La République de l’Inde (en hindi : Bhārat Gaṇarājya) est un pays du sud de l’Asie (septième pays le plus grand et deuxième pays le plus peuplé au monde) dont les frontières ont rassemblé de nombreux royaumes et groupes ethniques au cours du temps. Les différentes souches culturelles comprennent des groupements aborigènes, des peuples dravidiens au sud, des groupes indo-persans au nord et au nord-ouest, au nord-est des peuples dont les caractéristiques les rapprochent des Asiatiques du sud-est, des groupes d’influence tibétaine au pied de l’Himalaya et des groupes modernes et multi-ethniques dans les villes mondialisées de New Dehli, Mumbai (Bombay), Chennai (Madras) ou Kolkata (Calcutta).
Quatre religions sont nées sur ce sous-continent : l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme et le sikhisme et, au cours du premier millénaire de notre ère, s’y sont implantés le zoroastrisme, le judaïsme, le christianisme et l’islam, ajoutant encore à la diversité culturelle de la région. L’Inde (qui jusqu’à son indépendance en 1947 incluait le Pakistan et le Bangladesh) a appartenu à l’Empire britannique à partir du début du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, l’Inde reconnaît vingt-trois langues officielles (alors qu’elle recèle plus de cent langues majeures et possiblement autour de 1 600 dialectes) ; l’hindi et l’anglais sont les langues officielles nationales.
Fondements religieux, sociaux, littéraires et esthétiques
Les arts de la marionnette, les récits sur rouleaux peints et le théâtre de masques sont présents dans de nombreuses régions d’Inde. À travers leur très grande diversité, des traits communs peuvent être distingués. Dans toutes les régions, le théâtre, la danse, les arts visuels et la musique (tous convoqués par l’art de la marionnette) ont été d’importants moyens de diffusion de la religion autant que de divertissement depuis bien longtemps avant notre ère. Une légende raconte que le dieu créateur Brahma créa la première marionnette ainsi que son interprète pour divertir sa femme Saraswati. Mais comme l’artiste faillit à sa tâche, Brahma le bannit et l’envoya sur la Terre comme bhat (nom des marionnettistes / amuseurs du Rajasthan).
La référence la plus ancienne à l’art de la marionnette se trouve dans le Mahâbhârata, qui a pris une forme écrite aux alentours du IVe siècle avant notre ère alors que les histoires qui le composent se transmettaient oralement depuis le IXe siècle avant notre ère. Panini, le grammairien sanskrit (IVe siècle avant notre ère) et plus tard Patanjali (IIe siècle avant notre ère), auteur du Yogasutra, font tous deux référence à des marionnettes. Tirruvaluvar, le poète tamoul (IIe siècle avant notre ère) a écrit : « les mouvements d’un homme qui n’a pas de conscience sensible sont semblables au simulacre de vie des marionnettes mues par des fils. » Le grand érudit allemand du XIXe siècle Richard Pischel (1849-1908) a porté une attention particulière aux arts de la marionnette indiens et a défendu l’idée selon laquelle l’Inde était à la source des arts occidentaux de la marionnette.
Dans le théâtre classique sanskrit (100-1000 de notre ère), le sutradhara – littéralement, le « détenteur des fils (sutra) » – introduit et mène la représentation, ce qui a fait naître l’hypothèse selon laquelle le terme aurait été emprunté aux arts de la marionnette. L’éminent érudit Ananda K. Coomaraswamy (1877-1947) y voit l’association d’une figure divine et de celle du marionnettiste : Vishwakarma, qui est la forme abstraite du dieu créateur, est conçu comme le sutradhara qui tire les ficelles – les destinées humaines sont entre ses mains.
L’Inde recèle plus d’une vingtaine de traditions vivantes de marionnettes à gaine, marionnettes à fils, marionnettes à tiges et théâtre d’ombres. Malgré les caractéristiques régionales et la multitude des dialectes et langues dans lesquelles ces formes sont pratiquées, des traits communs peuvent en être soulignés : le matériau narratif des œuvres, la place centrale occupée par un narrateur / chanteur, l’exigence d’un accompagnement musical et de danse, la forme de la représentation, le contexte social et économique dans lequel évoluent les artistes traditionnels ruraux, l’esthétique sous-jacente partagée avec d’autres genres de théâtre ou d’art visuel, le contenu moral ou la vision du monde et les multiples liens au domaine religieux, qui, avec le temps, ont pu inclure des cultes de divinités locales, le bouddhisme, le jaïnisme, le shivaïsme et le vishnouisme hindous et l’islam.
L’art de la marionnette indien entretient un lien très fort avec les formes de théâtre d’acteurs traditionnelles de la région ou de l’état dont chaque genre de marionnettes est issu. Les rituels préliminaires à la représentation sont les mêmes pour les deux formes de théâtre. Des personnages du théâtre sanskrit comme le sutradhara et le vidushaka (clown) apparaissent sous différents noms au début des représentations. La combinaison du texte, de la musique, du rythme et du mouvement et l’évocation des rasa (sentiment) et bhava (état émotionnel) sont des éléments qui rendent explicite ce lien avec le théâtre sanskrit. Bien que les termes d’esthétique employés dans le Natyasastra (Livre du Théâtre, écrit entre 200 avant notre ère et 200 de notre ère) n’appartiennent pas au vocabulaire usuel des marionnettistes traditionnels, les érudits affirment que le fondement des formes régionales en langues locales est lié au théâtre sanskrit.
De forts parallèles existent encore entre les formes traditionnelles régionales de théâtre dansé et de marionnettes : le yakshagana et les marionnettes à fils du yakshagana gombeyata de la région du Karnataka, le kathakali et les marionnettes à gaine du pavakathakali du Kerala, le jatra et les marionnettes à tiges du danger putul nach au Bengale-Occidental ou encore le bhaona et les marionnettes à fils du putala nach de l’Assam entretiennent des liens étroits. Sur le plan visuel, les costumes, chapeaux, bijoux, maquillages et types de personnages coïncident à tel point que les pièces pour marionnettes s’apparentent souvent à des représentations de théâtre d’acteurs en miniature. Le rythme et la danse sont des éléments essentiels aux deux types de théâtre. Les manipulateurs, munis de grelots attachés aux chevilles, dansent à l’arrière-plan tandis que leurs marionnettes dansent à l’avant-scène et les percussions ainsi que d’autres instruments de musique donnent les bols (temps accentués), qui correspondent aux pas de danse. Toutefois, des analyses comparatives plus approfondies des textes, musique et mouvements sont nécessaires pour comprendre la singularité des différentes formes.
Le style de fabrication des marionnettes est généralement lié aux arts visuels traditionnels de la région. On repère des similitudes dans le traitement des yeux entre les peintures murales datant du XVIe siècle qui ornent le temple Lepakshi de l’Andhra Pradesh et les figurines de théâtre d’ombres de la région, entre les patachitras (peintures emblématiques qui ornent murs, vêtements, feuilles de palme et parchemins) et les marionnettes du gopalila kundhei d’Orissa (Odisha), ou encore entre les patas (peintures, rouleaux peints) et les marionnettes à tiges du danger putul nach du Bengale-Occidental. Des références à ces parchemins illustrés peuvent être répérées à partir du IIe siècle avant notre ère. Il est, par exemple, relaté dans un texte datant du IIIe siècle, Bhagavati Sutra, que le grand professeur jaïn Mankhali Gosala était le fils d’un montreur d’images. La littérature bouddhiste fait mention des charana chitta (peintures mobiles) des châtiments infernaux, communément appelés yama pata (rouleaux du dieu Yama, maître des enfers) : aujourd’hui encore, on trouve des montreurs d’images bengali qui représentent des scènes de l’enfer appelées yam pot et certains tableaux contemporains du Gujarati mettent en scène le Seigneur de la Mort (Yama) en train d’infliger des châtiments. Ces rouleaux peints donnent lieu à une représentation accompagnée de musique et de mouvements qui laissent penser que les interprètes et les peintres viennent des mêmes groupes que les marionnettistes.
