L’Amérique du Nord envisagée ici est celle qu’ont occupée des vagues successives d’immigration dans des territoires occupés jusque-là par les divers peuples amérindiens et inuits, eux-mêmes venus d’Asie.
Les origines européennes
Hernán Cortés, quittant Mexico pour le sud en 1524, avait un marionnettiste dans sa suite. En 1569 Juan de Samora demanda l’autorisation de montrer un spectacle de marionnettes à Tezcuco, au Mexique. Ainsi, les marionnettes sont-elles attestées dans le Nouveau Monde avant que le nom d’aucun marionnettiste soit connu en France ou en Angleterre et avant l’apparition du bunraku au Japon.
Les Espagnols, les Français et les Portugais apportèrent avec eux les traditions européennes du mardi gras et du carnaval. L’emploi de masques et de costumes bariolés se communiqua à la marionnette, et le carnaval permit de mêler aux fastes chrétiens les symboles des célébrations amérindiennes ou africaines.
Les XVIIIe et XIXe siècles
À partir du XVIIIe siècle, divers genres de marionnettes débarquèrent en Amérique du Nord, notamment les ombres européennes et les marionnettes à gaine vers la fin du siècle. Les automates, dont un célèbre joueur d’échecs, y furent montrés après avoir parcouru l’Europe. Malgré leurs passages sur les territoires américains, les marionnettes traditionnelles françaises et espagnoles ne s’implantèrent pas dans la culture populaire. Les Punch et Judy britanniques firent une impression plus durable aux Etats-Unis et au Canada, mais aucun de ces deux pays ne se donna de personnage national, comme le Punch anglais ou le Guignol français.
Le premier XXe siècle
Les communautés d’immigrants qui s’installaient apportaient avec elles leurs marionnettes d’Allemagne, d’Italie, de Grèce ou de Chine. Ces traditions différentes inspirèrent quelques esprits assez curieux pour assister aux spectacles qui se donnaient dans les différentes communautés des grandes villes.
On pouvait voir, dans de petits théâtres, sous des chapiteaux ou sur des places, des marionnettistes présenter de petites pièces amusantes pour enfants et adultes. Cependant, en 1873, les Royal Marionettes de Liverpool (voir Bullock’s Royal Marionettes) firent la traversée vers l’Amérique où elles eurent un succès retentissant. Les tournées se succédèrent : dans les années vingt, le Teatro dei Piccoli qui inspira et influença au passage les marionnettistes américains ; après la Seconde Guerre mondiale, les Marionnettes de Salzbourg (voir Salzburger Marionettentheater) ; puis ce furent Yves Joly de France, le bunraku japonais, Sergueï Obraztsov d’Union soviétique, Albrecht Roser d’Allemagne, les Hogarth Puppets de Grande-Bretagne, le Divadlo DRAK de Tchécoslovaquie, qui vinrent enrichir la vision des artistes nord-américains.
Les marionnettistes nord-américains traversaient fréquemment les frontières : l’Américain Louis Bunin créa un théâtre de marionnettes au Mexique et Roberto Lago fut le mentor de nombreux marionnettistes des États-Unis ; les Canadiens Luman Coad (voir Coad Canada Puppets) et Ronnie Burkett sont bien connus aux États-Unis, et les studios de Toronto accueillirent quelques-unes des meilleures productions de Jim Henson.
De la guerre froide à la mondialisation
Les marionnettistes sont généralement très curieux de ce que font leurs confrères étrangers. Livres, photos, revues, parfois voyages leur permettent de s’informer. Même au plus fort de la « guerre froide », en 1958, des représentants de l’Amérique du Nord étaient présents au premier festival international de l’UNIMA à Bucarest. Petrouchka et Pierre et le loup devinrent des classiques du théâtre de marionnettes nord-américain peu après leur création en Union soviétique, aussi vite que le jazz et Walt Disney furent adoptés par les Européens. Et les échanges continuent.
La photographie, le cinéma et la télévision ont joué chacun son rôle dans l’archivage des œuvres de marionnettistes. Après 1970, la vidéo donnait de la permanence aux spectacles et dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, l’Internet permit des échanges instantanés. En outre, les moteurs de recherche actuels permettent une collecte d’informations dont la présente encyclopédie a grandement bénéficié.
Les frontières ne peuvent arrêter les bonnes idées, semble-t-il. Le wayang golek javanais parvenus à Amsterdam inspirèra l’Autrichien Richard Teschner qui influença la Russe Nina Simonovitch-Efimova, laquelle donna à Marjorie Batchelder l’idée d’introduire l’usage des marionnettes à tiges en Amérique. Celles-ci, réimaginées par Jim Henson, furent diffusées par la télévision dans les maisons et les écoles de cent pays. Peter Schumann, né en Allemagne, rencontra les marionnettes siciliennes (voir Pupi) à New York. Leurs dimensions et leur gestuelle audacieuse l’aidèrent à donner forme au Bread and Puppet Theater et aux amples parades de marionnettes visibles dans les manifestations politiques de Barcelone à Jérusalem. Le bunraku a grandement influencé le Théâtre Sans Fil de Montréal.
