Le mot marionnette dérive du nom de Marie, mère du Christ dans la religion chrétienne, et il désigna d’abord, aux XVe-XVIe siècles, divers objets portant son image : des monnaies, un instrument de musique probablement du tyrebec et surtout, concurremment avec d’autres formes comme mariole, mariolette, mariotte, des petites statues de la Vierge destinées à la dévotion ou utilisées dans les processions. En 1556, dans une traduction française de l’ouvrage de Jérôme Cardan, De la subtilité et subtiles inventions, le mot est attesté avec le sens que nous lui accordons aujourd’hui, pour désigner une figurine que l’on anime. En 1584, le terme désigne déjà un spectacle, puisque la 18e Sérée de Guillaume Bouchet évoque les personnages de Tabary, Jehan des Vignes et Franc-à-Tripe que l’on peut voir « aux badineries … bastelleries et marionnettes ».
En français, le terme est générique. Il est commun aux diverses techniques de manipulation et l’on parle de marionnettes à fils, à gaine, à tige, à tringle, ou à la planchette, même si certains types de marionnette portent un nom spécifique, tels le pantin ou la marotte (dont le nom dérive lui aussi de Marie). D’autres langues, elles, en acclimatant le mot français, l’ont spécialisé en général dans l’emploi « noble » de désigner les marionnettes à fils ; c’est le cas de l’anglais (marionette, avec un seul n), de l’allemand (Marionette), de l’espagnol (marioneta), de l’italien (marionetta), même si l’on peut observer des acceptions plus larges. D’autres termes sont alors utilisés, tournant souvent autour du sens de « poupée » : l’anglais parle de puppet, l’allemand de Puppe, l’italien des pupi siciliens (mais aussi des burattini, marionnettes à gaine), les langues indiennes de putul ou de pava (voir Inde) et le japonais de ningyô. L’espagnol títere a comme le français marionnette un sens générique. Compte tenu de l’éclatement des genres et des techniques qui a caractérisé le XXe siècle, la tendance contemporaine, en Europe, est de grouper tous les arts scéniques qui mettent en action des formes non humaines sous l’appellation générale de théâtre de figures.
L’objet marionnette
Outre qu’elle est « acteur », la marionnette est un objet artistique. Des artistes issus des arts figuratifs concourent à sa fabrication, se confrontant ainsi à l’art de la scène et du mouvement. S’il est trompeur de réduire les marionnettes à des sortes de sculptures se suffisant à elles-mêmes, indépendamment du mouvement qui leur est donné et de leur relation à l’espace de la scène, il est indéniable qu’elles exercent une fascination sur l’observateur pour leur qualité artistique intrinsèque. Rechercher les origines de cette fascination, c’est inévitablement se confronter avec les catégories du double et de l’altérité, communs dénominateurs entre tous ces êtres à la nature hybride. La palette de figures reflétant l’humain en le mimant ou en le déformant est vaste : elle comprend tous les matériaux et les styles dont l’art a pu se servir au cours des siècles. On peut cependant la restreindre si l’on ne prend en considération que les figures nées pour la scène, ces doubles qui cherchent aussi à reproduire le mouvement de l’être humain de manière à la fois mécanique et expressive.
La marionnette comme « objet théâtral » recouvre donc toutes les techniques employées dans le « théâtre de marionnettes » et porte tout l’imaginaire qui, selon les époques, correspond à cette figure. Étant donnée la diversité des cas, il faut tenter d’en dresser une typologie.
Il existe tout d’abord une catégorie de marionnettes dans laquelle on retrouve à une échelle réduite l’adresse et le raffinement des arts appliqués : par exemple, les marionnettes vénitiennes du XVIIIe siècle ou celles qui sont encore aujourd’hui fabriquées à Salzbourg (voir Salzburger Marionettentheater) par un personnel hautement qualifié, ou encore celles de la famille Colla, parées de précieux détails avec une précision toute « viscontienne ». Il s’agit ici de doubles pour ainsi dire « naturalistes » dont la valeur est en général proportionnelle à la minutie du travail et à la préciosité du matériau.