En Inde, les pièces traditionnelles pour marionnettes relatent des histoires de héros et héroïnes, dieux et déesses, tirées de textes littéraires anciens comme les épopées du Râmâyana et du Mahâbhârata ou des Puranas (littéralement « des Temps Anciens » ; récits sur des divinités variées), aux côtés de mythes et contes régionaux. Les récits connus de tous et la simplicité des représentations ravivent la mémoire communautaire et permettent de diffuser des idées morales et spirituelles, tout en proposant un commentaire sur des situations d’actualité par le biais de l’humour et d’autres éléments.
L’iconographie stylisée des personnages déterminent la forme, les couleurs et les costumes des marionnettes. Dans certains genres, les marionnettes parlent une langue qui leur est propre, produite à l’aide d’un sifflet en roseau (voir Voix, Pratique). La pratique artistique se transmet de génération en génération, les enfants accompagnant leurs aînés lors des représentations. Les spectacles de marionnettes sont joués dans des festivals, lors de célébrations ou de rituels spécifiques et les représentations étaient et sont encore parfois destinées à chasser les mauvais esprits ou à mettre fin à une sécheresse (voir Rites).
Marionnettes traditionnelles en Inde
Bien que nombre de formes traditionnelles soient en cours de disparition du fait de la modernisation, des efforts sont réalisés pour leur préservation et la marionnette contemporaine, qui s’est développée au cours du XXe siècle, a aujourd’hui d’illustres praticiens dans les zones urbaines. La brève analyse qui suit recense, état par état, les principales formes traditionnelles de marionnettes.
Tamil Nadu
Bien que les arts traditionnels de la marionnette des quatre états du sud possèdent des points communs – ce qui s’expliquent par des siècles de migrations – les langues continuent d’entretenir des différences entre eux. Le Tamil Nadu, état du sud-est de l’Inde, possède deux traditions majeures de marionnettes : le tolu bommalatam, théâtre d’ombres, et le bommalatam, marionnettes à tiges et à fils. Tous deux puisent leurs éléments narratifs dans les épopées et les Puranas. Le pava koothu (marionnettes à gaine), qui a presque complètement disparu, représente la danse de la déesse Lakshmi après sa victoire sur les démons.
Le tolu bommalatam (« danse de la marionnette de cuir »), aujourd’hui extrêmement rare, aurait été créé par les migrants venus du Maharashtra et possède des liens avec le théâtre d’ombres de l’Andhra Pradesh et du Karnataka, bien que les figurines du Tamil Nadu soient légèrement plus petites. Chaque représentation est donnée par un interprète accompagné d’un assistant. Aujourd’hui, les figurines sont parfois fabriquées en carton. La narration est basée sur des contes populaires aussi bien que sur les grandes épopées et les Puranas.
La Troupe de Théâtre d’Ombres Selvaraja (dirigée par A. Selvaraja) basée à Tirukalukundram, à 60 km de Chennai, est une compagnie familiale qui met en scène des thèmes ayant trait à la protection des enfants, à la santé publique, à la régulation démographique et autres enjeux de « conscience sociale » et elle crée des spectacles destinés aux enfants. Une autre troupe, Marionnettistes Indiens (dirigée par S. Seethalaxmi), fondée par le maître de théâtre d’ombres de Chennai M. V. Ramanamurthi, se produit en Europe, aux Etats-Unis et à travers l’Asie, mettant en scène le Râmâyana, le Mahâbhârata, Lord Ayyappa et le Panchatantra (fables animalières).
L. Rajappa (né en 1952), issu d’une famille de marionnettistes depuis huit générations, praticiens du tolu bommalatam, a reçu en 2007 le prestigieux prix national de la Sangeet Natak Akademi pour sa contribution à cette forme d’art. La Sangeet Natak Akademi est l’Académie nationale indienne de musique, danse et théâtre.
Le bommalatam (« danse de poupée / marionnette »), qu’on trouve également aux frontières du Karnataka et de l’Andhra Pradesh, était sous le patronage des rois aux XVIIe et XIXe siècles. Ses représentations étaient données dans des villages et des temples pour s’attirer les faveurs des dieux, apporter la pluie ou prévenir la maladie. Le spectacle s’ouvre avec un puja rituel (célébration) dédié à Ganesh, le fils à tête d’éléphant du dieu Shiva. Les marionnettes pèsent 10 kilogrammes, mesurent environ 90 centimètres et des tiges sont reliées à leurs mains. Un cercle de roseau ou de fer attaché par des fils à la figurine est fixé à la tête de l’interprète. Les tiges reliées aux mains des marionnettes sont manipulées par le dessus. Les personnages se meuvent de façon rudimentaire dans le style du bharatanatyam, la danse classique de la région, et peuvent même jouer avec une balle (ammanattam). La musique est produite par des percussions (mridangam), hautbois (ottu), gong (jalar) et cymbales. La représentation exige un chanteur et une chanteuse. Les anciennes marionnettes de Thanjavur sont finement sculptées, élégamment costumées et décorées ; les figurines modernes sont plus simples. Un personnage comme le dieu Indra aura une tête d’éléphant attachée à la taille pour représenter Airavata, l’animal qu’il monte.
Les compagnies qui pratiquent actuellement cet art sont, entre autres, le Sri Rama Vilasa Kattabommu Nataka Sabha à Chinna, Siragapatti dans la région de Salem ainsi que Mangala Gana Bommalattam Sabha et Sri Murugan Sangeetha Bommalatta Sabha à Kumbakonam. Ce dernier groupe a été supervisé par l’artiste nationalement reconnu T. N. Sankaranathan, dont le fils, T. S. Murugan, dirige aujourd’hui la troupe ; il a mis au point un éclairage scénique moderne, contrôlé par clavier, afin d’attirer de nouveaux publics.
Kerala
On trouve dans cet état du sud-ouest de l’Inde trois genres de marionnettes, le tolpava koothu (tolpava kuthu ; théâtre d’ombres), le pavakathakali (marionnettes à gaine) et nool pavakoothu (marionnettes à fils). Les spectacles se fondent sur les deux grandes épopées et des histoires tirées des Puranas.
Le tolpava koothu est traditionnellement pratiqué dans les communautés Vellala Chetty, Nair et Ganka et par des marionnettistes appelés pulavar (érudit, poète). Les interprètes majeurs développent des idées complexes dans leurs œuvres. Les manuscrits sur feuilles de palme de la version du Râmâyana écrite par le poète tamoul Kambar (Kamban, IXe-XIIIe siècle ?) – le Ramavataram, plus connu sous le nom de Kamba Râmâyana – constituent la base des représentations, qui peuvent durer de 7 à 21 nuits et sont dédiées à Bhadrakali (déesse Durga). La légende veut qu’elle ait été occupée à combattre le démon Darikasura pendant les événements réellement vécus par Râma et qu’elle apprécie, pour cette raison, de voir représenter cette histoire en théâtre d’ombres lors de la fête de son temple. Une scène permanente est installée pour les marionnettes (koothu madam), face à l’image de la déesse et 21 lampes à huile de coco éclairent l’écran. Des rituels au cours desquels sont mis en scène environ 130 marionnettes en peau de cerfs (mesurant 48 à 80 centimètres) inaugurent la représentation. Cinq marionnettistes ou plus sont accompagnés d’une musique percussive et puissante.
K. K. Ramachandra Pulavar (né en 1960), directeur du Mémorial Krishnan Kutty Pulavar – Centre Tolpava Koothu et Marionnette de Koonathara, est issu d’une lignée de marionnettistes et se produit en Inde et dans le monde entier. Son défunt père, K. L. Krishanan Kutty (1926-2000), a reçu le prestigieux prix de la Sangeet Natak Akademi en 1980 pour avoir dédié sa vie à cette forme d’art de la marionnette. Depuis 1979, Ramachandra crée aussi de nouvelles pièces qui abordent des problèmatiques contemporaines.
Le pavakathakali (« kathakali en marionnettes à gaine ») est une forme qu’on trouve aujourd’hui à Irinjalakuda. Ce genre, développé au XVIIIe siècle, se fonde sur les narrations complexes du théâtre dansé classique du kathakali Kerala. On y retrouve les coiffes spectaculaires, les peintures faciales et la musique complexe du théâtre d’acteurs. Les figurines en bois sculpté mesurent 30 à 60 centimètres – leur tête est mue par l’index, leurs bras par le pouce et le majeur. Le marionnettiste est visible et ses yeux traduisent les émotions, tandis que son corps se mêle aux figurines qui dansent. La langue est un mélange de Malayalam et le Telugu. Ces interprètes, issus de la communauté Adhi Pandaram, étaient originaires de l’Andhra Pradesh et étaient spécialistes de la représentation des pujas et des pèlerinages vers le tombeau de Subramanian (un fils de Shiva).
