La Suisse, officiellement dénommée Confédération Suisse (en allemand : Eidgenossenschaft ; en italien : Confederazione Svizzera ; en romanche : Confederaziun svizra ; en latin Confoederatio Helvetica ou CH ; ou respectivement Suisse, Schweiz, Svizzera, Svizra), est composée de 26 cantons et quatre grandes régions linguistiques et culturelles : la Suisse alémanique, la Suisse romande, la Suisse italienne et la Suisse romanche. Située en Europe de l’ouest et en Europe centrale, la Suisse jouxte l’Italie, au sud, la France à l’ouest, l’Allemagne au nord, l’Autriche et le Liechtenstein à l’Est.
Ce n’est qu’au tournant du XIXe-XXe siècle que prit naissance un art de la marionnette suisse à part entière. Auparavant, des compagnies itinérantes en provenance des pays frontaliers, essentiellement l’Allemagne et la France, se produisaient dans les grandes foires de Bâle, Berne, Zurich, Genève, Soleure ou Baden. Toutefois, aucune de ces premières compagnies professionnelles n’était suisse. Pendant longtemps, les pièces de marionnettes et d’ombres étaient autant appréciées que le théâtre d’acteurs, et entre 1670 et 1700, puis entre 1720 et 1750, elles étaient même prédominantes parmi les spectacles de foire. Cependant, avec l’occupation française en 1798 et les changements sociaux et politiques qu’elle suscita, les marionnettistes itinérants se raréfièrent et le public commença à leur préférer l’opéra et l’art dramatique. Dans les foires urbaines, les démonstrations mécaniques ou optiques, plus spectaculaires, éclipsèrent les marionnettes, que l’on pouvait toutefois encore voir dans les campagnes. Seuls quelques marionnettistes à gaine perpétuèrent, dans leurs petits théâtres à l’italienne, la tradition de la commedia dell’arte dans des spectacles pour enfants. C’est grâce aux efforts d’artistes et d’amateurs enthousiastes que le théâtre de marionnettes et d’ombres fut réintroduit dans le pays à la fin du XIXe siècle.

Les débuts

En 1895, un groupe de jeunes peintres, musiciens et écrivains de Genève eut l’idée de créer l’équivalent suisse du Chat noir. Ses figures de proue étaient le caricaturiste Godefroy (Auguste Viollier) et le peintre-graveur Henri van Muyden, tous deux admirateurs enthousiastes du célèbre cabaret montmartrois. Ils en reprirent la technique mais créèrent aussi dans ce théâtre, baptisé Le Sapajou, des programmes originaux, manipulant des centaines de figurines expertement découpées. Le compositeur Émile Jaques-Dalcroze au piano et H. Bertillot dans le rôle du bonimenteur, contribuèrent à l’immense succès rencontré par les spectacles d’ombres montrés pendant six mois lors de l’Exposition nationale suisse organisée à Genève en 1896.
Mais c’est probablement l’initiative de Hermann Scherrer (1853-1948) qui eut le plus d’influence sur l’art de la marionnette suisse puisque cette aventure dura plus de trente ans. Ce négociant en textiles de Saint-Gall commença avec un petit théâtre de marionnettes familial en 1903, copiant le style, la technique et le répertoire du célèbre Münchner Marionettentheater (Théâtre de marionnettes de Munich) de Josef Leonhard Schmid (dit Papa Schmid), qu’il avait l’occasion de fréquenter au cours de ses voyages d’affaires. Cette initiative purement privée au départ, donna naissance à une véritable institution locale dont les spectacles pour enfants acquirent une grande renommée. La compagnie présentait surtout, en dialecte bavarois, des pièces de Franz von Pocci, avec le célèbre personnage de Kasperl. Ce n’est que plus tard que furent introduits des personnages plus typiquement suisses comme Heidi qui clôtura la dernière saison du théâtre en 1937. Convaincu de la valeur éducative de ce genre d’amusement, Scherrer inaugura surtout la tradition pédagogique de l’art helvétique de la marionnette.
