La musique est une composante essentielle du théâtre de figures : celui-ci, en effet, ne s’appuie pas d’abord sur le texte mais plutôt sur l’élément visuel actif et il exploite de manière plus structurée que le théâtre d’acteurs l’intégration son/image. Comme le disait Hans Jelmoli (1877-1936), compositeur et collaborateur du Schweizerische Marionettentheater (Théâtre suisse de marionnettes), la musique est pour le théâtre de marionnettes un moyen d’augmenter l’effet d’illusion dont il a besoin. La nature « invisible » et immatérielle de l’élément sonore se fond plus facilement dans l’espace avec les formes en mouvement. La qualité évocatrice de la musique (des sons et des bruits en général) accentue l’effet de l’image et porte à son expression la plus intense le mouvement de la marionnette. En témoigne par exemple la scène des marionnettes dans Podwójne życie Weroniki / La Double Vie de Véronique (1991) de Krzysztof Kieślowski où le thème musical du film vient donner aux figures une signification symbolique portant sur l’œuvre entière. À ce propos, les réflexions d’Appia et d’Edward Gordon Craig sont essentielles dans la mesure où ils ne conçoivent pas la musique comme l’accompagnement de la représentation mais au contraire comme un élément intrinsèque d’une scène dont le caractère essentiel est le mouvement.

Les premières illustrations de montreurs de marionnettes indiquent que le marionnettiste a toujours accompagné son spectacle de musique, qu’il interprétait le plus souvent lui-même. Le même individu exécutait en effet plusieurs tâches : manipulateur et musicien, il prêtait également sa voix au mouvement en se servant par exemple d’un accessoire sonore (voir Pratique). À cet égard, la tradition sicilienne du cunto, qui a survécu grâce à Mimmo Cuticchio, rejoint celle des pupi où par son rythme soutenu, la partie récitée se transforme en un véritable chant.

Dans d’autres formes traditionnelles de théâtre de figures, les musiciens peuvent côtoyer le manipulateur dans le bunraku japonais, dans les marionnettes chinoises ou indiennes, ou comme dans le wayang indonésien où, du côté de la toile où se trouve le dalang (le marionnettiste), est disposé en fer à cheval l’orchestre gamelan, composé parfois d’une vingtaine de musiciens dont, en son centre, entre deux et cinq chanteurs. Et le dalang lui-même produit des sons avec ses baguettes et entonne des chants.
En Occident, c’est à partir du XVIIe siècle que fut envisagée la possibilité de produire de la musique par des moyens automatiques : ainsi Giovanni Battista Della Porta (1535 ?-1615) et ses projets d’appareils musicaux hydrauliques, Athanasius Kircher (1602-1680), qui réalisa des instruments complexes dotés de touches actionnées hydrauliquement avec des automates battant la mesure et dansant, et qui s’ingéniait à reproduire mécaniquement la voix humaine, ou encore Kaspar Schott (1608-1666), qui imagina des automates et des instruments purement hydrauliques. Au XVIIIe siècle, des androïdes chantant et jouant furent construits, la musique devenant l’un des thèmes de prédilection des constructeurs d’automates.

La musique devint par la suite un élément intrinsèque de la dramaturgie pour marionnettes. On peut citer de nombreux exemples : Alfred Jarry ajoutant des chansons à Ubu roi lorsqu’il en fit jouer une « réduction » pour marionnettes au Guignol des Quat’z’arts en 1901) ; Massimo Bontempelli écrivant la partition de sa pièce Siepe a nord-ovest (Haie au nord-ouest), jouée avec acteurs et marionnettes, à Rome en 1923 ; la compagnie I Burattini dei Ferrari donnant Il gatto con gli stivali (Le Chat botté) pour burattini avec ouverture, chœurs, arias, duetti et danses ; Manuel de Falla composant la musique du Retable de maître Pierre ou collaborant aux pièces pour marionnettes de Federico García Lorca ; celui-ci magnifiant les títeres andalous par les sons « noirs » de la musique, par la danse et par le chant (Le Petit Tréteau de Don Cristóbal, 1930). De plus, la musique devint directement l’un des thèmes de nombreux spectacles de figures comme l’illustrent par exemple les musiciens de Varietà, création historique des Piccoli de Vittorio Podrecca (voir Teatro dei Piccoli). Un autre terrain fructueux de rencontre entre marionnettes et musique est offert par le théâtre musical ou l’opéra en miniature qui fleurit entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Dans ce cas, les musiciens de l’orchestre (réduit) prenaient place derrière les coulisses ou alors, comme le signale l’abbé Du Bos (XVIIIe siècle), la musique sortait d’une ouverture percée dans l’avant-scène tandis que la voix provenait des coulisses.