À l’opposé, nous trouvons les marionnettes à gaine qui, loin de l’imitation, « aspirent » à une existence réglée par des codes spécifiques, différents de ceux du théâtre réaliste, et dont la force réside précisément dans le caractère élémentaire et dans la déformation des traits humains. Des matériaux pauvres et des éléments allusifs correspondent dans ce cas à la simplicité des mouvements. Le matériau privilégié pour le corps des marionnettes de tradition occidentale est le bois.
Les marionnettes à fils et à tringles
La marionnette peut être actionnée par des fils d’acier, de lin, de chanvre, ou par des tringles comme dans le cas des pupi siciliens. Ils sont fixés au centre, sur les côtés ainsi qu’à différents points des articulations, variables selon le type de marionnette. Traditionnellement, le bois de pin cembro est préféré et des pâtes de bois spéciales peuvent également être utilisées. Les membres de la marionnette peuvent être en bois, en tissu parfois rembourré : le pectoral est une sorte de bouclier de toile ou de laine piquée, matelassée qui couvre le thorax de la marionnette. Cette partie est mobile et peut être retournée en dehors de la scène pour protéger la tête lors des déplacements. Du papier, de la paille ou du tissu peuvent servir de rembourrage pour arrondir les formes du corps. Les seins des figures féminines sont généralement sculptés à même le corps, afin des permettre des décolletés. Les jambes et les pieds sont en bois, articulés aux jointures, avec des semelles en plomb pour les personnages vêtus de collants ou de maillots qui empêchent de cacher les contrepoids. Chaque membre porte un numéro, correspondant au levier du contrôle. Les mains et les avant-bras sont également en bois avec des bracelets de plomb au poignet.
La tête signe généralement le caractère de la figure : comme dans le cas des masques, elle correspond au rôle et elle est taillée de façon à permettre des nuances d’expression selon le mouvement et l’incidence de la lumière. Les oreilles peuvent être aplaties sur les côtés de la tête ou profilées, les yeux de verre sont peints et incrustés dans les orbites (des morceaux de verre de bouteille ou d’ampoules) ; ils peuvent aussi être ovales et fabriqués spécialement (comme ceux qui sont produits à Nuremberg) ou encore former un globe véritable si l’on veut obtenir un regard mobile. Le visage est le plus souvent peint à l’huile, en évitant les fixateurs afin de donner à la couleur un aspect « vieilli ». Le papier mâché est souvent utilisé pour les marionnettes que l’on veut pouvoir jeter de haut et faire tomber à terre. Les cheveux peuvent être en soie, en crin ou en crêpe. Mais on fabrique également de petites perruques avec de véritables cheveux. Le nylon est employé pour ses reflets sur les personnages fantastiques. Les cheveux doivent permettre des coiffures (au fer, comme pour les humains) et la barbe ou les moustaches sont collées avec une cire spéciale appliquée avec les doigts.
Les costumes peuvent être en laine, en soie ou en coton, fixés avec des épingles spéciales qui ne déchirent pas le tissu lors du mouvement. Les marionnettistes de tradition sont attentifs à fabriquer des figures ou des costumes proches de modèles anciens : les matériaux modernes réagissant très différemment à la lumière, ils veilleront alors à utiliser des procédés artisanaux qui permettent d’obtenir une sorte de patine du temps. Si les marionnettes peuvent peser jusqu’à environ 8 kilos et mesurer un mètre de hauteur, certains pupi siciliens atteignent 16 kilos et 1,40 mètre, avec en conséquence des différences importantes quant à la technique et à la manipulation. Étant donné leur répertoire chevaleresque, les pupi portent aussi des armures et, pour les figures féminines, des costumes d’inspiration baroque.
Les marionnettes à gaine
Le bois (hêtre ou pin) est également le matériau de base des marionnettes à gaine mais pour la tête seulement (d’où leur autre nom de « têtes de bois ») puisque le corps qui n’a généralement pas de membres inférieurs est fait de tissu. Les yeux sont directement sculptés sur le visage, la tête est très robuste (pour résister aux bastonnades et coups de caboche) et les membres ne sont en général pas proportionnés à l’ensemble. S’il arrive que le nez se casse, il est vite refait avec du papier mâché, de la colle de farine ou de l’amidon. Les mains, également en bois, sont plates. Certaines « gaines » ont des jambes en tissu qui leur permettent de s’asseoir sur la bande ou tablette, les pieds hors du castelet.
