant donné le mélange des genres qui caractérise le théâtre contemporain. Comme l’affirme Michael Meschke, là où acteur et marionnette sont tous deux des instruments, les distinguer perd de sa pertinence : musique et personnage naissent ensemble et la musique ne doit jamais être une illustration de l’action. Il existe cependant, dans le répertoire des compagnies de marionnettes, des œuvres du XXe siècle qui sont privilégiées telles que L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill tandis que certains livrets abordent des domaines aux frontières de l’humain tels Le Grand Macabre de György Ligeti, à partir d’un texte de Michel de Ghelderode. Dans Le Combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi, Dominique Houdart (voir Houdart-Heuclin) érige la séparation entre la voix et l’acteur au rang de principe poétique, ce qui nous renvoie au travail de Carmelo Bene sur la phoné. Il existe en outre des créations pour un théâtre à dominante sonore/visuelle qui pourraient être considérées comme l’issue contemporaine des prémisses contenues dans les opéras pour marionnettes des siècles précédents : on peut citer, à titre d’exemples, le « petit opéra » Barbablù, in principio (Barbe-bleu, au commencement, 2000) du TAM Teatromusica ou Orphée et Eurydice (1998) du Teatro Gioco Vita.

Bibliographie

  • Campanini, Paola. Marionette barocche. Il mirabile artificio. Azzano San Paolo: Edizioni Junior, 2004.
  • Impe, Jean-Luc. Opéra baroque et marionnette. Dix lustres de répertoire musical au  siècle des lumières. Charleville-Mézières: Éditions de l’Institut international de la marionnette, 1994.
  • Jurkowski, Henryk. Écrivains et marionnettes. Quatre siècles de littérature dramatique. Charleville-Mézières: Éditions de l’Institut international de la marionnette, 1991.
  • Leydi, Roberto. “Teatro da camera”. FMR. No. 11. March 1983.
  • Minniear, John Mohr. “Marionette Opera: Its History and Literature”. PhD diss. North Texas State University, 1971; Ann Arbor: University Microform International (UMI), 1972.
  • Puck. No. 16. L’opéra des marionnettes. Montpellier: Éditions de l’Institut international de la marionnette/L’Entretemps, 2009.
  • Robbins Landon, H.C. “Haydn’s Marionette Operas”. Haydn-Jahrbuch. 1962.
  • Venaille, Franck (adaptation française de). Mozart. Les grands opéras. Silhouettes / images de Lotte Reiniger. Paris: Imprimerie nationale, 1989.