Les buts et les prétentions du théâtre de marionnettes fondé en 1918 à Zurich par Alfred Altherr (1875-1945) étaient fort différents. Cet architecte était persuadé qu’une réforme de l’art théâtral, une question alors d’actualité, devait prendre pour modèle idéal le théâtre de marionnettes. La référence en la matière était alors la théorie développée par Edward Gordon Craig qui prônait un espace scénique antinaturaliste, hautement stylisé, faisant appel à des éléments architecturaux et à de nouveaux procédés d’éclairage. Avec ses élèves-enseignants du département Art et Artisanat de son école de commerce créée six ans auparavant, Altherr mit au point des spectacles impliquant aussi des plasticiens, des acteurs, des écrivains et des musiciens, qui furent présentés en 1918 à l’exposition organisée par l’Union suisse des artisans, artistes et architectes (Schweizerischer Werkbund, SWB). Neuf productions furent présentées au « Théâtre suisse de marionnettes » (Voir Schweizerisches Marionettentheater) érigé spécialement à cette occasion, parmi lesquels Le Violon magique de Pocci ainsi que trois pièces spécialement écrites par René Morax et Daniel Baud-Bovy, deux écrivains suisses francophones. Seuls deux de ces spectacles exprimaient pleinement l’ambition de renouvellement artistique : l’adaptation du Roi cerf de Carlo Gozzi à travers les marionnettes en bois de Sophie Taeuber-Arp et celle La Boîte à joujoux (1913) de Claude Debussy pour laquelle le peintre Otto Morach avait dessiné plus de quarante marionnettes reflétant les tendances expressionnistes de l’époque. La finition technique des deux ensembles de marionnettes avait été assurée par Carl Fischer (1888-1987), qui enseignait le travail du bois à l’école d’Alfred Altherr.
Aiguillonnés par ces mises en scène exemplaires, largement médiatisées en Europe par la presse du Werkbund, d’autres artistes, acteurs, auteurs dramatiques et musiciens suivirent cette voie de l’abstraction dans leurs mises en scène et dans leurs scénographies, un choix qui fut conforté par les expériences de Picasso et de Picabia à Paris ainsi que du Bauhaus à Weimar. Alfred Altherr dirigea sa compagnie jusqu’à sa fermeture forcée en 1935. Pendant neuf saisons, sa troupe présenta une trentaine de spectacles dont les plus réussis et applaudis furent Docteur Faust et Le Retable de Maître Pierre. Toutefois, une tendance plus classique, plus proche du drame, de l’opéra et du cirque, se fit jour dans ce répertoire ainsi que dans celui des Marionnettes de Zurich (Zürcher Marionetten), compagnie créée en 1942. Ce style était incarné par certaines compagnies itinérantes, comme les célèbres Teatro dei Piccoli de Vittorio Podrecca, le théâtre artistique de marionnettes de Munich de Paul Brann ou le Riesenbühnenschau de Weiffenbach qui faisaient salle comble lorsqu’elles se produisaient en Suisse.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, plus d’une douzaine de compagnies furent créées, en particulier à Lausanne (1918), Zug (1928), Interlaken (Jakob Streit), Meiringen (Arnold Brügger), Bischofszell (Armin Rüeger), Saint-Gall (Clara Fehrlin, Paul Theo Müller), Romanshorn (Fritz Popp), Altdorf (Heinrich Danioth), Bâle (H. O. Proskauer). Certaines compagnies réussirent à se maintenir pendant longtemps, atteignant un niveau professionnel. Ce fut le cas du théâtre de marionnettes d’Ascona (1937-1961) de Jakob Flach, du théâtre de marionnettes Festi-Ligerz (1927-1947) d’Elsi et Fernand Giauque, des Berner Marionetten (1947-1967) d’Else Hausin ou du Marionettentheater Kloten de Werner Flück. Enfin, deux compagnies, toujours existantes aujourd’hui, réussirent à s’établir comme théâtres fixes : les Marionnettes de Genève, fondées par Marcelle Moynier en 1929, et le Basler Marionettentheater (Théâtre de marionnettes de Bâle) de Richard Koelner, créé en 1943. Une autre contribution à l’art de la marionnette fut celle d’Erich Weiss (1912-1984), professeur de littérature et de philosophie à Winterthur, entre 1932 et 1963. Avec ses étudiants, il présenta avec de grandes marionnettes à fils finement sculptées, six pièces dont il était également l’auteur, les unes politiques comme Judas Ischarioth (1936) et Das kleine Europatheater (Le Petit Théâtre d’Europe, 1960), les autres plus poétiques comme Die Gänsemagd (La Gardeuse d’oies, 1957).