Ce genre pratiquement éteint a été ravivé en 1982 par le Centre de Recherche et Création en Arts Traditionnels Natana Kairali situé à Thrissur, sous la direction de Gopal Venu (né en 1945). La Sangeet Natak Akademi, sous la direction de Kamaladevi Chattopadhyay, a accordé le soutien financier initial pour le lancement du programme de formation à l’art du pavakathakali, comprenant une formation à la musique, la manipulation et la construction de marionnettes. L’art ravivé du pavakathakali est présenté dans l’ensemble du pays et dans des festivals internationaux, notamment en Pologne (1984), au Japon (1986) et en Suisse (1987). En 2010, les artistes K. V. Ramakrishnan et K. C. Ramakrishnan ont été conjointement honorés du prix de la Sangeet Natak Akademi et Ravi Gopalan Nair a reçu le prix Dakshina Chitra Virutha.
Le nool pavakoothu (« danse de poupées à fils ») était restreint à la région de Ernakulam et interprété par les membres de la caste Nair, sous le patronage de la royauté. Les représentations avaient lieu à l’occasion des fêtes de temples à Tripunithra (Thrippunithura) et représentaient les épopées et des histoires folkloriques. Au milieu du XXe siècle, ce genre avait disparu mais il a ensuite été ravivé. Les figurines mesurent 60 à 80 centimètres. Une danseuse jouant avec une balle ouvre la représentation puis suit un dialogue comique entre deux clowns, Koru et Unnaikan.
Le rituel masqué kummatti est une procession à l’occasion de laquelle les interprètes portent des masques représentant Krishna, le dieu Narada, l’Éléphant Ganesh, des chasseurs et des personnages ancestraux (entre autres « la Mère de l’univers »). Ils portent des produits agricoles et, vêtus de jupes faites d’herbes tressées, ils exorcisent le mal en entrant dans les maisons, sur une musique produite par un instrument à cordes (onavillu) dont on joue à l’aide d’un bâton de bambou. La danse du tigre (pulikali) est un autre genre de théâtre corporel / masqué. Les costumes spectaculaires des oracles theyyam, des devins en transe, s’ils ne relèvent pas strictement des arts de la marionnette, entretiennent des liens visuels à la fois avec l’imagerie de la marionnette et du kathakali. C’est également le cas du théâtre dansé et masqué rituel mutiyettu (pratiqué dans les temples de Kali, spécialement lors des manifestations de Kali en Bhadrakali) ainsi que des masques animaux utilisés dans le krishnattam, qui représente le Râmâyana dans une forme de théâtre dansé.
Andhra Pradesh
L’état d’Andhra Pradesh, dont la langue principale est le telugu, se targue de posséder quatre formes de marionnettes traditionnelles : le tolu bommalata (théâtre d’ombres), le koyya bommalata, le keelu bommalata et le sutram bommalata (trois types de marionnettes à fils). Toutes ces formes traditionnelles de marionnettes de l’Andhra Pradesh mettent en scène des épisodes du Râmâyana et du Mahâbhârata.
Le tolu bommalata (« danse de poupée de cuir ») a été introduite au Kerala au XVIIe siècle par des migrants originaires du Maharashtra. S’installant à la frontière de l’Andhra Pradesh et du Karnataka, ils développèrent les formes qui existaient dans les deux états. Les interprètes parlaient en famille un dialecte du Marathi mais utilisaient les langues locales pour les représentations. Les pièces sont des improvisations basées sur la version du Ranganath Râmâyana en télougou, écrite par King Kona Reddi (XIIIe siècle) tandis que les éléments du Mahâbhârata sont tirés des textes du théâtre dansé yakshagana. Les silhouettes colorées et translucides mesurent 1,80 mètre de haut et sont généralement en peau de chèvre. Elles apparaissent de profil à l’exception de la figurine du roi-démon à dix têtes, Râvana. Traditionnellement, les costumes des figurines rappelaient ceux du yakshagana mais dans la pratique plus récente, sont peintes des vestes étroites, des chaussures et des chaussettes. Les mouvements des figurines sont libres au niveau de la tête, du cou, des épaules, des coudes et des hanches. Les marionnettes danseuses (keelu bommalu) ont les pieds cousus séparément. Une tige de bambou centrale est fixée à la tête de la figurine et deux tiges sont attachées à ses mains. L’écran de tissu blanc, de 3 mètres sur 2,4 mètres, est incliné en hauteur en direction du public et environ huit interprètes, hommes et femmes, participent à la représentation. Alors qu’ils chantent, parlent et font danser les personnages, ils frappent sur des planches bois et utilisent les grelots fixés à leurs chevilles pour créer du son. Des percussions (mridangam), un harmonium et des cymbales (talam) produisent la musique. Les représentations ont lieu à l’occasion de la fête de Shivaratri (naissance de Shiva) durant neuf nuits, avec des spectacles pouvant durer jusqu’à huit heures par soir. Les rituels d’ouverture honorent le roi éléphant, Ganesh, et la déesse de l’apprentissage, Saraswati. Ensuite vient le sabha vandanam (salut au public) et le sutradhara introduit le thème. La partie comique est assurée par le personnage de Kethigadu et sa femme Bangarakka (ou Kilekyatha et Bangaraku).
K. Chinna Anjannamma (né en 1957) a reçu en 2010 le prix de la Sangeet Natak Akademi pour sa contribution à cette forme. Chhaya Nataka Brundam est un groupe mené par S. Chidambara Rao, qui est issu d’une lignée de marionnettistes traditionnels. Le Comité Sri Nataraja Nilaya Charmachita Kala Pradarsana est une autre troupe qui a créé de nouvelles pièces, intégrant des questions sociales comme la sensibilisation au virus du SIDA, le planning familial et la déforestation au sein des épopées. Le Théâtre d’Ombres Anjaneyulu, dirigé par Hanumant Rao, met en scène le Sundara Kanda, qui raconte les exploits de Hanuman, à partir de la version du Râmâyana écrite par Tulsidas au XVIe siècle. Les marionnettistes tendent à s’adapter aux besoins des publics contemporains.
L’existence du koyya bommalata (« jeu de poupée de bois ») est attestée depuis le XIIe siècle et ce genre est resté vivace jusqu’au XXe siècle. Les costumes et la musique étaient analogues à ceux du théâtre local yakshagana, présentant les mêmes coiffes colorées et danses acrobatiques. Les histoires représentées étaient tirées des deux grandes épopées, des légendes locales et des contes folkloriques. Les figurines mesurent 1,20 à 1,65 mètre et leurs jupes donnent l’impression d’une taille encore plus grande. Le spectacle est joué sur une scène de 3 mètres formée d’un drap de tissu attaché par deux extrémités. Trente à cent marionnettes peuvent être utilisées pour une représentation.
M. Upplaiah, originaire d’Ammapur, un village du district de Warangal, interprète le Râmâyana, des pièces mythiques et des contes merveilleux comme le Balanagamma Katha (dans lequel la princesse Balanagamma est enlevée et changée en chien pendant son emprisonnement).
Karnataka
Les références les plus anciennes à des marionnettes de cuir dans la région du Karnataka datent des Xe et XIe siècles et l’art des marionnettes à fils y est associé à Basavana (Basava), un poète saint du XIIe siècle. Aux XVe et XVIe siècles, les marionnettes étaient placées sous le patronage des rois Vijayanagara. Les marionnettes à fils et le théâtre d’ombres étaient les formes les plus répandues, tandis que les simples chinni patti – joués avec une marionnette à gaine d’une main et des kartal (cymbales) de l’autre – étaient une forme pratiquée par les guérisseurs.