Les marionnettes à tiges et les ombres
Il existe par ailleurs des figures très diverses en fonction des cultures auxquelles elles appartiennent. Richard Teschner, par exemple, s’inspirait du wayang golek indonésien, marionnettes tridimensionnelles qu’il manœuvrait par le bas avec des tiges et avec de petites baguettes soutenant les mains tandis que la tête, le cou et le tronc, pliables, étaient mus par des fils passés à travers la marionnette et tirés vers le bas. Dans le théâtre d’ombres, la figurine est souvent découpée dans du cuir et manœuvrée par une ou plusieurs tiges (karagöz, tolu bommalata, togalu gombeyata, wayang kulit, etc.). Elle peut aussi être découpée dans du métal (voir Le Chat noir), du papier noir ou du parchemin. En Slovénie, les likeli, proches des marottes, sont des poupées montées sur un bâton avec un habit flottant.
Des objets et des matières hétéroclites
Des figures mobiles du theatrum mundi, découpées dans du fer-blanc et peintes, aux métamorphoses pliables et permettant des changements instantanés, en passant par les mains transformées en jeux d’ombres ou même les pieds camouflés de Laura Kibel, utilisés comme personnages, la panoplie d’objets marionnettes est très vaste. Les marionnettes prirent la voie de l’abstraction dans les avant-gardes du XXe siècle. Sophie Taeuber-Arp, Kurt Schmidt, Fortunato Depero (Balli plastici Ballets plastiques) pour ne citer que quelques exemples, créèrent des marionnettes en bois ou en métal coloré réduisant les formes du corps à des éléments géométriques. Dans les années cinquante, Luigi Veronesi fit le même choix pour ses marionnettes du Songe d’une nuit d’été avec la compagnie Colla. Enrico Baj se servit du Meccano® mais aussi du bois pour ses créations aux formes essentielles, allusives, où les plus petits signes identifiaient le personnage. Se fondant sur les procédés des arts figuratifs (comme le collage, les compositions dada et l’objet surréaliste), les avant-gardes substituèrent également des objets quotidiens à certaines parties du corps : ainsi les figurines de Georg Grosz pour Methusalem (1919) d’Yvan Goll où des éléments quotidiens de la vie moderne (téléphones, machines à écrire, sonnettes, ampoules etc.) remplaçaient des parties corporelles. C’est dans le même contexte que naquit la Merzbühne de Kurt Schwitters, un projet de scène d’objets mécaniques aux associations incongrues. La référence aux œuvres de Niki de Saint-Phalle et de Jean Tinguely vient aussi naturellement à l’esprit même si celles-ci ne sont pas directement conçues pour le théâtre. L’œuvre de Tadeusz Kantor montre de son côté le versant tragique (avec sa dimension grotesque) de cette irruption des objets sur les scènes du XXe siècle. Redevable à l’objet trouvé des surréalistes (pour Picabia, une ampoule devient La Fiancée américaine) mais aussi aux mannequins condamnés à la déchéance, du « traité » de son compatriote Bruno Schultz (Sklepy cynamonowe Les Boutiques de cannelle, 1934), Kantor se servit d’accessoires qui étaient autant d’objets matériels et métaphoriques repris dans une allégorie de mort évoquant les danses macabres de Moyen Âge. Dans le théâtre contemporain, de même que les barrières entre genres et techniques sont abattues, la fabrication des figures n’exclut aucun matériau. Des typologies variées y sont mélangées entraînant donc une diversité des pratiques scéniques qu’il est impossible de présenter de manière exhaustive. Des marionnettes propres à chaque tradition, aux figurines de papier, aux ombres ou aux projections d’images virtuelles, en passant par le théâtre d’objets et les instruments de musique, aucune possibilité n’est exclue. La matière animée devient personnage dramatique. Ainsi, dans les marionnettes en papier d’Yves Joly, le matériau exprime la fragilité humaine et le tragique est « incarné » par la matière. Dans la fabrication des fantoches également (continuation idéale ou évolution du matériau de la tradition) interviennent les matières les plus variées : des plus traditionnelles aux matières plastiques (polystyrène expansé, polyéthylène, caoutchouc-mousse, vétrorésine), travaillées au ciseau ou au fil chaud. Il faut également mentionner les matériaux de récupération comme les cartons d’emballage, les tessons de bouteille, les boîtes, les canettes … dont l’utilisation est en partie redevable aux courants gravitant autour du pop art. Dans le dernier quart du XXe siècle, émergea une nouvelle forme plus éphémère de théâtre d’animation qui exploite un matériau pauvre et même périssable : la priorité était à la représentation et si l’objet ne survit pas au temps et n’est pas beau lorsqu’il est immobile, cela n’a pas d’importance puisque sa fonction n’est que scénique et qu’il ne vit qu’à travers l’animation créée par le manipulateur.