Le renouveau après la Deuxième Guerre mondiale

En dépit de toutes ces initiatives locales, ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale et dans la seconde moitié du XXe siècle que le théâtre de marionnettes à fils acquit véritablement ses lettres de noblesse, notamment grâce à Peter W. Loosli et à sa femme Trudi, qui fondèrent la première compagnie itinérante professionnelle à part entière. Avec leur répertoire, en particulier Le Petit Prince et L’Histoire du soldat de Ramuz et Stravinski, le Looslis Puppentheater devint en effet la référence dans ce genre.
Quant à la marionnette à gaine, elle connut un renouveau similaire. De nouvelles pièces à destination surtout des enfants remplacèrent la comédie traditionnelle à l’italienne centrée sur des personnages traditionnels tels que Pulcinella, Kasperl ou Guignol, même si ces derniers ne disparurent jamais, notamment dans les foires et dans les régions non germanophones de la Confédération, comme en témoigne la figure de Gioppino ou Giuppin, très populaire au Tessin. L’impulsion décisive vint d’Allemagne où les spectacles de marionnettes à gaine avaient gagné en qualité artistique et étaient désormais présentés dans les écoles, les jardins d’enfants et les théâtres pour enfants. En 1947, dans le but de promouvoir la marionnette à gaine, Heinrich Maria Denneborg (1909-1987), marionnettiste allemand (et auteur de livres pour enfants) et son épouse de nationalité suisse, Silvia Gut, fondèrent un « cercle de travail » qui, avec ses ateliers et ses conférences, fonctionna jusqu’en 1959, année de fondation de l’association des marionnettistes suisses qui put alors hériter de ce réseau.
Les deux personnalités marquantes de cette époque furent Adalbert Klingler (1896-1974) et Therese Keller (1923-1972), qui présentaient chacun séparément, à travers la Confédération, des spectacles pour enfants dont les principaux personnages étaient Kasperli ou Hansjoggel, un petit garçon suisse qui, à l’exception de sa vitalité, n’avait rien en commun avec la figure originelle traditionnelle. Avec ses spectacles présentés en dialecte zurichois, sponsorisé par la grande chaîne de magasins Migros, Klinger fut pendant un temps le seul marionnettiste solo professionnel. Fondé en 1947, le Fred Schneckenburgers Puppencabaret de Zurich (voir Fred Schneckenburger) fit aussi grande impression avec ses marionnettes à gaine pour adultes, dont certaines étaient inspirées des marionnettes des années vingt et pouvaient rappeler celles que Paul Klee avait dessinées pour son fils Felix.

Le développement des années soixante et soixante-dix

En 1961, l’Association suisse des théâtres de marionnettes lança la revue Marionnettes et Marionnettistes (Puppenspiel und Puppenspieler). Cette publication devint la vitrine de la douzaine de compagnies qui virent le jour entre la fin des années soixante et le début des années soixante-dix. Des marionnettistes individuels comme Käthy Wüthrich (1931-2007), Maya Gärtner et Margrit Gysin travaillèrent avec des marionnettes à gaine, plus ou moins dans la continuité de l’œuvre de Therese Keller, tandis que d’autres, comme Trudy et Peter Bienz à Winterthur, s’en tenaient à la manipulation à fils. Cependant, la plupart de ces nouveaux artistes ne privilégiaient aucun genre, leur travail expérimental incluant les marionnettes à tiges, les scènes projetées, les poupées grandeur nature, les masques, les figurines plates, le théâtre d’ombres ou le théâtre noir. Ces jeunes marionnettistes (qui travaillaient souvent en couple) pouvaient adapter le répertoire classique existant mais le plus souvent signaient leurs œuvres originales, jouant aussi pour un public adulte. Une série de compagnies itinérantes s’imposèrent ainsi à travers le pays : la compagnie La Rose des Vents (Lausanne, 1965), le Puppentheater Rolf Meyer/Martin Friedli (Berne, 1970), la Puppen und Schattenbühne Monika Demenga (Berne, 1969), Eric Mérinat et ses marionnettes (Lausanne, 1969), le Teatro Antonin Artaud des Michel et Michèle Poletti (Lugano, 1969), le Puppentheater Bleisch (Winterthur, 1970), le Théâtre de la Poudrière (Neuchâtel, 1970), le Pannalal’s Puppets (Genève, 1973), et le Figurentheater Hansueli Trüb (Abtwil, 1973).