La musique dans le théâtre contemporain

Aujourd’hui, dans les mélodrames « miniatures », la musique et les voix sont enregistrées. À cet égard se pose la question de la « source » musicale. Cette question émergea après l’invention du magnétophone – qui pour certains a sauvé le métier de marionnettiste – et concerne aussi bien la production et l’organisation (étant donné le coût que représentent un orchestre, des musiciens et des chanteurs) que la forme du spectacle. Si l’espace traditionnel du théâtre de marionnettes ne prévoyait pas de musiciens sur scène, la situation changea au XXe siècle et celui qui exécute la partie musicale peut être activement présent sur scène, voire devenir un protagoniste du spectacle. Il s’agit donc d’intégrer dans le spectacle la présence scénique du musicien. Dans les expérimentations des dernières décennies, on peut ainsi aller jusqu’à la fusion de l’interprète et de l’instrument comme en témoignent notamment, les corps/instrument du théâtre musical de Mauricio Kagel (Sur scène, 1960 ; Match, 1964) ou le « corps sonore » de Michele Sambin (du TAM Teatromusica) dans Se San Sebastiano sapesse (Si saint Sébastien savait, 1984) où l’artiste détournait la représentation du saint en substituant des archets de violoncelle aux flèches et où se confondaient interprète et instrument. Certaines créations, entre le concert et le théâtre d’objets, peuvent aller jusqu’à transformer l’instrument musical en marionnette. Dans les années soixante-dix, le DRAK, compagnie tchèque, mit en scène Jak se na co hraje (Avec quoi nous jouons de la musique) où un acteur raconte l’action « jouée » par des objets ou par des instruments de musique qui tiennent ainsi les rôles de véritables personnages. Mais l’exemple contemporain le plus manifeste est celui des Puppet Players allemands pour lesquels la « marionnette sonore », unissant son et mouvement, constitue le point de départ de la construction du spectacle.

Dans le même esprit, il faut mentionner des créations contemporaines où la musique est indissociable d’objets animés, telles les sculptures sonores de Jacques Rémus (qui se sert aussi des moyens électroniques) ou les Machines musicales de Brahem-Drouet (installations/performances qui utilisent des objets de la vie quotidienne et des matériaux divers). Les exemples seraient nombreux étant donnée l’inclination de la scène contemporaine à mêler les codes spécifiques aux différents langages artistiques. Toutes ces expériences, filiations plus ou moins directes des inventions de John Cage, des performances du mouvement Fluxus, des mobiles d’Alexander Calder ou des machines méta-harmoniques de Tinguely, ont leurs plus lointaines origines dans les avant-gardes historiques, de l’Intonarumori (Entonne-bruits) futuriste de Luigi Russolo aux symphonies visuelles créées au cinéma (Eggeling, Ruttmann, Schwerdtfeger, Hirschfeld-Mack) et à toutes les recherches allant dans le sens d’une fusion expressive et perceptive entre son, forme et couleur.

À cet égard, la recherche scénique contemporaine obéit à un principe de construction qui reflète celui de la composition musicale et non le schéma narratif classique du théâtre parlé : s’éloignant de la « mise en scène » interprétative d’un texte (avec sa conséquence, l’écart entre la parole qui précède et l’action qui suit la conception), ces créations aspirent à une représentation hic et nunc et s’approchent ainsi beaucoup plus de la musique. On ne peut faire abstraction des acquis de la musique et du théâtre expérimental même si l’on reste fidèle à la tradition : Gerhard Mensching unit l’expression de la main nue à une phonétique inarticulée, non signifiante, mettant en œuvre une stylisation de sa marionnette et de sa voix, en vue d’un langage essentiel. Cette raréfaction des sons pose l’importante question du rôle du silence qui, dans la musique contemporaine, est de plus en plus considéré comme élément signifiant et constitutif de la partition. Le travail de Carmelo Bene centré sur la phoné et sur l’acteur transformé en marionnette, mise en scène de l’absence, doit aussi être mentionné. Le cas de Pinocchio est emblématique : la voix n’est pas donnée aux figures, mais elle est enregistrée et diffusée en play back, et le dédoublement de la marionnette est ainsi atteint aussi sur le plan sonore. Un dédoublement qui a ses racines dans la voix que les chanteurs prêtaient aux bambocci au XVIIe siècle, à cette différence près qu’il s’agit ici d’une voix artificielle. D’autres compagnies suivent des chemins similaires comme par exemple le Teatro del Carretto avec L’Iliade.

L’Instrument-marionnette

L’une des hypothèses émises quant à l’origine du mot « marionnette » est intéressante : dans un traité sur les origines de la musique, De inventione et usu musicae, (Naples, 1480-1490), le compositeur flamand Johannes Tinctoris (vers 1435-1511) mentionne divers types d’instruments en vogue à son époque et parmi eux le rebec, un petit instrument à trois cordes au son aigu, similaire à la voix d’une femme, d’origine arabe ou byzantine, introduit en Europe après le Xe siècle. Utilisé par les ménestrels dans les fêtes de cour et dans les fêtes populaires, il était, semble-t-il, dérivé de la lyre. Appelé ribeca par certains, marionnetta par d’autres, il avait une forme de tortue (similaire au luth) et l’on pouvait pincer ses cordes semblables à celles de la viole ou les toucher avec un archer. Au Kunsthistorisches Museum de Vienne, est conservée une ribeca vénitienne appelée Rebec de Vénus car une figurine de Vénus est taillée sur sa caisse de résonance. On pourrait dire qu’une petite marionnette s’anime au son de la musique et l’on rejoindrait ainsi l’image souvent utilisée par les marionnettistes affirmant que manipuler des marionnettes est comme jouer d’un instrument à cordes. Préfigurant les liens étroits entre musique et marionnettes, et recelant aussi la figure du double, cet objet contient au fond déjà le futur Violon d’Ingres de Man Ray et autres « corps sonores ».  

Bibliographie

  • Impe, Jean-Luc. Opéra baroque et marionnette. Dix lustres de répertoire musical au siècle des Lumières. Charleville-Mézières: Éditions de l’Institut international de la marionnette, 1994.
  • Möbius, Hanno, and Jörg Jochen Berns, eds. Die Mechanik in den Künsten. Studien zur ästhetische Bedeutung von Naturwissenschaft und Technologie. Marburg: Jonas Verlag, 1990.
  • “Musiques en mouvement”. Puck. No. 6. Charleville-Mézières: Éditions de l’Institut international de la marionnette, 1993.