Le togalu gombeyata (« danse des marionnettes de cuir ») représente les deux grandes épopées (en particulier le Torave Thorave Râmâyana en kannada écrit par Kumaravalmiki au XVe siècle), des histoires tirées des Puranas et des contes traditionnels. Les figurines rappellent les costumes et l’iconographie du théâtre et des arts picturaux traditionnels locaux. Les marionnettes sont de deux types. On trouve les figurines du chikka (petites, 30 cm à 1,2 m) à Mysore, Bellary, Bijapur et Raichur ; elles sont manipulées en position assise. Les figurines du dodda (grandes, 1,8 m) sont présentes aux frontières de l’Andhra Pradesh et sont manipulées debout. Les interprètes sont originaires des tribus Killikyeta (Killikyata ou Killekyata) du Maharashtra et parlent un dialecte du Marathi ; toutefois, ils utilisent le kannada pour les représentations locales. Les spectacles ont lieu sur une scène installée en dehors du village ou dans une cour de temple. Comme en Andhra Pradesh, Ganesh, Saraswati et des personnages comiques (ici, Killikyeta et sa femme Bangarakka) ouvrent la représentation. Le chant, les percussions (mandalam), les cymbales (tala) et les grelots de cheville (gejje) occupent une place prééminente.
Sri Annapurneshwari Leather Puppet Mela, troupe de théâtre d’ombres composée de cinq membres et dirigée par Virupaxappa Kshatrix, qui est issu d’une famille de marionnettistes traditionnels, tourne dans le monde entier. Belagallu Veeranna (né en 1936), issu d’une famille Killikyeta, a formé ses enfants et a également monté une nouvelle création évoquant la vie de Mahatma Gandhi – Bapu – présentée au Inira Gandhi National Centre for the Arts (IGNCA, Centre National des Arts Indira Gandhi) de New Dehli. En 2011, il a reçu le prix de la Sangeet Natak Akademi.
Ramaiah, le fils du fameux marionnettiste T. Hombaiah (1900- ?, titulaire du prix de la Sangeet Natak Akademi en 1995) et K. S. Sanjeevamurthy sont d’autres maîtres notables du théâtre d’ombres traditionnel. Le soutien à cet art est limité.
L’art des marionnettes à fils se décline en trois styles principaux : le style du sud est relié à l’état du Tamil Nadu et recourt à des figurines plus grandes dont les mains sont animées par des tiges ; le style du nord est issu d’une tradition de marionnettes à fils et accorde une importance particulière aux personnages comiques ; un troisième style, celui de la côte, est très proche du théâtre yakshagana de cette région.
Les noms peuvent varier d’une région à l’autre. Le sutrada gombeyata (« danse de marionnettes à fils ») se concentre dans le sud ; il est affilié aux traditions tamoules. Gombeyata est le nom répandu dans les régions du nord. Yakshagana gombeyata (« yakshagana en marionnettes à fils ») est le nom donné à cet art dans les régions côtières ; celui-ci reprend des éléments du nord et du sud. Les représentations reflètent les variations régionales du théâtre dansé yakshagana, au niveau des costumes, des mouvements et de la musique. Les thèmes abordés sont tirés des grandes épopées et des Puranas et modulés sous l’influence du shivaïsme et du vishnouisme. Les marionnettes en bois sculpté mesurent jusqu’à un mètre de haut et pèsent jusqu’à 8 kilogrammes. Les marionnettes du sud n’ont pas de jambes : une jupe dissimule la partie basse du corps. Dans le nord, les jambes peuvent être visibles et la danse complexe réalisée par les marionnettes fait voir le mouvement de leurs pieds. Six fils relient les oreilles, les mains et les genoux de la figurine à trois bâtons de contrôle en bois. Les marionnettistes parlent pour leurs figurines et un narrateur-chanteur (bhagvathar) joue des cymbales (tala), accompagné d’autres musiciens jouant des percussions maddale et chende, de l’harmonium et du hautbois (mukhaveene). Un castelet doté d’une scène de jeu de 1,8 x 1,2 x 0,75 m est généralement installé à l’extérieur d’un temple. Le salaki gombeyata (ou gombeyata à tiges), selon les traditions tamoules, recourt à une manipulation à fils et à tiges : un cercle de fer placé sur la tête de l’interprète est relié à la marionnette par des fils et des tiges sont fixées aux mains de la figurine afin de mettre celles-ci en mouvement. Le marionnettiste pousse la marionnette avec ses genoux pour l’animer de plus amples mouvements.
La troupe de yakshagana gombeyata, Sri Ganesha Yakshagana Gombeyata Mandali, est dirigée par le metteur en scène Bhaskar Kogga Kamath, fils de Kogga Kamath (1921-2003). Ce dernier, titulaire en 1979 du prix de la Sangeet Natak Akademi, revendiquait un lignage vieux de 350 ans et pratiquait un art de la marionnette dans le style côtier du yakshagana. K. V. Ramesh, diplômé de l’Université de Calicut, s’est formé auprès de feu Parthi Subba et monte des spectacles de marionnettes à fils en kannada, malayalam et toulou. Sri Gopalkrishna Yakshagana Bombeyata Sangha à Kasaragod est passé de l’utilisation de marionnettes à fils à des marionnettes à tiges. M. R. Ranganatha Rao (né en 1932) est un artiste polyvalent, metteur en scène, constructeur, chanteur, compositeur, auteur et pédagogue, installé à Bangalore. Il a été formé au yakshagana bommalata traditionnel par son grand-père. Les Garuda Bommai (marionnettes habitées) de Rao mesurent 2,1 mètres et sont utilisées pendant le ratha yatra (festival des chars) dans les temples d’Inde du sud. Il monte des œuvres novatrices ou traditionnelles avec son groupe, Ragaputhali, qui se produit à travers l’Inde et à l’international. Ranganatha Rao a reçu le prix de la Sangeet Natak Akademi en 1981. Une troupe de 15 membres, Puthali Kalaranga, est spécialisée dans la marionnette bommalata traditionnelle. Ces praticiens, des jeunes de Bangalore, utilisent des techniques modernes mais développent des thèmes traditionnels, sous la direction de Dattatreya Aralikatte, qui supervise également Purana Kathamala, une émission de télévision en kannada, tamoul et télougou. B. H. Puttaswamachar (1924-?) a été titulaire en 1999 du prix de la Sangeet Natak Akademi pour sa paratique du sutrada gombeyata.
Maharashtra
La région de Paithan a été un pôle culturel majeur pour la peinture et la tradition qui lui est liée du chitrakathi ou récit en images, dans laquelle l’interprète commente une succession d’images. L’art de la marionnette dans cette région est appelé chitren dekhavane (présentation d’images) et les peintres / constructeurs de marionnettes / narrateurs / marionnettistes sont issus des mêmes familles. Dans les régions de Gudiwadi, Pinguli et Ratnagiri, à proximité des frontières du Goa, existent deux formes de marionnettes.
Le chamdyacha bahulya (chamadyacha bahulyla ; « marionnettes de cuir ») est pratiqué par la communauté Thakar. Il est dit que le kithli bhavali khel (« jeu de marionnettes en bois et tissu d’écorces ») aurait été le précurseur des figurines de théâtre d’ombres en cuir.
Le kalasutri bahulya (marionnettes à fils) présente des éléments du Râmâyana. Le chanteur, accompagné de musiciens jouant des percussions (tabla), d’un instrument à cordes à effet de bourdon (tuntune), des cymbales et de la conque sont assis face à la scène. Une invocation à Ganesh ouvre la représentation. Les petites figurines portent des jupes qui créent l’illusion du bas du corps. Trois fils relient la tête et les deux mains de la marionnette à un contrôle tenu à la main par le manipulateur. Les interprètes présentent les mêmes histoires dans les formes de récits en image.
Ganpat Sakharam Masge (né en 1958), originaire du village de Pinguli dans la région de Sindhudurg, est actuellement le principal représentant du kalasutri bahulya. Il travaille avec son groupe de musiciens, manipule les marionnettes, assure le rôle de narrateur principal et dirige la troupe. Il a été honoré du prix de la Sangeet Natak Akademi par le gouvernement indien en 2005.