La plupart de ces professionnels s’étaient formés eux-mêmes soit à la suite de leurs études d’art ou de théâtre, soit dans des compagnies. À Lausanne, un atelier conduit par le Français Yves Vedrenne initia les participants à la manipulation à vue tandis que Michel et Tina Perret-Gentil, des Marionnettes Pannalal, démarrèrent avec des spectacles de danse indienne, danse qu’ils avaient étudiée à Udaipur, au Rajasthan. En 1978, trois marionnettistes et leurs épouses firent leurs débuts : Christian et Maya Schuppli baptisèrent leur compagnie Vagabu après avoir travaillé pendant plusieurs années au Basler Marionettentheater (Théâtre de marionnettes de Bâle); Christoph et Silvia Bosshard avaient travaillé comme décorateurs lorsqu’ils créèrent la Tokkel-Bühni (Théâtre de marionnettes sous la tente) tandis que la compagnie de Kurt Fröhlich, Fährbetrieb, était basée sur l’expérience acquise en danse moderne et en mime. En 1979, Nicole Chevallier, une étudiante de l’institut Jacques-Dalcroze à Genève, prit la direction des Marionnettes de Genève, y introduisant notamment la marionnette à tiges, technique apprise au théâtre Ţăndărică de Bucarest, Roumanie. Certains de ces marionnettistes, tels que Monika Demenga, Kurt Fröhlich, Peter Bienz, ainsi que plus récemment, Michael Huber et Hanspeter Bleisch, créèrent aussi des spectacles d’ombres, un genre exploré de façon originale par Rudolf Stössel, marionnettiste amateur et physicien, au Figurentheater St. Gallen (Théâtre de figures de Saint-Gall) et dont les découvertes furent pour une grande part dans le travail très inventif actuel de Hansueli Trüb.
Par ailleurs, en 1971, un groupe d’immigrants en provenance de Tchécoslovaquie conduit par Jiří Procházka, fonda le Schwarzes Theater Zürich (Théâtre noir de Zurich) qui outre les spectacles d’ombres et les pièces pour enfants comme Peter und der Wolf (Pierre et le loup), Pinocchio, Schneewittchen (Blanche-Neige) ou Rumpelstilzchen (Rumpelstiltskin), créa des films de marionnettes pour la télévision. La même année, les jeunes mimes Andres Bossard et Bernie Schürch fondèrent leur compagnie de clowns Verlor und Vorher (Perdu et Avant) puis furent rejoints l’année suivante par Floriana Frassetto : après le succès remporté au Festival d’Avignon, l’aventure des Mummenschanz commença. Se produisant dans le monde entier, la troupe (formée aujourd’hui de Bernie Schürch, Floriana Frassetto, Raffaella Matioli et Jakob Bentsen), qu’il faut classer plutôt dans le « théâtre de figures » ou « visuel », n’a cependant jamais été invitée jusqu’ici dans un festival de théâtre de marionnettes.