Dans la plupart des cas, les marionnettes sont fabriquées par les marionnettistes eux-mêmes : il s’agit d’un choix, celui de rester maître de sa création et de l’exprimer directement avec ses mains, dans la fabrication comme dans la manipulation. En manipulant une marionnette que l’on a fabriquée soi-même, on obtient en effet mieux l’expression ou le mouvement désirés et l’idée de « métier » est mieux préservée, alors que dans le cas de marionnettistes manipulant des marionnettes faites par d’autres, la relation entre l’objet et l’artiste est sans doute moins étroite. Si la marionnette est en premier lieu objet matériel, elle est aussi une figure du passage de la matérialité au symbole et à la métaphore. De nombreuses théories sur la marionnette insistent sur le procédé permettant, grâce au mouvement et à la mise en scène (ou en espace), de donner vie à un objet inerte, matière inanimée, dotée cependant d’une étincelle qui peut la transformer en présence vivante.
La conservation
La technique de fabrication et la valeur de la marionnette en tant qu’objet renvoient à la question de la conservation. Dans certains cas en effet, nous sommes en présence de véritables œuvres d’art et d’un artisanat très raffiné.
Un marionnettiste en activité conserve en général ses marionnettes à l’atelier, suspendues par leur crochet s’il s’agit de marionnettes à tringle ou rangées dans des malles, selon leur type. En Afrique, dans les villages qui pratiquent la marionnette à des fins rituelles, il existe des « maisons des marionnettes » et des gardiens des marionnettes. En Indonésie, le dalang range ses figurines dans un coffre, le kotak, en respectant une disposition hiérarchique et en s’interdisant de rapprocher des personnages ennemis. Ce coffre fait d’ailleurs partie du dispositif de la représentation (il est placé à la gauche du dalang et est muni de lamelles métalliques utilisées pour les effets sonores). Au Portugal, les deux coffres qui abritent ordinairement les Bonecos de Santo Aleixo ont une fonction utilitaire lors des spectacles ; disposés perpendiculairement à l’ouverture de scène, en arrière, ils sont servent à hausser les manipulateurs à 45 centimètres du sol.
Compte tenu de l’intérêt artistique, anthropologique ou historique de certaines marionnettes, d’importants musées en conservent parmi leurs collections, comme en France le Musée national des Arts et traditions populaires, à Amsterdam le Tropenmuseum (musée des Tropiques), à Londres le British Museum, à Venise la Ca’ Rezzonico. Il existe aussi des musées spécialisés dans la marionnette comme le Musée Gadagne à Lyon, le Puppentheatermuseum à Munich (voir Puppentheatermuseum in the Münchner Stadtmuseum), le Museu Internacional de Titelles d’Albaida en Espagne, le Museo Nacional del Títere – Huamantla au Mexique, ou dans certains types de marionnettes, comme le musée Spatharis à Maroussi (Athènes ; voir Eugenios Spatharis) ou le musée du Wayang à Jakarta (Java) et Rumah Topeng dan Wayang Setia Darma à Gianyar (Bali), en Indonésie (voir le tableau des musées en Annexe). Certains marionnettistes ont constitué une collection de marionnettes et ont préservé leurs propres créations, comme Maria Signorelli, Guido van Deth, Anton Anderle ou le Bread and Puppet Theater. Cependant, des fonds entiers de marionnettes gisent bien souvent, ignorés, à même le sol dans des arrière-boutiques.
Bibliographie
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