Rajasthan
Le kathputli ka khel (« jeu de marionnette en bois ») est la forme de marionnette à fils du Rajasthan, dans le nord-ouest de l’Inde. Le style de jeu est lié à des traditions d’arts de la marionnette et de divertissement populaire du nord-ouest de l’Inde et d’Iran. Les interprètes portent le nom de nats ou bhats et présentent leurs pièces pendant la saison sèche puis s’en retournent aux travaux agricoles après les pluies. Les marionnettistes revendiquent l’origine divine de leur art et affirment qu’ils sont des descendants des interprètes ayant travaillé sous le patronage de Maharaja Vikramaditya (Ier siècle avant notre ère) dans la ville de Ujjain : les bhats ont vu les trente-deux (batai pachisi) images sculptées dans son trône et qui représentaient ses grandes œuvres, ils s’en sont inspirés pour construire leurs figurines et raconter ses exploits – le Simhasana Dwatrimshika (les Trente-deux Contes du Trône). Des formes similaires à celles du Rajasthan sont également repérables dans des régions de l’état voisin du Gujarat.
Les kathputli mesurent 60 centimètres. Le corps des marionnettes est fait d’un bourrage de chiffons et des jupes donnent l’illusion du bas du corps de la plupart des figurines : elles sont vêtues de façon très colorée de robes d’un style médiéval rajasthani. Les figurines étaient autrefois construites par des artisans des régions de Sawai-Madhopur, Basi et Udaipur mais elles sont aujourd’hui fabriquées par les marionnettistes eux-mêmes. Les marionnettes partagent des traits iconographiques avec les phad locaux ou rouleaux peints (1,5 x 5 mètres) qui présentent des récits en images (bhopa) ; ceux-ci évoquent le héros divinisé Pabuji (un roi Rajput du XIVe siècle) ou Dev Nayan (une nouvelle incarnation de Vishnou).
Deux lits de cordes sont utilisés pour dresser le castelet ; ils sont couverts de tissus brodés et richement colorés formant une arche qui permet de figurer un palace. La plupart des figurines sont traversées d’un long fil reliant le dos et la tête et qui forme une boucle autour des doigts du manipulateur. La danseuse (Anarkali) possède jusqu’à quatre fils de façon à pouvoir réaliser de plus nombreux mouvements. Le marionnettiste porte un bracelet de grelots (ghungroos) et utilise un morceau de bambou fendu (boli) pour produire la voix des marionnettes. Le percussionniste (qui joue du dholak) dialogue avec les marionnettes et traduit leur langue. Des échanges comiques et les chants de l’interprète féminine rythment la représentation. Les spectacles s’articulent par séquences autour de démonstrations d’acrobates, de danseurs, de charmeurs de serpents, de percussionnistes de Khabar Khan, de cavaliers et d’un bahurupia (un imposteur à deux têtes – d’homme et de femme – dont l’une est dissimulée sous la jupe jusqu’à ce que la marionnette soit retournée). Le héros éponyme de l’œuvre présentée est Amar Singh Rathore, en référence au souverain de Nagaur ayant vécu au XVIIe siècle. Il est appelé à la cour de Badash (dont certains pensent qu’il serait le roi mongol Akbar ou l’empereur Shah Jahan). Deux communautés, hindoue et musulmane, se distinguent visuellement à travers les barbes et les costumes. Entre autres histoires, on relève Hirni Aur Shikari (shikari signifie « chasseur ») et Ruthi Rajkumari (Princesse Ruthi, une guerrière Rajput).
Les interprètes de la communauté bhat se situent traditionnellement en bas de l’échelle sociale et très peu ont opéré avec succès la transition vers l’interprétation moderne. Une exception notable est celle de Puran Bhatt (né en 1952 ?), issu d’une famille de marionnettistes traditionnelle et qui a fondé le groupe Aakar (silhouette) en 1991 à la colonie Kathputli de Shadipur Depot à Dehli. La troupe effectue des tournées nationales et internationales et se produit dans des écoles et à la télévision. Aakar crée des spectacles à visée sociale et explore les différentes techniques de marionnettes à tiges, à fils, théâtre d’ombres, « théâtre noir » et masques. La pièce contemporaine de Puran Bhatt intitulée Carvaan relate l’histoire légendaire d’interprètes de kathputli. L’artiste a reçu en 2003 le prix de la Sangeet Natak Akademi. Un autre récipiendaire de ce prix originaire du Rajasthan est Naurang Bhat (1937-2007), qui a reçu cette distinction en 2006 pour la construction de marionnettes kathputli.
Uttar Pradesh
Le gulabo-sitabo est une forme traditionnelle de marionnettes à gaine simple qui daterait du XVIIe siècle et qui est jouée en extérieur dans la région de Lucknow. Ses représentations sont aujourd’hui devenues très rares. Les héroïnes éponymes en sont deux femmes qui ont le même époux. Gulabo domine et Sitabo est dominée. Les dialogues humoristiques, chansons et combats occupent une place prépondérante. Les marionnettes mesurent 60 centimètres, leurs têtes et leurs mains étaient autrefois construites en bois sculpté et peint mais elles sont aujourd’hui fabriquées en papier mâché. Les figurines portent des grelots aux chevilles. Les costumes reprennent les tenues et bijoux traditionnels féminins. Un manipulateur improvise le dialogue, accompagné de musiciens qui jouent des percussions (dholak) et des cymbales (manjira).
Orissa (Odisha)
Les thèmes vishnouites en langue oriya constituent la majeure partie du répertoire traditionnel de cet état de l’est de l’Inde. La jeunesse de Krishna et les exploits de Râma – tels que racontés dans le Srimadbhagwat (Contes éternels du Seigneur), le Gita Govinda (Chanson d’amour du Seigneur Ténébreux, écrit par Jayadeva au XIIe siècle), les Puranas et l’Oriya Râmâyana – fournissent les thèmes des danses et chansons des marionnettes. On trouve dans la région d’Orissa des formes de théâtre d’ombres, de marionnettes à fils, à gaines et à tiges.
Le râvanachhaya (« ombre de Râvana ») est la forme de théâtre d’ombres oriya. Populaire à la fin du XIXe siècle dans les régions de Anugul (Angul) et Dhenkanal, cette forme n’est plus présente aujourd’hui qu’Anugul, dans la région d’Odasa. Le Râmâyana dans la version du poète Vishvanath Khuntia (XVIIe siècle) en constitue la base narrative. Les interprètes appartiennent à la communauté bhat et revendiquent le fait que leurs ancêtres ont acquis leurs terres grâce aux dons des rajas du Pallahara. Le genre tire son nom de Râvana, le roi démon, car une croyance veut que Râma, étant un dieu, ne projette aucune ombre. La plupart des silhouettes sont faites de cuir opaque de chèvre ou de mouton mais les personnages divins sont fabriqués en cuir de chevreuil et les démons en peau de cerf. L’ornement reste simple pour les petites figurines (20 à 60 centimètres), non-articulées mais expressives. Les personnages importants se présentent sous différentes tailles et formes – ce qui permet que le singe Hanuman devienne de plus en plus petit lorsqu’il s’éloigne en volant. Des silhouettes d’arbres, montagnes et chariots permettent de construire des images denses à l’écran. Un écran blanc est tendu entre deux bâtons de bambou et des nattes de paille dissimulent l’espace où sont assis au sol les interprètes. Un rituel accompagne l’allumage de la lampe, Ganesh apparaît, le barbier du village et son fils y apportent un contrepoint comique. Les musiciens sont assis face à l’écran avec leurs percussions (khanjani), castagnettes (daskathi) et cymbales (kubuji).
Kathinanda Das (1909-1987) a été le premier maître de marionnettes à bénéficier d’une reconnaissance nationale pour sa contribution à l’art indien du râvanachhaya, se voyant décerner en 1978 un prix de la Sangeet Natak Akademi. Par la suite, son élève Kolhacharan Sahu (né en 1936), aujourd’hui directeur de l’institut Ravan Chhaya Natya Sansad en Orissa, a également été honoré en 1998 d’un prix de la Sangeet Natak Akademi. Leur compagnie de râvanachhaya a mis au point une nouvelle série de marionnettes, sur le modèle des patas, rouleaux peints, traditionnels de la région.