La scène contemporaine à partir des années quatre-vingt

Au fur et à mesure que le nombre de troupes augmentait et que leurs domaines de création s’élargissaient, le métier fut de mieux en mieux reconnu et les marionnettistes purent s’imposer comme des professionnels à part entière. Des théâtres utilisant des formes traditionnelles de jeu voisinèrent avec d’autres aux mises en scènes plus modernes. Ainsi dans la ville de Fribourg, au début des années quatre-vingt, deux compagnies virent le jour : les « classiques » marionnettes de Fribourg, du couple Bindschedler, et la compagnie Le Guignol à roulettes, de Pierre-Alain Rolle et Marie-Dominique San Jose-Benz qui, malgré un nom de compagnie renvoyant à la tradition, appliquèrent toutes les techniques de manipulation connues, pour faire apprécier un projet à sa juste valeur. Avec cent cinquante représentations, L’Énorme Crocodile d’après une histoire de Roald Dahl fut un succès.
En 1983, après la mort de Marcelle Moynier, les Marionnettes de Genève devinrent un théâtre municipal subventionné, un exemple suivi par d’autres villes et cantons comme Berne, Zürich, Ascona, Lucerne, Biel/Bienne, Lausanne et Neuchâtel où des théâtres permanents furent créés. Aujourd’hui, la Suisse est sans doute le pays d’Europe qui proportionnellement abrite le plus grand nombre de théâtres municipaux. L’exemple du Théâtre de la Poudrière à Neuchâtel qui commença comme troupe amateur pour évoluer dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix vers le statut de théâtre professionnel, fixe et subventionné, est emblématique.
Si ces théâtres locaux accueillent souvent des troupes étrangères ou suisses, ainsi que des coproductions avec des compagnies itinérantes, les frontières linguistiques restent cependant prégnantes et la nécessité d’éviter l’isolement est particulièrement ressentie dans la partie italophone de la Confédération. Leur public étant trop restreint, les compagnies du Tessin doivent très souvent se produire à l’étranger. Le Teatro Antonin Artaud, fondé en 1969 à Lugano par Michel et Michèle Poletti, se produisit ainsi souvent en Italie et dans la plupart des festivals internationaux mais beaucoup plus rarement en Suisse alémanique et francophone. En revanche, le Teatro dei Fauni (Théâtre des faunes), créé en 1986 à Locarno sous la direction de Santuzza Oberholzer, présente souvent ses spectacles en Suisse alémanique et tient habituellement prêts ses dialogues en quatre langues.
Tous ces développements incitèrent les marionnettistes à améliorer la qualité de leurs mises en scène, à augmenter le nombre de pièces et de nombreux théâtres commencèrent à commander l’écriture, la mise en scène, la décoration ou la musique à des professionnels. Toutefois, les spectacles restèrent pour la plupart cantonnés à un public d’enfants et familial, les installations existantes et les contraintes économiques dictant la taille de la production et le type de public visé. Les théâtres de marionnettes peuvent accueillir généralement cent vingt spectateurs en moyenne et ont de petites scènes comme dans le cas du chapiteau de la Tokkel-Bühni des Bosshard, mais le théâtre Double Jeu de Lausanne, créé en 1987 par la Rose des Vents et le Théâtre Globule, présente ses spectacles devant trois cents personnes environ dans l’aula du collège des Bergières. Pour surmonter la contrainte de la taille, plusieurs expériences intéressantes eurent lieu, comme celle, inspirée d’Yves Vedrenne, des Brunners qui furent les premiers en Suisse à créer des spectacles sur une grande scène avec des marionnettes à tiges et des marionnettes sur table d’un mètre de hauteur, manipulées par une équipe de trois à cinq marionnettistes plus ou moins visibles du public. Dans les années soixante-dix, Peter W. Loosli avait déjà abandonné le cadre réduit pour manipuler à vue ses marionnettes du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry s’affublant de masques pour représenter les habitants des étoiles. Le jeu avec de grandes marionnettes, des masques et une scène mobile fut popularisé surtout par le travail de Hanspeter Bleisch.
Au fil des ans, certains marionnettistes de cette génération cessèrent leur activité ou réduisirent leur activité mais les sept compagnies fixes les plus importantes du pays, à Genève, Neuchâtel, Berne, Bâle, Zurich, Winterthur et Saint-Gall continuent de produire des spectacles régulièrement. À cette tradition bien établie s’ajoutent les troupes itinérantes formées le plus souvent d’un seul marionnettiste. Toutefois, malgré l’intérêt croissant pour l’art de la marionnette, le projet de créer un enseignement de quatre ans spécialisé dans la marionnette à l’Académie de théâtre de Zurich a dû être abandonné faute d’un nombre suffisant d’étudiants.