Le financement et les aides
À mesure que la marionnette acquérait de la respectabilité en tant qu’art et outil pédagogique, les gouvernements (notamment celui des États-Unis dans les années trente grâce à la WPA Work Projects Administration et, depuis 1981, grâce au NEA National Endowment for the Arts) lui versaient parfois des subventions. Au Mexique, à Cuba et au Canada (plus particulièrement au Québec) il a existé divers niveaux de financement de la marionnette, mais rien de vraiment semblable au financement étatique pratiqué par les pays d’Europe de l’Est. Les soutiens sont d’origines plus diverses. Peter Schumann préconise même le travail à l’échelon local, indépendamment des grands groupes industriels et des institutions culturelles. Quelques universités aident l’art de la marionnette en l’intégrant à leurs programmes. Les théâtres et les festivals fournissent des cadres à sa visibilité. L’action positive de l’O’Neill Puppetry Conference (voir National Puppetry Conference at the Eugene O’Neill Theater Center), de la Jim Henson Foundation, du Center for Puppetry Arts, de l’UNIMA-USA et des Puppeteers of America a franchi les frontières.
La profession de marionnettiste
Depuis les années cinquante, il suffit d’allumer la télévision pour voir des marionnettes presque chaque jour. Cependant, les émissions enfantines n’ont pas encore fait entrer la marionnette dans les acquis de la culture populaire : son art reste auréolé, si l’on ose dire, d’ombre et de mystère. Le public américain qui va écouter jouer du jazz ou un concert classique est très réduit, rapporté à la population totale ; celui qui va au théâtre de marionnettes est plus réduit encore. Rares sont les marionnettistes nord-américains qui parviennent à la reconnaissance internationale ; leur public est surtout local ou régional.
Le terme anglais puppeteer (marionnettiste) est lui-même ambigu, car il désigne celui qui fabrique la marionnette, celui qui la manipule et celui qui fait les deux. Mieux, l’expression professional puppeteer est imprécise, car elle désigne une personne payée pour jouer occasionnellement ou qui tire la majorité de ses revenus de la marionnette. Choisir cette carrière est risqué et on voit même des artistes doués se tourner vers d’autres activités. Faute de statistiques précises, on ne peut donner le nombre de marionnettistes exerçant professionnellement en Amérique du Nord, mais il se situe, selon une estimation raisonnable, entre 10 000 et 5 000 pour tout le continent américain. Les fabricants et manipulateurs qui animent les marionnettes dans les films, sur les scènes de théâtre et à la télévision tendent à l’invisibilité. Les compagnies des rares marionnettistes ambulants consacrés se composent de deux à quatre personnes, mais parfois d’une seule.
Le marionnettiste et son public
En Amérique du Nord, les marionnettes à gaine, à fils et à tiges coexistent avec des genres produits par des techniques nouvelles. On peut cependant observer une petite préférence pour la manipulation à vue, elle-même selon plusieurs techniques : manipulation sur table, objets détournés et dérivés du bunraku. Comme par le passé, les marionnettistes continuent à inventer des manières inédites de manipuler, de même qu’ils continuent à expérimenter de nouveaux matériaux. Les goûts des publics nord-américains (comme dans le reste du monde) sont éclectiques, du divertissement à l’intellectualisme. Les textes peuvent être symboliques, politiques, instructifs ou émouvants. Les marionnettes peuvent être sophistiquées ou dépouillées, raffinées ou brutes, réalistes ou abstraites. Rien qu’à New York, le public a le choix entre des spectacles extrêmement différents.
En Costa Rica ou à Porto Rico, dans l’Iowa ou dans la province canadienne de Saskatchewan, des spectacles d’une grande qualité rencontrent un public favorable. Un musée mexicain ou québécois, un professeur à Storrs (Connecticut), un artiste de stature mondiale à Putney (Vermont) créent des oasis dans un environnement improbable. L’attention, l’estime et le soutien financier accordés à l’art de la marionnette restent toutefois dispersés et peu cohérents.
Qui fait quoi ?
Des auteurs, des compositeurs, des chorégraphes et des metteurs en scène de théâtre choisissent parfois de collaborer avec des marionnettistes pour élargir leur palette expressive. C’est là une évolution favorable. Un metteur en scène qui mêle des marionnettes à des acteurs masqués et à d’autres éléments revendiquera ou non l’étiquette de « marionnettiste ». Il arrive que, à la télévision, au cinéma ou au théâtre, les productions recourant aux marionnettes emploient toute une équipe avec des sculpteurs et modeleurs, des costumiers, des auteurs, des compositeurs, des acteurs qui prêtent leur voix, des manipulateurs et un metteur en scène. Or c’est ce dernier qui, souvent, est considéré comme l’auteur, l’animateur ou le marionnettiste.
Naguère encore, la presse traitait souvent la marionnette comme une bizarrerie ou une curiosité, jusqu’à ce que, très récemment, les médias nord-américains s’aperçoivent (ou se souviennent) qu’elle peut transmettre une impressionnante diversité d’émotions à des publics très exigeants.