Le gopalila kundhei (« jeu de marionnettes des éleveurs ») est un genre de marionnettes à fils en voie de disparation, qui narre les tours joués aux éleveurs de vaches (gopa / gopi) par le jeune Krishna ainsi que l’amour de ce dernier pour Radha. Les récits sont tirés du Srimadbhagwat et de chants poétiques oriya, en particulier le Mathura Mangal de Bhakta Charan Das (1729-1813), adaptés à des airs folkloriques. Les marionnettes de bois sculpté mesurent 50 centimètres. Les traits du visage y sont peints ainsi que la poitrine et les bras qui sont décorés de motifs de textiles, bijoux et autres ornements. Les jupes et écharpes sont faites de tissus ajoutés. Trois fils relient la tête et les poignets de la marionnette à un contrôle. L’arrière-plan traditionnel est fait d’un rideau de plumes de paon. Le groupe de cinq interprètes itinérants comprend des chanteurs-narrateurs et des musiciens jouant des percussions (dholak) et des cymbales. Ils se déplacent traditionnellement de village en village.
Le sakhi kundhei (« poupée amie ») est une forme traditionnelle de marionnettes à gaine pratiquée par les castes Ahir Kelas des régions de Cuttack, Kendrapada et Dhenkanal. Les interprètes parlent un mélange de bengali et d’oriya. Les histoires de Radha et Krishna sont tirées de textes tels que le Vastraharan, Radha Krishna Milan et Navkeli, un poème de Banmali Das (XVIIe siècle). Les marionnettes qui apparaissent systématiquement sont celles de Radha et Krishna mais Kalita et Vishakha (les amis sakhi de Radha) viennent parfois s’y ajouter. La tête et le torse des marionnettes sont faits de bois, leur costume fait écho au style du jatra (théâtre populaire). Radha porte sous sa jupe des grelots, qui tintent lorsqu’elle bouge. Les marionnettistes itinérants s’asseoient sur une natte parmi les spectateurs. L’interprète pose ses percussions (dolak) sur ses genoux et manipule les marionnettes.
Le kathi kundhei nacha (« danse de marionnette à tiges de bois ») est une reconstitution récente d’une forme ancienne. Les histoires en sont extraites des deux grandes épopées et des Puranas et les représentations commencent par une invocation (stuti) et l’introduction du sutradhara. Les marionnettes mesurent 60 centimètres, elles sont sculptées et peintes et leurs costumes sont réalisés dans le style du jatra. Des fils qui traversent l’intérieur du buste de la marionnette sont tirés pour mettre en mouvement ses bras. Les marionnettistes sont assis au sol derrière un écran. Les musiciens jouent des percussions, des cymbales et des instruments à anche de roseau tandis que plusieurs personnes manipulent les marionnettes.
Maguni Charan Kuanr (né en 1937) a reçu en 2004 le prix de la Sangeet Natak Akademi. Il est actuellement le plus célèbre praticien de kathi kundhei nacha. Cette forme traditionnelle de marionnettes lui a été enseignée au sein de la communauté Jhara de son village, dans la région de Keonjhar, en Orissa. Depuis de nombreuses années, il improvise sur cette forme avec sa compagnie, Utkala Biswakarma Kalakunja. La troupe aborde des problématiques modernes tout en montant des œuvres du répertoire traditionnel basées sur le Râmâyana et d’autres sources mythiques. Toutefois, l’artiste remarque : « Malheureusement, cette forme d’art est en attente de marionnettistes passionnés qui parviendront à la sauver à l’âge de la télévision et du cinéma. »
Bengale-Occidental
L’essor des cérémonies de dévotion dédiées à Vishnou au cours du XVIe siècle au Bengale a vu naître des formes spectaculaires convoquant humains et marionnettes et restées populaires durant plusieurs siècles. De nos jours, toutefois, les arts de la marionnette sont plus attirés par le répertoire du jatra, un genre urbain, populaire et mélodramatique de théâtre musical, plutôt que par les grandes épopées et les Puranas. Les formes traditionnelles régionales comptent des marionnettes à fils, à tiges et à gaine.
Le tarer putul nach (marionnettes à fils), également connu sous le nom de sutor putul, était à l’origine basé sur les épopées et les Puranas mais sa matière narrative s’inspire à présent du jatra et des films populaires. Les costumes, la musique et les dialogues imitent ces sources. Les marionnettes mesurent 60 à 80 centimètres et sont fabriquées en essence de shola (une plante du Bengale, d’aspect laiteux, blanche et spongieuse). Les fils sont reliés à un bâton de contrôle en bambou tenu par le marionnettiste. Les marionnettes sont articulées au niveau des coudes et les interprètes peuvent en manier jusqu’à deux en même temps. Les compagnies de marionnettistes itinérants transportent jusqu’à quarante marionnettes ainsi que leur castelet à fonds peints. Un prélude dansé est suivi d’une chanson interprétée par un personnage qui ouvre le spectacle. Le narrateur parle pour les personnages, accompagnés de percussions (tabla), harmonium, clarinette, violon et cymbales.
La compagnie Dhiren Natya Putul Nach, installée au Bengale-Occidental, est dirigée par Krishna Pada Sardar, fils du fondateur du groupe. Sardar travaille à l’adaptation de la tradition au public contemporain. La compagnie possède un répertoire de cinquante pièces.
Le danger putul nach (« danse de marionnette à tiges ») recourt à des marionnettes qui mesurent jusqu’à 1,25 mètre et pèsent 5 à 10 kilogrammes. Leur corps sont faits de bois sculpté et leurs visages sont moulés dans du tissu imbibé d’argile. Une tige traversant le corps maintient les bras et la tête. L’impression du bas du corps est créée par la jupe en tissu de la marionnette. La tige centrale est attachée à un kere (un récipient en bambou) fixée à la ceinture de l’interprète. Une tige plus courte permet la manipulation de la tête. Des fils à l’intérieur du torse relient les bras aux épaules et permettent de les mettre en mouvement. Le style pictural rappelle celui des rouleaux peints (pata) traditionnels de cette région. Les costumes peuvent inclure des vestes en velours et des coiffes ornées de fils d’argent et d’or. Le répertoire narratif reprend les grandes épopées, le jatra, des contes folkloriques et des scénarios de films bengalis. Les représentations, qui durent trois heures accordent une place prééminente au chant lyrique, aux gestes amples et à un dialogue de style déclamatoire. Le castelet est fait de tiges de bambous recouvertes de tissu : les interprètes sont cachés lorsqu’ils manipulent les figurines par en-dessous. Les décors peints représentent des scènes de cour, des forêts, etc…. Un chanteur et des musiciens jouant des percussions (khol et nagara), de l’harmonium et des cymbales accompagnent la représentation.
Jadunath Haldar Putul Natch Opera (dirigé par Jagadish Chandra Haldar) est le plus ancien groupe de marionnettes à tiges encore en activité au Bengale-Occidental ; il monte des histoires tirées des épopées et des Puranas et des contes animaliers du Panchatantra, et travaille sur des problématiques sociales. La compagnie a participé au Festival de l’Inde en URSS et à des festivals nationaux en Inde. Satya Narayan Putul Natya Sanstha, au Bengale-Occidental, a été créé par feu Kangal Chandra Mondal dans les années quatre-vingt. Son directeur actuel Nirapada Mondal a participé à des ateliers de marionnettes contemporaines, il a étudié auprès d’un metteur en scène moderne de marionnettes bengalis Suresh Dutta et a créé Raja Harish Chandra (le Roi Harish Chandra) et d’autres œuvres innovantes dont le conte écologiste Arannyer Rodan (Les pleurs de la forêt) : alors que des personnages diaboliques menaçent l’environnement, les animaux décident de s’unir pour sauver la planète. Prafulla Karmakar (né en 1939), dont les spectacles se fondent largement sur le Râmâyana et le Mahâbhârata, a reçu en 2012 le prix de la Sangeet Natak Akademi pour sa contribution de toute une vie à l’art du danger putul nach.