Les jeunes marionnettistes formés en Allemagne (Stuttgart et Berlin) et en France (Charleville-Mézières) sont cependant assez nombreux et certains d’entre eux ont lancé des entreprises collectives avec un succès étonnant. À cet égard il faut mentionner le cas à part du théâtre Felicia, créé au Centre mondial d’anthroposophie (écoles Rudolf Steiner), le Goetheanum, à Dornach, près de Bâle, dont l’existence remonte à 1934. Destiné à l’origine à la présentation de contes de fée par un récitant et un musicien, ce théâtre devint un fructueux lieu d’échanges entre étudiants d’écoles Steiner mais aussi entre marionnettistes suisses. Outre les marionnettes classiques ou les figurines plates translucides employées dans ses grands spectacles, le Felicia emploie d’autres marionnettes (sur table notamment) et contribue à l’augmentation sensible de spectacles basés sur le conte. D’autres jeunes marionnettistes s’orientent plutôt vers un art visuel total impliquant danse, théâtre d’objets, projections, art vidéo, contribuant ainsi au développement d’une scène contemporaine très vivante.
L’art de la marionnette suisse s’affirma également au travers des festivals : dans les années quatre-vingt, quelques festivals internationaux furent organisés à Genève et à Zurich, mais seule l’initiative de Michel et Michèle Poletti en 1979 donna naissance à un événement permanent, le Festival international de marionnettes de Lugano. En 1986, celui-ci fut transféré à Ascona où après douze ans d’existence il dut cependant cesser ses activités. Si le festival des Poletti s’adressait avant tout à un public de vacanciers dans le Sud de la Suisse, l’initiative en 1985 d’Yves Baudin et de Corinne Grandjean du Théâtre de la Poudrière afin de créer une biennale de la marionnette à Neuchâtel eut plus de résonance dans le monde du théâtre, et la « Semaine internationale de la marionnette en pays neuchâtelois » put s’affirmer comme un important festival européen qui en 2005 en était à sa dixième édition. Ce succès incita l’association suisse pour le Théâtre de Marionnettes, à l’instigation d’Arlette Richner, à créer son équivalent en pays alémanique, à Baden. Cette ville accueille ainsi depuis 1994 une biennale, le Figura Theaterfestival (Festival de théâtre de figures). Des compagnies étrangères et suisses, qui proposent de nouvelles approches de la marionnette, y sont invitées, et les jeunes troupes peuvent y concourir pour le prix « Grünschnabel » (Blanc-bec, Greenhorn). En outre, deux nouveaux festivals annuels ont été lancés au Tessin, l’un en 1994 à Stabio par Marco Rossi (Maribur), l’autre en 1999 à Locarno par Santuzza Oberholzer (Il Castello Incantato, Le Château enchanté). Enfin, un festival international a été organisé deux fois à Bâle (par Christian Schuppli) en 2003 et 2005 et semble être en passe de s’institutionnaliser.
Des marionnettes de compagnies anciennes et actives sont exposées dans divers musées comme le Musée Bellerive de Zurich, la Schweizerische Theatersammlung à Berne et le Schlossmuseum à Münsingen mais le seul musée spécialisé dans la marionnette est pour le moment le Musée suisse de la Marionnette de Fribourg.
Aujourd’hui, les marionnettistes suisses sont réunis au sein de l’Unima-Suisse/Vereinigung Figuren und Puppentheater der Schweiz, Association suisse pour le Théâtre de Marionnettes. Leur revue trimestrielle, rebaptisée figura en 1992, traite de l’actualité du monde de la marionnette et aborde des questions théoriques. L’organisation représente environ une centaine de compagnies – impliquant professionnels, amateurs et thérapeutes – et environ trois cents individus intéressés par l’utilisation de la marionnette comme forme d’art ou comme moyen d’éducation.

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