Le benir putul (bener putul : marionnette à gaine) est interprété par un ou deux manipulateurs qui voyagent de village en village. Il met en scène traditionnellement un homme et une femme qui se querellent continuellement. Les têtes des figurines sont en terre cuite et leur bras sont en bois. Des grelots sont attachés à leurs hanches. L’interprète de benir putul Basanto Ghoroi, originaire de Midnapore, au Bengale-Occidental, raconte que les membres de sa famille, qui étaient ouvriers, emportaient leurs marionnettes lorsqu’ils voyageaient, afin d’augmenter leurs revenus. Basanto et sa famille vivent aujourd’hui de l’art de la marionnette et présentent leurs pièces folkloriques et éducatives à la fois en faisant du porte à porte et dans des centres culturels et des écoles. Ils construisent et vendent également des marionnettes. Ramapada Ghoroi est un interprète traditionnel de benir putul qui a émigré de Kolkata (Calcutta). Sa famille pratique cet art depuis plus de 80 ans. Son répertoire se fonde sur les grandes épopées qu’il ponctue de touches locales et actuelles afin de s’adapter aux différents publics, par l’ajout de nouveaux rôles féminins ou de références à Bollywood dans les paroles de ses chansons.
D’autres formes connexes existent au Bengale-Occidental comme les danses masquées du chhau ou les récits sur rouleaux peints – des peintres contemporains, au Bengale, créent des rouleaux à partir de thèmes aussi bien traditionnels qu’actuels, tels que l’assassinat d’Indira Gandhi ou les événements du 11 septembre.
Tripura
Les marionnettes à fils du putul nach sont présentes dans l’état de Tripura. Le principal représentant de cet art y est Gopal Chandra Das (né en 1943), qui a été formé par son père dans la région qui correspond aujourd’hui au Bangladesh (Bengal-oriental). Il s’est installé dans le Tripura en 1990 et présente ses spectacles dans les régions du nord-est de l’Inde. Il a reçu en 2011 un prix de la Sangeet Natak Akademi.
Assam
Les arts de la marionnette de la région de Assam reflètent l’héritage artistique du saint poète et réformateur social du XVIe siècle, Shankardeva, qui a développé le bhaona, théâtre traditionnel local, afin de diffuser le vishnouisme. Les arts de la marionnette, comme les autres types de théâtre, avaient vocation à présenter des matériaux religieux. La littérature ancienne fait référence à l’art de la marionnette à travers le nom de tatak et à ses interprètes sous le nom de tatakiya ou bajikar, qui animaient des figurines par le biais de dispositifs mécaniques. Le Bhagavata Purana du XVIe siècle évoque le kashtamaya et le daru putula – des formes traditionnelles de marionnettes en bois et de théâtre d’ombres aujourd’hui disparus. Seul subsiste encore l’art de la marionnette à fils.
Le putula nach (« danse de poupée »), également appelé putul nach, putula nach, putula bhaona ou putala bhaoriya, connaît des variations d’une région à l’autre. Dans la région de Kamrup, la filiation du bati putula remonte parfois aux trente-deux marionnettes / exploits de Raja Vikramaditya précédemment mentionnés ainsi qu’au patronage des bhat de Ujjain. Dans le haut Assam, dans l’enclave religieuse de Nutan Kamalabari Sattra située sur l’île Majuli, des néophytes présentaient des spectacles de marionnettes tels qu’ils leur avaient été enseignés par des marionnettistes de passage autour de 1930. Le modèle de ce genre est le théâtre traditionnel bhaona, dont s’inspirent les costumes, les musiciens et le sutradhara. Le matériau narratif le plus courant est le Râmâyana, quoique certains textes soient tirés du Mahâbhârata. De nos jours, les thèmes du planning familial ou des problèmes écologiques peuvent également y être abordés. Les marionnettes mesurent 45 à 90 centimètres. Elles sont, le plus souvent, faites de morceaux de bambou, couverts de tissu enduit d’argile, avec des articulations au niveau du cou, des épaules et parfois des coudes. Généralement, les figurines ne possèdent pas de jambes et sont vêtues d’une jupe. Parmi elles, on compte quelques démons au cou extensible et des montures animales. Trois à quatre fils sont reliés soit à un contrôle en bambou soit directement aux doigts de l’interprète. Le castelet, doté d’une ouverture scénique de 1 mètre, est couvert de tissu sur trois côtés et les interprètes manipulent les figurines depuis l’arrière. Les joueurs de percussions (khol) et cymbales (tal) se placent devant le castelet et ouvrent la représentation avec une invocation (vadana) et des chants. Ensuite, viennent les personnages comiques de Kalu et Bhelu, qui balaient le sol avec une grande solennité. Chenga ou Mastor est un autre personnage qui commente avec humour l’action qui se joue en direct. Le marionnettiste principal utilise un instrument semblable à un sifflet-pratique.
Le groupe Mohakhali Putala Nach de Nalbari, créé en 1885 et aujourd’hui dirigé par Banikanta Dev Burman, est une très ancienne compagnie de marionnettes à fils de la région d’Assam. Le Théâtre de Marionnettes Rupi de Kamrup, dirigé par Abani Sharma, est une autre compagnie traditionnelle de putul nach actuellement en activité.
Manipur
Le laithibi jagoi (laithibi jagol ; « danse de poupée ») est le genre traditionnel de marionnettes à fils de la région de Manipur. Y sont développés des thèmes vaishnava, en particulier les histoires de Radha Krishna relatée dans Rasleela (jeu de Krishna) et les représentations s’accompagnent de musique locale produite par des percussions (mridanga) et khon-pung. Il est dit que cet art serait apparu au cours du règne du Maharaja Chandrakirti Singh (qui régna de 1850 à 1886). Uddhab Singh (1890-1961) fut un interprète notable de laithibi jagoi et la troupe que formaient Brajomohan Sharma et sa famille eut également son importance au début du XXe siècle. Les représentations se jouent sur une scène de 3 mètres de haut et constituent souvent des interludes au sein de spectacles de danse.
Autres régions d’Inde
Dans les régions de Sikkim, du Cachemire et de l’Himachal Pradesh, ainsi que dans d’autres régions proches de l’Himalaya, on rencontre des usages du masque et parfois des recours à la marotte, le cheval-jupon ou à d’autres types de marionnettes dans les spectacles présentés par des groupes d’influence tibétaine, dans les spectacles de masques ’cham (ch’am ou chham) ou le théâtre dansé lhamo. Ces pratiques contribuent à la richesse du théâtre avec objets traditionnel indien. Les marionnettistes nomades ont jadis migré autour des régions situées au nord du sous-continent et probablement vers des régions qui appartiennent aujourd’hui au Pakistan, à l’Afghanistan et à l’Iran. L’hindouisme, à travers son amour pour les représentations iconographiques de manifestations aussi bien divines que démoniaques, a impulsé une riche tradition sculpturale. Les figurines, une fois fabriquées, étaient parfois mises en mouvement dans des processions, à l’occasion des Festivals des chars, ce qui d’une certaine façon renvoie à une forme d’art de la marionnette. C’était le cas, par exemple, lorsque le ratha yatra de Jagannath (« Maître de l’Univers ») et deux autres divinités étaient déplacés d’un temple d’Orissa à un autre, sur trois énormes chars tirés par les fidèles.
Les représentations visuelles ont, par ailleurs, cette capacité à rendre manifestes des pouvoirs invisibles. Les bouddhistes, jaïnistes, hindouïstes et même aujourd’hui les prédicateurs modernes de la sensibilisation au SIDA se sont longtemps tournés vers le recours aux marionnettes. Celles-ci sont capables d’animer les esprits et les cœurs à travers la danse des ombres et des silhouettes.
La marionnette indienne moderne
Depuis l’indépendance de l’Inde, il existe une scène indienne contemporaine. Les échanges avec d’autres pays, d’Europe, d’Asie ou d’Amérique ont marqué le théâtre de marionnettes urbain. De nouvelles formes et de nouvelles techniques artistiques ont fait leur apparition et les créateurs indiens contemporains, s’appuient non seulement sur des techniques centenaires pour renouveler le champ des ombres ou des marionnettes, mais introduisent aussi des styles découverts à l’étranger. Ne provenant plus des communautés rurales, exposées depuis longtemps à l’influence de la littérature indienne et mondiale modernes, ainsi qu’aux arts visuels et aux arts du spectacle, plusieurs artistes sont à l’origine de ce renouvellement.
À Calcutta, dans les années 1950, Raghunath Goswami (1931-1995) réalisa les premières expériences en utilisant divers types de marionnettes avec son Putulpuri Studio (devenu The Puppets, Les marionnettes). À Bombay, Madhulal Master fonda l’Indian Institute of Puppet (Institut indien de la marionnette) avec lequel il monta des spectacles de grandes marionnettes à tiges (qu’il fit même manipuler par des aveugles) mêlées à des marionnettes à fils. À Udaipur, Devilal Samar fonda le centre Bharathya Lok Kala Mandal réunissant musée, école et théâtre de marionnettes. À Ahmedabad, Meher Rustom Contractor (1918-1992), formée à Londres, joua un rôle essentiel à l’école Shreyas et à la Darpana Academy of the Performing Arts (Académie Darpana des arts du spectacle) d’Ahmedabad (1957) dont elle dirigeait la section marionnettes. Cette inspiratrice de poèmes visuels modernes utilisait plusieurs techniques de manipulation et styles de théâtre d’ombres: elle sut concilier les traditions occidentales et indiennes.
La venue en Inde de marionnettistes comme Bil Baird, de troupes soviétiques, du théâtre Ţăndărică de Roumanie, des Tintookies australiens, du Marionnetteatern de Stockholm (voir Michael Meschke), entre autres, éveilla l’intérêt des jeunes marionnetistes indiens et du public, ce qui conduisit à des voyages d’études et des travaux de recherche, fondements de l’idiome moderne utilisé aujourd’hui.
En 1960-1961, quatre marionnettistes indiens, Suresh Dutta (né en 1934), R.N. Shukla Rahi, Dilip Chatterjee et B. Sahai, étudièrent pendant un an au Théâtre Central de Marionnettes de Moscou sous la direction de Sergueï Obraztsov (voir Gosudarstvenny Akademichesky Tsentralny Teatr Kukol imeni S.V. Obraztsova). De retour en Inde, Suresh Dutta fonda le Calcutta Puppet Theatre (Théâtre de marionnettes de Calcutta) où fut formée toute une génération de marionnettistes dans le style épique russe des marionnettes à tiges. Ainsi Calcutta, où œuvrait déjà le groupe de Ragunath Goswami, devint un centre de développement pour le théâtre de marionnettes professionnel moderne. Cette « école » indienne respectait la créativité individuelle du manipulateur tout en privilégiant des thèmes liés aux problèmes politiques, économiques, sociaux et artistiques de l’Inde moderne.
Un rôle pionnier après l’indépendance fut joué également par Kamaladevi Chattopadhyay (1903-1988) dans l’étude, la conservation et la promotion des arts et de l’artisanat populaires. À la tête de la Sangeet Natak Akademi (SNA), elle s’intéressa particulièrement à la marionnette et fut, par exemple, à l’origine de la résurrection du pavakathakali (marionnettes à gaine du Kerala ; voir Sangeet Natak Akademi Awards pour la marionnette). Un autre soutien important vint de Mme Kapila Vatsayan (née en 1928), chercheur dans le domaine de la danse, du théâtre et des arts visuels qui exerça des responsabilités dans la politique culturelle, en Inde et à l’Unesco. Elle fut la directrice et fondatrice de l’Indira Gandhi National Centre for the Arts (IGNCA) et elle contribua à promouvoir la création d’expositions, la recherche et la formation dans le domaine de la marionnette ainsi que dans d’autres domaines (voir Recherches historiques).
Aujourd’hui, on trouve des marionnettistes modernes au Bengale, à Delhi, à Ahmedabad, à Hyderabad, à Calcutta (Kolkata), au Kerala, au Tamil Nadu. Ils travaillent aussi bien dans le secteur éducatif que pour le grand public, surtout préoccupés de représenter la vie réelle et ses situations.
Ranjana Pandey et son groupe Jan Madhyam (fondé en 1980 à Delhi) se concentrent sur des thèmes liés aux besoins des femmes et des enfants. Ratnamal Nori de Nori Arts and Puppet Centre (fondé en 1987 à Hyderabad) traite de l’éducation et du changement social. Sudip Gupta et Calcutta Puppet Theatre (fondé en 1990), influencés par les idéologies de gauche, mettent en évidence les inégalités sociales et les aspirations de l’homme de la rue.
À Delhi, des marionnettistes proposent des spectacles de plus amples dimensions. Les principaux sont : Dadi Pudumjee, qui se forma auprès de Meher Contractor et travailla en Suède avec Michael Meschke, avant de créer le premier répertoire de la marionnette indienne contemporaine, le Sutradhar Puppet Theatre (1980, plus tard renommé Shri Ram Centre Puppet Repertory) au Shri Ram Centre for Art and Culture de New Delhi, et désormais, depuis 1986, la compagnie Ishara et a dirigé le Ishara Puppet Theatre Trust ; Puran Bhatt qui mêle les traditions et le contemporain (voir Sangeet Natak Akademi Awards pour la marionnette) ; Kapil Dev, animateur du Salaam Baalak Trust (SBT, fondé en 1988), organisation non gouvernementale et compagnie de marionnettes travaillant avec et pour les enfants des rues ; Anurupa Roy (née en 1977), conteuse, qui aborde les thèmes de la condition féminine, de la guerre et de la paix, et dirige le Katkatha Puppet Arts Trust créé en 1997. Elle a reçu le Prix de la Jeunesse Ustad Bismillah Khan Yuva Puraskar en 2006.
À Ahmedabad, Mansingh Zala poursuit la tradition, avec son groupe Meher (en hommage à Meher Contractor), de même que Mahipat Kavi, qui travailla aussi avec Meher Contractor et dont les marionnettes à gaine et à tiges utilisent le folklore du Gujarat.
À Calcutta (Kolkata), Hiren Bhattacharya (né en1926) de Peoples Puppet Theatre (créé en 1977) travaille sur des thèmes lies à la justice sociale (voir Sangeet Natak Akademi Awards pour la marionnette).
Ces marionnettistes contemporains sont en train de créer de nouvelles traditions dans un pays pétri de tradition. Contre toute vraisemblance, ils parviennent à survivre, effectuant une synthèse du passé et du présent. Ils s’imprègnent de ce qu’ils trouvent autour d’eux : couleurs, formes, histoires, certains que la marionnette, comme la vie, n’est pas coupée du monde et qu’elle requiert le souffle du sutradhar, le narrateur, « celui qui tient les fils ».
La reconnaissance du gouvernement pour le travail des marionnettistes contemporains a été largement renforcée et de façon exemplaire par la Sangeet Natak Akademi Awards par Meher Contractor (1983), Suresh Dutta (1987), Dadi Pudumjee (1992), Hiren Bhattacharya (2001), and Mahipat Kavi (2011). De plus, Suresh Dutta (en 2009) et Dadi Pudumjee (en 2011) ont reçu du Président de la République indienne, au nom du Gouvermenet de l’Inde, le Padmashree, quatriéme plus haute distinction civile de la nation pour leur contribution au théâtre de marionnettes indien.
Des marionnettistes ont fondé l’UNIMA-India en 1986 et ont activement contribué à l’UNIMA International, en incluant l’action de Dadi Pudumjee et son élection comme président de l’ UNIMA International en 2008. Meher Contractor et Kamaladevi Chattopadhyay ont tous les deux été nommés Membres d’Honneur de l’UNIMA.
De leur côté, les étrangers manifestent un intérêt profond pour les expressions indiennes. Leur fascination vient à la fois de la force des récits mythiques et de la forme artistique. Ne se contentant pas de les étudier, ils s’en inspirent souvent dans leurs propres créations. Michael Meschke en Suède et Massimo Schuster en France, prenant l’un le thème du Râmâyana et l’autre celui du Mahâbhârata, ont donné naissance à des spectacles non indiens aussi forts que séduisants par leur esthétique syncrétique. Michael Schuster du Train Theater en Israël, a monté des spectacles de kathputli et Monkey King (un conte jataka sur la vie antérieure de Bouddha).
(Voir aussi Arjuna, Draupadî, Sangeet Natak Akademi Awards pour la marionnette, Sîtâ.)
Bibliografía
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- Baird, Bil. The Art of the Puppet. New York: Macmillan Co., 1965.
- Bhattacharjy, Ashutosh. Folklore of Bengal. New Delhi: National Book Trust, 1978.
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